Ce ne sera ici, en attendant la partie 2 du séminaire sur la contre-lecture d’Etre et temps, que quelques indications.
Le paragraphe 4 de S/Z affirme la « primauté ontique de la question de l’être ». Il s’agit, pour Heidegger, de justifier aussi bien principiellement que méthodologiquement le fait, pour une ontologie fondamentale ordonnée à la question de l’être – et oubliée par des millénaires de métaphysique – d’en passer nécessairement par l’interrogation d’un étant privilégié, le Dasein.
« Dasein » nomme l’humain en tant qu’il se pose la question de son être. Or Dasein est un étant : ce n’est évidemment pas l’être. « Primauté ontique de la question de l’être » signifie en effet que la question de l’être doit passer par l’interrogation d’un étant – domaine ontique – en tant que cet étant est ontologique : il n’est pas sans poser la question de son être, de l’être de son être. Le Dasein est cet étant dont il y va de son être. Il a le privilège d’être ontologique. Une ontologie fondamentale ne peut pas ne pas interroger l’étant ontologique qu’est le Dasein, ce Dasein que nous sommes nous-mêmes !
Faisons déjà une première « traduction ». « Dasein » ne nomme pas l’humain sur fond d’une égalité en « humanité ». Ce nous-mêmes qu’est le Dasein est à l’opposé d’un cogito au sens où ce dernier assure une égalité universelle de principe devant la possibilité de la pensée, de ses règles, de ses méthodes. « Dasein » nomme, certes, une mise en jeu existentielle de l’être en l’espèce des possibles susceptibles d’actualisation effective (ou « factive »). Mais, précisément, Dasein est discriminant puisqu’aussi bien sa fonction, en tant qu’il justifie une « daseinanalyse » proprement heideggérienne, est d’indiquer ce qu’il en est du possible selon ce qu’il faut bien nommer la « race ». C’est ainsi que le Dasein « allemand » parle la seconde langue de l’être après le grec. Cela, pour le nazi Heidegger, place les allemands, les « aryens », au sommet de la pyramide humaine. Ce sont même les seuls vrais hommes, les seuls vrais Mensch, les seuls à posséder pleinement la Menschheit, l’humanité. Les seuls à « habiter en poète ».
Par ailleurs ce que doit le Dasein c’est d’être lui-même. On comprend aussitôt ce que cela signifie si le soi-même est inséparable de possibilités qui ne sont pas partagées par l’humanité, de possibilités « réservées ».
Le devenir soi-même heideggérien du Dasein passe par l’aryanité et l’antisémitisme.
J’insiste sur ce point. Mes « traductions » peuvent paraître outrancières. Mais il est facile de faire comme si Heidegger pensait « universel » alors que ce n’est absolument pas le cas. Dés lors que Dasein ne nomme pas n’importe quel homme mais des possibilités réservées ou spécifiques à tel ou tel groupe il est justifié de rapprocher Heidegger de Hitler. Etre et temps est une propédeutique au III° Reich.
Le fait même de privilégier le Dasein – au lieu de l’être humain en tant que « tout homme/femme » – augure ce que seront « invités » à être les allemands sous le III° Reich.
Chaque allemand sera considéré comme la cellule d’un organisme total. Et nous retrouvons alors l’idée selon laquelle le Dasein est ontologique.
Chaque allemand sera placé sous un contrôle strict et ne pourra se dérober à ses devoirs de « race ». Et nous retrouvons l’idée selon laquelle l’ontologie fondamentale passe par « l’analytique existentiale du Dasein » laquelle, elle-même, est « en dernière instance enracinée existentiellement, c’est-à-dire ontiquement ». Le peuple sera au Führer comme l’étant est à l’être.
Chaque déviation, désobéissance et même « critique » pourra être aussitôt interprétée comme une atteinte à « l’être » et considérée comme une preuve de « nihilisme ». La politique heideggérienne est une gestapolitique.
Dés lors que le « parti-état » sera en campagne contre l’ennemi, contre notamment l’ensemble de la population juive, il s’imposera que tous soient comme un seul homme derrière le Führer. A la terreur exterminatrice extérieure s’adjoindra une terreur policière et administrative intérieure.
L’ontologie fondamentale heideggérienne est l’idée d’une société totalement sous contrôle et enrôlée dans l’extermination de « l’autre ».
Le montage suivant constituerait une « traduction » inadmissible! Je me rends de ce fait coupable d’une manipulation qui associe une image terrifiante à une noble pensée du grand Heidegger sur la langue.
Et bien, précisément, on ne comprendra jamais rien à Heidegger tant qu’on admettra pas que le discours formellement philosophique de Heidegger I contient, le plus souvent en filigrane, le discours substantiellement nazi de Heidegger II.
Le choix de dire « Dasein » pour l’être humain en tant qu’il existe était déjà, dans Etre et temps, une manoeuvre somme toute grossière pour aiguiller la lecture universaliste/humaniste vers une lecture « aryanisante », raciste et antisémite.
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C’est effectivement la seule façon de comprendre le « charabia obsessionnel » sur l' »Être » de Heidegger. Et comme nous le montre bien aussi Emmanuel Faye et François Rastier, c’est en lisant le corpus (livres, cours, conférences, correspondances) que son archi-nazisme exterminateur (de la philosophie mais aussi d’êtres humains) se met en place.
S’il arrive encore à blouser son monde (de moins en moins espérons-le) c’est uniquement parce qu’il a eu la malice de maquiller sa pensée d’assassin en « philosophie » en se mettant dans les pas de la « Destrukion » entamée par Nietzsche, autre « philosophe » assassin et son véritable maître chez qui il a tout emprunté.
Car contrairement à ce que l’on nous raconte, les intellectuels nazis avaient parfaitement lu Nietzsche qui, lucide, et même s’il les rejetait d’avance, reconnaissait qu’à l’avenir l’on commettrait en son nom des choses terribles…
Que Nietzsche et Heidegger continus d’être les deux philosophes les plus lus et commentés depuis un siècle à travers le monde n’est vraiment pas bon signe…
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Bonjour,
Il y a un texte important de 20 pages de Reinhard Linde disponible en ligne en pdf sur le site de la revue Texto! de François Rastier. Il s’agit de la traduction d’un chapitre de son livre « Bin ich, wenn ich nicht denke? » (Centaurus Verlag, Herbolzheim 2003)
intitulé en français : « L’ontologie heideggérienne de la guerre totale et de «l’extermination complète» des ennemis du national-socialisme en 19331 ».
ici : http://www.revue-texto.net/docannexe/file/1573/linde_fairefront.pdf
Peut-être pourriez-vous le mettre aussi en ligne sur votre site. Cordialement.
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