Citation : « Car manifestement vous êtes bel et bien depuis longtemps familiers de ce que, en réalité, vous avez en tête lorsque vous employez l’expression « étant » ; mais quant à nous, qui croyions, certes auparavant le comprendre, voici que nous sommes désormais tombés dans l’embarras ».
Du point de vue strictement académique la lecture heideggérienne du Sophiste est une reprise de la thèse de Platon selon laquelle, contre Parménide l’éléate (« l’être est ; le non-être n’est pas ») il y aurait une certaine estance du non-être. Le sophiste, habile à travestir l’ignorance en fausse connaissance, serait en lui-même une sorte d’incarnation de cet étrange « être du non-être ». Mais, dans le contexte heideggérien lui-même, l’hypothèse serait que la lecture du Sophiste est sous l’influence de l’antisémitisme. Heidegger construirait le sophiste en « juif ». Et cela pour récolter, à la fin, une justification philosophique, « scientifique », de l’antisémitisme : le « juif » est un « sophiste », une incarnation de l’être du néant ! Heidegger souligne que la caractéristique du sophiste est « l’indifférence à l’affaire en question ». Le sophiste parle de quelque chose avec lequel il est totalement, quoique non intentionnellement, dans un rapport d’indifférence et de méconnaissance. Or le langage de Heidegger est très curieusement proche de ses propres déclarations antisémites : « cette indifférence, écrit-il, à l’affaire en question dans le discours est synonyme d’inauthenticité et de déracinement de l’existence humaine » (C’est Heidegger qui souligne). Est-ce que le procès heideggérien de la métaphysique ne serait pas non plus celui d’une forme de sophistique ? Et ce procès, naturellement, est aussi celui de l’ontothéologie « judéo-chrétienne ». Se réclamant de la phénoménologie de son maître juif Husserl en l’espèce d’un retour « aux choses mêmes » cette interprétation de Heidegger serait tel un retour à l’envoyeur. Cela serait corroboré par ce passage hideux où il déclare que Husserl, en vertu de sa « Rasse », ne pouvait pas participer à la sphère des décisions essentielles. Et alors que Platon construit le personnage du philosophe en opposition à celui du sophiste Heidegger construirait son propre personnage philosophique en opposition au « juif » comme figure maléfique du sophiste contemporain et cancer de l’Allemagne. Du même coup et par le titre et par l’exergue platonicienne Etre et temps aurait la signification d’un traité guidé secrètement par l’antisémitisme.