Un paradoxe accompagne souvent l’évocation de Heidegger à savoir que, grand philosophe, notre respect pour sa pensée ne devrait pas être troublé par le fait que certains lecteurs de Heidegger jugent son œuvre profondément compromise avec le nazisme. Dociles aux valeurs intellectuelles nous consentons ainsi à nous rallier à ceux qu’indignent le fait qu’on puisse attribuer une signification nazie à certains aspects de l’œuvre de Heidegger. Bref, pour être bons philosophes nous accepterions d’être misosophes et trahirions ainsi l’amour du savoir pour la haine du savoir. Est d’emblée écartée, au prétexte qu’on ne peut pas être à la fois intelligent, cultivé et nazi, la possibilité pour que des nazis de tête utilisent Heidegger comme une cache sinon comme un cheval de Troie.
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J’ai déjà, par le titre, indiquer ce que je pensais être la signification de Quadriparti. C’est une transposition de la croix gammée en un discours « spirituel » de légitimation. Comme souvent chez Heidegger il s’agit de traduire/transposer le nazisme de la rue, et où la figure dominante est Hitler, en un nazisme d’Université, mais d’Université allemande, et où Heidegger est le chef spirituel d’un peuple de penseurs et de poètes – expression aussi utilisée par Hitler – et parlant qui plus est la seule langue vivante de l’être qu’est l’allemand.
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J’appelle ainsi « logiciel Heidegger » le dispositif « logique » en vertu duquel le nazisme de la rue et des médias est transposé en nazisme spirituel diffus et disparaissant.
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Il y a ainsi comme un bouton Quadriparti. (Dont le sens affiché est que l’homme habite, en vertu des quatre, au foyer du jeu de la Terre, du Ciel, des Dieux et des Mortels).
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Il permet de connecter le nazisme standard à sa relève spirituelle heideggérienne. Il y a une petite boîte de brouillage selon laquelle, Heidegger étant un très grand penseur, il est impossible que Quadriparti soit le terme de passage entre la croix gammée de la rue et le nazisme discret et spirituel d’Université.
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Ainsi quand le lecteur appuie sur le bouton Quadriparti il établit aussi bien le contact avec le nazisme qu’il rend celui-ci invisible, impossible, inconcevable. Celui qui dira le contraire ne sera, en langage « fédierien », qu’un imbécile doublé d’un diffamateur. Dont acte pour le phiblogZophe.
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Analysons maintenant comment B. Goetz, dans un article intitulé L’araignée, le lézard et la tique : Deleuze et Heidegger lecteurs de Uexküll, (Le Portique 2007) se sert du Quadriparti heideggerien dans le refus d’en considérer la sinistre portée idéologique. B. Goetz imagine à un moment ce que nous pourrions penser et dire d’un lézard qui se chauffe sur une pierre exposée au soleil. « Quand nous disons que le lézard est allongé sur la roche, nous devrions raturer le mot « roche » pour indiquer que ce sur quoi le lézard est allongé lui est certes donné d’une façon ou d’une autre mais n’est pas reconnu comme roche (…) ». Et l’auteur de faire ainsi un rapprochement entre cette rature du mot « roche » et la rature, sous forme d’une croix, que Heidegger superpose au mot ETRE. La rature est faite non pour annihiler l’être, « mais, dit B. Goetz, pour l’écrire de manière non métaphysique, la croix renvoyant aux Quatre : la terre, le ciel, les mortels et les dieux ».
Il est bien sûr sous-entendu que cette rature n’a absolument rien à voir avec la croix gammée. Notons dans un premier temps que, cependant, la disposition de la rature est conforme avec la présentation, répandue sous le troisième Reich, de la croix gammée sur la pointe, cette disposition suggérant par là une dynamique que la présentation du svastika selon les horizontales et verticales de la croix chrétienne aurait gommée.
Je reprends ici un montage ancien où je superpose la croix-rature de Heidegger à une photographie indiquant de quoi il est à mon avis réellement question.
En vis-à-vis est placée la croix gammée d’or du parti nazi. On retrouve bien, au centre, un graphe identique à celui de la rature. Cela ne suffit pas néanmoins même si, à ce point, nous pourrions trouver inadmissible qu’un grand philosophe joue ainsi avec la proximité des symboles.
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Mais, nous l’avons dit, il compte sur son « capital » de grand philosophe pour interdire d’emblée l’interprétation nazie de son graphe. Et pour la permettre dans le secret et le « silence ».
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Allons plus loin cependant. « Cette croix qui barre le mot, précise Heidegger dans Contribution à la question de l’être, ne fait d’abord que nous protéger contre l’habitude presque indéracinable de nous représenter l’être comme un vis-à-vis ».
C’est « l’amalgame » heideggérien qu’il faut alors convoquer à savoir l’assimilation qu’il fait entre métaphysique, christianisme, judaïsme et « enjuivement » en l’espèce de la machination et du règne (métaphysique) de l’esprit de calcul.
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Une de mes hypothèses centrales est que le nazisme de Heidegger commence avant Etre et temps et n’épargne pas ce qu’on considère comme un des grands livres philosophiques du XX° siècle. Plus précisément je tiens que, avec tout ce qu’il faut comme « boîte d’embrouille », Dasein est un mot pour dire dans le secret ce qu’il en est, selon la mythologie partagée par Heidegger et tous les héritiers directs ou indirects de la société de Tuhlé, de l’Aryen. Celui-ci se distingue de toute autre population en ce qu’il parle la seule langue vivante de l’être. Son destin est ainsi celui d’un peuple-maître vis-à-vis duquel la science elle-même, et la philosophie scientifique – celle de Husserl par exemple – est un travail d’esclaves. Et l’esclave, et l’esclave savant, par exemple en l’espèce de « l’enjuivement », a répandu partout et permis la pénétration jusqu’au cœur du peuple aryen, de la « vision du monde esclave » avec son cortège de nihilisme métaphysique.
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Lorsque Heidegger dit, dans la phrase citée plus haut, que la croix « ne fait d’abord que nous protéger contre l’habitude presque indéracinable de nous représenter l’être comme un vis-à-vis » il ne fait que semblant de parler pour tout homme, convaincu qu’il est de l’exceptionnalité absolue de l’aryen-dasein. Le nous est ainsi celui de la communauté völkisch des Aryens. (Et, au-delà, de tous ceux qui aspirent à être maître et non esclave).
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La « question de l’être », qui signe Heidegger, n’est ainsi rien d’autre que la question-programme du projet aryen de « s’humaniser » authentiquement en replaçant, selon une certaine échelle , les non aryens dans leur position d’esclaves ou de « collaborateurs ». Telle est la vérité de l’être. Eugen Fischer, ami fidèle des Heidegger, fut un des artisans du génocide des Héréros en Afrique. On sait trop ce qu’ordonna Hitler, admiré de Heidegger.
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Une phrase de l’article critiqué est littéralement « ahurissante » : « La stupeur animale est une ouverture vitale plus intéressante que la plupart des « expériences vécues » de l’homme domestiqué par la métaphysique ». Il s’agissait d’interpréter le fait que Heidegger admet que l’ouverture de l’animal à ce qui ne lui sera toutefois pas donné comme un monde, résonne avec l’ouverture dont l’homme est quant à lui capable. Mais, précisément, l’homme dit « domestiqué par la métaphysique » serait bien en deça de ce que peut l’animal en matière d’ouverture. L’affirmation n’est pas seulement extrêmement rapide elle se déploie dans un contexte où un mot comme « métaphysique » renvoie en réalité à des acteurs historiques précis. C’est effectivement bien de cela dont il s’agit : Heidegger est un partisan de la théorie du complot juif contre l’Allemagne. C’est par la métaphysique que les juifs en sont venus, qui plus est, à dominer le monde. Dans les Cahiers noirs les « juifs » seront dits « sans monde », inférieurs en cela aux animaux seulement « pauvres en monde ». L’homme domestiqué par la métaphysique, qui est aussi un homme qui domestique, est ce sous-homme encore moins « bon » que l’animal. Alors, si on tue des animaux, on ne devrait avoir aucun scrupule à tuer ces apparences humaines en ce qu’elles sont encore moins ouvertes que les animaux.
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Le développement que fait B Goetz sur l’ennui chez Heidegger, s’il est brillant, n’infirme rien de ce que je viens d’affirmer. Le pendant humain de la stupeur ou de l’accaparement chez l’animal est, selon Heidegger, l’ennui. Dans les deux cas il y a ouverture à quelque chose de fermé. Si l’animal est « stupéfait » l’homme, dans l’ennui, est envoûté. « L’élément qui envoute n’est rien d’autre que l’horizon du temps ». Ce serait commettre cependant un contresens de penser que l’ennui est aussi « positif » que pourrait l’être, si on le juge tel, l’accaparement animal.
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A mon sens, ce que fait Heidegger, est de tenter de circonscrire une zone d’indiscernabilité entre l’homme et l’animal. Cela se révèle impossible du fait que l’ennui, qui suppose l’horizon du temps, est fondamentalement différent de l’accaparement ou de la stupeur. Mais, de manière plus décisive encore, il s’agit précisément, pour le Dasein, d’échapper au devenir animal. L’ennui est aussi expérience du péril, expérience de se perdre dans l’ouverture temporellement indéfinie à ce qui se refuse. Un chien peut être accaparé semble-t-il indéfiniment par le jeu de la balle à rapporter. Un homme, à cette même place impossible, ne pourrait que s’ennuyer se découvrant « ouvert pour rien » dans le brouillard du temps. Mais c’est aussi là que se prépare « ce qui sauve ». « C’est là seulement, dit Heidegger, où il y a péril de l’épouvante qu’il y a la béatitude de l’étonnement – ce vif ravissement qui est le souffle de tout philosopher ».
Mais Heidegger ne parle pas de « tout homme », seulement du Dasein, c’est-à-dire de l’Aryen.
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Je referme ici le cercle sur l’horreur, et le mot est faible, heideggérienne. Car « ceux » qui se sauvent de l’ennui par l’étonnement philosophique – Heidegger ne sera pas toujours aussi bien disposé à l’égard de la philosophie – le doivent d’une part à la provenance grecque, et surtout présocratique, du penser véritable et, d’autre part et à l’intérieur de cet héritage, à la possibilité, par l’authenticité de la souche, de parler la seule langue de l’être après le grec, l’allemand. Il n’y a pas d’héritage philosophique du côté du judaïsme et du christianisme car c’est là mentalité d’esclaves et impossibilité d’entendre vraiment la question de l’être. En sortant d’Egypte, où ils étaient esclaves, les juifs divinisèrent l’interdit de meurtre, universalisant ainsi leur peur d’esclave. Ils se sont eux-mêmes remis au « travail » de domestication. Heidegger dira que, avec le nazisme, les juifs se sont autodétruits…
Heureux furent les habitants du Quadri-parti!
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Le Quadriparti est une croix gammée car l’habitation qu’il ordonne est inaccessible à qui ne peut l’ennui, à qui ne peut l’étonnement, à qui n’appartient pas à la « souche» gréco-germanique de la pensée.
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Heidegger compte parmi ceux qui ont poussé très loin l’élaboration d’une conception violemment raciste de « l’humain ».
L’habitude d’un rapport en vis-à-vis avec l’être procède d’une imitation de l’esclave, de l’esclave savant produisant des représentations aidant au calcul, à la réduction de l’être au calcul.
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La rature heideggérienne fait alors signe de deux choses.
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1°) Elle fait signe que le Dasein (le Daseinaryen…) a vocation à habiter et non pas à se satisfaire du vis-à-vis. Mais il doit alors pour cela retrouver sa pleine essence de peuple-maître. Il devra alors habiter comme le cœur d’une « croix gammée ». Heidegger ne pouvait qu’être comblé devant le spectacle de la profusion de croix gammées dans l’espace « Ereignis », dans l’espace de réappropriation du peuple allemand de sa pleine essence.
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2°) Mais elle fait aussi signe que l’être et sa vérité demeureront barrés autant de temps que, se fuyant lui-même, se faisant étranger à lui-même, le peuple allemand ne décidera pas effectivement, « factivement », qui est le maître et qui est l’esclave, qui pourra vivre et qui pourra mourir. Camps de concentration et chambres à gaz.
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Les résonances illusoirement universelles de la terminologie de Heidegger sont ainsi totalement et sans reste investies dans la construction d’une souveraineté absolue, sans « altérité de discussion », de la communauté allemande de sang et de souche.
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Tel est le Quadriparti.
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Beaux furent Martin Heidegger et Hermann Goering !
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Bergers de l’Etre parmi les plus grands!
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