A propos de « Heidegger et la question de l’habiter » de Céline Bonicco-Donato

Vient de paraître en ce mois de mai 2019 et à destination du monde de l’architecture et de son enseignement Heidegger et la question de l’habiter de Céline Bonicco-Donato. Le livre est « excellent » et met à la portée des étudiants en architecture la pensée de Heidegger sur l’habiter, le lieu et l’espace. C’est un manifeste pour une architecture heideggérienne. Aucun éclairage critique n’est proposé au lecteur. La référence à Heidegger est justifiée sans réserve au nom des errements oppressifs de la modernité architecturale. « L’architecture moderne, dit l’autrice, loin de rassembler le Quadriparti et de le laisser paraître, nous coupe du monde ». Elle procède par de vastes catégories et, mettant de son côté Wright, Aalto et Zumthor – ce dernier, il est vrai, est lui-même heideggérien – elle diabolise la modernité et notamment Le Corbusier qu’elle répudie sans reste en invalidant l’importance qu’il accorde à la géométrie dans son approche du projet. François Chaslin a critiqué récemment le fascisme de certains aspects de la doctrine de Le Corbusier tout en reconnaissant et en honorant son génie plastique. Il semble qu’avec cet heideggérisme c’est le cœur même de la pensée plastique de Le Corbusier qui est dévalorisée pour tare de modernité. Quelle sélection ! Elle place ainsi le Quadriparti heideggérien – la terre, le ciel, les mortels, les divins – au centre de son discours. Vous devrez adhérer au Quadriparti si vous voulez devenir cet architecte-jardinier qu’elle encense. Mais de quoi faut-il ici se plaindre d’une candeur ou d’un cynisme ? Si, comme je le pense, l’œuvre de Heidegger est comme façonnée en sous-main par un antisémitisme meurtrier on ne s’étonnera pas qu’on puisse penser que le Quadriparti n’est qu’une spiritualisation de la croix gammée nazie. C’est si bien joué de la part de Heidegger qu’on peut s’emparer du Quadriparti sans se rendre compte de rien. L’autrice agite ainsi une bannière qu’elle ne voit pas. C’est cela même qui, jadis, me fit renoncer, enseignant moi-même dans une école d’architecture, à poursuivre sur des chemins qui me semblaient mener au nazisme. Toutefois si le livre est un manifeste heideggérien apologétique il paie sa redevance au prix fort d’un formatage qui en fait une empreinte schématique de l’esprit du recteur de Fribourg. Là où Heidegger lui-même, celui du Quadriparti, estimait que la philosophie n’était plus en mesure, car parvenue en l’espèce de la technique à sa fin, de porter une véritable pensée l’ouvrage propose, dans son sous-titre même, Une philosophie de l’architecture. La philosophie est bien utile, ici, pour « blanchir » le « nazisme spirituel » de Heidegger. Là où Heidegger entendait en finir avec la métaphysique le livre nous inflige une prise de pouvoir on ne peut plus métaphysique du Quadriparti sur le projet d’architecture. C’est donc arrivé ! Le Heidegger-pour-architectes existe !

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