Recherches sur les Idéalités Formelles architecturales – Questions d’usage

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C’est dans une monographie sur Louis Kahn que Vincent Scully publia en 1962 le texte intitulé en américain Form and design. Le texte a été établi d’après un enregistrement, effectué en 1960 par les soins de l’Université  et de la commission d’histoire et des musées de Pensylvanie. S’agissait-il d’un cours, d’une leçon, d’une conférence publique ou, plus simplement, d’un texte écrit et lu pour l’occasion  mais aussi, par conséquent,  « pour mémoire »? Nous l’ignorons.

Louis Kahn en conférence

Kahn 4Le titre contient un faux-ami et peut induire en erreur. Le traduire par Forme et design tendrait à faire croire qu’il s’agirait, par exemple, de réfléchir sur l’apparition de la belle forme dans le processus de conception des objets usuels. Même en intégrant dans cette dernière catégorie les objets de l’architecture il ne s’agit pas de considérations sur l’émergence de la forme architecturale envisagée sous les rapports de la physique et de l’esthétique.

En réalité l’américain form ne traduit pas le français forme mais le terme d’ idée.

Le form, c’est l’idée.

Par contre c’est le terme de design qui traduit celui, français, de forme.

Résumons-nous : le form c’est l’idée et le design c’est la forme!

Traduire Form and design par Idéalité formelle et design est en ce sens correct.

Le philosophe de l’antiquité Plotin écrivit un jour : L’idée de la maison n’est pas une maison. Ce que nous appelons idée est une espèce de représentation de chose et non une chose. Et une représentation de chose est peut-être d’autant plus précieuse qu’elle ne ressemble pas à la chose qu’elle représente. Les ambassadeurs français représentent la France à l’étranger. Il est heureux qu’ils n’aient pas tous une tête hexagonale!

Il y a ici une petite difficulté. L’idéalité formelle n’est pas l’idée de la forme en tant que représentation, préalable à la construction, d’un édifice. Cette « idée de la forme » c’est précisément le design non l’idéalité formelle. L’idée de la forme, au sens rigoureux, c’est précisément ce qu’exposent les dessins qui vont servir à construire un édifice (ou à fabriquer un objet). Encore une fois tel est le design. Il est constitué de tous les documents utiles à la construction d’un édifice (ou d’un ensemble d’édifices).

Si l’idéalité formelle n’est pas l’idée de la forme qu’est-ce qu’elle est plus précisément?

L’idéalité formelle est l’idée d’une chose dans son principe, et non dans sa forme. C’est l’idée d’une chose en tant qu’elle appartient à un ensemble spécifique, distinctif. C’est ce qui fait que nous pouvons dire de deux objets par ailleurs très différents qu’ils sont des maisons et non par exemple des bunkers. C’est, dans cet exemple, l’idée de maison en général.

Elle n’est pas elle-même, comme dit Plotin, une maison ni même une image de maison particulière.

Pour décrire complétement par des mots et même des dessins  une maison particulière il faudrait rien moins que l’éternité! En effet supposons que je réalise une vingtaine de dessins de cette maison. Je le fais nécessairement dans des conditions déterminées de luminosité. Et celles-ci sont changeantes non seulement au cours d’une journée mais au long des saisons et des cycles climatiques. La maison elle-même a par ailleurs sa propre vie. Elle fut neuve mais, aujourd’hui, elle présente des traces d’usure et d’ancienneté. Il n’est pas possible de décrire complètement et une fois pour toutes, par des mots, des dessins et des images, une maison réelle. Ces descriptions ne l’épuisent pas en tant que source de représentations.

Parce qu’elle n’est jamais une image d’une maison réelle l’idéalité formelle de la maison se laisse au contraire aisément définir par des mots et représenter par certains dessins. Nous verrons comment. Mais ceci constitue une caractéristique essentielle de l’ idéalité formelle. La définir peut être délicat mais sa formulation est aisée dans les termes du langage verbal. Sa représentation graphique, de même, ne pose pas de problème particulier. Nous verrons même qu’elle peut aider à préciser sa définition.

Nous allons, sur ce blog, explorer ainsi quelques idéalités formelles architecturales : le kiosque à musique, la place publique, la maison, la gare, le musée, le mémorial, le pont, l’école, l’hôpital, la rue…

Il ne s’agira pas de proposer une nouvelle typologie. L’idéalité formelle n’est pas un type. Mais un type est déjà une interprétation de l’idéalité formelle, intermédiaire entre la généralité de l’idéalité formelle et la singularité de l’ouvrage.

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Abréviations :

Le sigle IF signifiera toujours idéalité formelle.

Le sigle DIF signifiera toujours diagramme de l’idéalité formelle, ou diagramme d’idéalité formelle.

 

 

 

 

 

 

1- Qu’appelle-t-on « idéalité formelle »? Essayez-donc de dessiner un mouton!

Dans le conte de Saint-Exupéry, Le petit prince, la première chose que le petit prince demande à l’aviateur tombé en panne dans le désert c’est de lui dessiner un mouton. Le premier essai proposé par l’aviateur consiste en une forme « patatoïdale » enrobée d’une toison qu’on sait de laine et munie d’une tête gentille, d’une petite queue et de quatre pattes.

vlcsnap-2014-06-30-10h26m59s79 (2)Le petit prince, qui n’a peut-être jamais encore vu de vrais moutons, refusera l’essai au motif que le mouton lui apparaît bien malade. Difficile, apparemment, de faire rêver avec des dessins aussi schématiques. Si un mouton c’est ça il ne peut qu’être malade!

Pourtant la question qui est posée à l’aviateur est celle de la représentation caractéristique non d’un animal particulier, par exemple d’un mouton qui s’appellerait Ambroise et vivrait dans le jardin clos de ma voisine, mais d’un animal en général, d’un mouton en général.

Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît. L’aviateur, piqué au vif à cause de son mouton malade, propose au petit prince le dessin d’un mouton pourvu de cornes. Les cornes c’est la santé! Il est alors surpris d’entendre le petit prince refuser ce deuxième dessin au motif qu’il représente non un mouton mais un bélier!

Tel est cependant le problème : la représentation schématique d’un mouton qui puisse être tantôt une brebis, tantôt un bélier n’est guère envisageable. Le premier mouton dessiné par l’aviateur était en réalité une brebis. Cela tient pour une part au fait qu’un troupeau de moutons est surtout fait de brebis. En ce sens la meilleure représentation schématique de l’espèce mouton serait constituée par l’association de la représentation d’une brebis et de celle d’un bélier. Ce tableau pourrait être complété par l’ajout d’un agneau ou deux, lesquels peuvent être aussi des agnelles. Pour le parfaire on pourrait enfin représenter en fond un troupeau. Et dans la mesure où la technique de l’élevage a contribué à infléchir l’évolution naturelle du mouton il faudrait aussi représenter la silhouette d’un berger et de ses chiens.

« Dessine-moi une brebis » est une injonction réalisable.  « Dessine-moi un bélier » aussi. Mais « dessine-moi » un mouton, au sens habituellement attendu, est une impossibilité. Est-ce la raison pour laquelle le petit Prince se satisfera du dernier dessin proposé par l’aviateur représentant une caisse munie de trous et dans laquelle, assure-t-il, se trouve un « tout petit mouton »?

Nous voilà bien. Un dessin de « mouton » devrait être celui d’une brebis, d’un bélier, d’un agneau nouveau-né, d’un agneau sevré…

Précisément l’idée d’une représentation – qui pourrait être décrite par des mots – d’un être « moutonesque » qui serait brebis, bélier et agneau a quelque chose à voir avec, à la suite de Louis Kahn, ce que j’appelle idéalité formelle.

En première approche l’ IF – Idéalité Formelle – est l’idée de ce qu’est une  chose dans sa différence avec les autres choses. L ‘IF du mouton est l’idée de ce qu’est spécifiquement le mouton par rapport aux autres animaux et, surtout, par rapport aux animaux comparables. Le mouton est proche du mouflon par exemple – dont il pourrait descendre – mais n’est pas un mouflon. Mais, bien entendu, l’IF du mouton doit comprendre les femelles, les mâles et les jeunes; les brebis, les béliers et les agneaux. Ces « choses » sont toutes en effet des moutons.

Depuis très longtemps les hommes savent distinguer clairement le mouton parmi les animaux. Ils ont des termes pour désigner les « parties » de l’IF du mouton : brebis, bélier, agneau.

Ces noms et ces représentations générales sont largement suffisantes pour être compris dans la plupart des situations.

Nous approcherions une définition de l’IF du mouton en rassemblant les traits principaux des brebis, des béliers et des agneaux. Cette synthèse à l’avantage de prendre appui sur la dynamique de reproduction caractéristique de l’espèce. L’idée de mouton est ainsi l’idée de ce qui se passe entre des béliers, des brebis et des agneaux. Tous les animaux qui sont dans l’incapacité, dans cette « famille », d’occuper un des trois rôles ne sont pas des moutons, sont des non-moutons. Il y en a beaucoup!

2 – Dessine-moi une maison!

 

Supposez maintenant que vous êtes vous-mêmes l’aviateur de Saint-Exupéry et que le petit Prince vous demande gentiement :  « Dis… dessine-moi une maison! »

Cette question est en réalité moins étrange que la première. Est-il plus facile d’y répondre? Comme vous êtes aviateur et non architecte vous puisez dans votre mémoire quelques images d’une des maisons qui vous a été donné de connaître. Là encore, comme le petit Prince vit dans un palais et ne sais pas ce qu’est une maison il commence par refuser le premier dessin que vous lui tendez : « A la première tempête elle tombera… Je veux une maison solide qui résiste aux plus forts des vents! »

Le jeu pourrait se développer jusqu’à ce que vous dessiniez une  mallette dans laquelle, semble-t-il, se trouverait une maison pour petit Prince, petite comme une vraie maison et non pas immense et glacée comme un palais!

Mais un aviateur peut avoir un peu de culture architecturale et un sens philosophique du questionnement. Vous vous mettez ainsi à réfléchir sur ce que signifie répondre à une question du genre : « Dessine-moi une maison! »

Comme le petit Prince n’habite pas dans le monde connu et familier vous vous demandez s’il est représentatif de lui proposer l’image d’une maison de béton enduit et surmontée d’un toit pentu sachant qu’il existe, par exemple, des maisons en terre et à toit terrasse.

La question devient rapidement celle du « mouton ». Vous ne décevez pas vraiment le petit Prince en lui proposant l’image d’une vraie maison connue de vous. Habitué à la froideur du palais, sans expérience, la découverte de ce qu’est une maison est à ses yeux réjouissantes. Cependant vous vous demandez dans quelle mesure il serait possible de représenter la maison en général, cette représentation « représentant » tout aussi bien la maison bourgeoise parisienne du XIX° siècle, la maison japonaise, la maison arabe, la maison d’avant-garde…

Pour le moins l’hypothèse est qu’il doit être possible de définir, voire de représenter, ce qui justifie que ces objets différents méritent d’appartenir tous à la classe des maisons. Peut-on par ailleurs espérer pouvoir appuyer cette définition par une représentation graphique qui ne soit pas une image d’une de ces maisons?

C’est poser la question de l’idéalité formelle de la maison.

3 – Form has no shape or dimension – L’idéalité formelle n’a ni forme ni dimension

Nous venons de prendre conscience de l’embarras qui peut saisir quelqu’un auquel on demande de dessiner une maison. Un flot d’images contrastées nous submerge, du pavillon quelque peu délabré du coin de la rue jusqu’à la maison sur la cascade de Wright.

L’approche de Louis Kahn, dans son enseignement d’architecte, a consisté à trouver un moyen pour mettre méthodologiquement entre parenthèses toutes les images de maison, des plus frustres jusqu’aux plus architecturalement glorieuses, qui viennent flotter dans l’espace de conception. Rappelons-nous : L’idée de maison n’est pas une maison. Et il importe que l’architecte se demande ce qu’il a à concevoir et non seulement comment le concevoir. « L’idéalité formelle est « quoi ». Le projet est « comment », dit Louis Kahn. (43)

Le « comment », c’est-à-dire le projet, c’est la question de la forme du projet et de ses dimensions. Pour Kahn la conception architecturale ne se limite pas en ce sens au projet. Un projet est un ensemble d’idées, exprimées par des représentations et des mesures, orientées et modulées par des circonstances. Un projet de maison c’est l’idée d’une maison construite ici, en fonction d’un budget et selon certaines exigences formulées par un client.

Mais, précisément, ce projet de maison doit pouvoir être appelé « maison ». La question du quoi n’est donc pas, elle, circonstancielle puisqu’il s’agit de justifier de l’étiquette « maison » dans des circonstances infiniment variables.

N’étant pas circonstancielle « l’idéalité formelle, comme le dit Louis Kahn, n’a ni forme ni dimension ». En américain cela se dit plus brièvement : « Form has no shape or dimension ».

Notons au passage qu’en américain form est le nom pour le français idéalité formelle tandis que shape est le nom  pour le français forme.

L’idéalité formelle n’a pas de « shape », n’a pas de forme. Elle est constituée de principes spatiaux non attachés à des formes précises.

Dans cette mesure elle n’a pas non plus de dimension car seule une forme, au sens précis, physique du terme, peut avoir des dimensions.

Mais, à ce point, il nous faut procéder à une lecture du texte kahnien. Nous pourrons alors faire comme un portrait de ce qu’est l’ idéalité formelle.

 

 

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