Dans Introduction à la métaphysique Heidegger fait de la question « Pourquoi y-a-t’il de l’être et non pas plutôt rien » – formulation empruntée à Leibniz – la question par excellence, la question des questions métaphysiques.
Cette question, qui formule autrement la « question de l’être », est propre en effet à éveiller les esprits à la philosophie et à la métaphysique. A nous en tenir ainsi à ces quelques énoncés en tant qu’ils donnent des ailes à la pensée nous serions portés à voir en Heidegger un maître en pensée et en philosophie, maître dont on conçoit alors mal qu’on puisse dire qu’il est nazi ou que son oeuvre ait quelque chose avoir le régime mis en place sous la férule d’Adolf Hitler, du parti nazi et de cette police politique antisémite que fut la Gestapo.
Et pourtant, malheureusement, il est aisé de montrer que, dés lors qu’on rapproche des éléments tout d’abord éloignés et séparés du discours heideggerien, le nazisme de la question heideggerienne par excellence apparait au grand jour. Il n’aurait tout d’abord pu s’agir de faire une histoire de cette question comme une succession réfléchie de formulations et de réponses. Cette question, selon Heidegger, aurait connu un moment « historial » avec les Grecs présocratiques. Elle a illuminé leur pensée. Ce qui leur succède, même si cela se dit en grec, ne constitue nullement un progrès mais bien plutôt une sorte d’involution. Platon et Aristote parlèrent de l’étant non de l’être. Ils furent en ce sens de grands oublieux de l’être et de sa question. Par la différence ontologique – l’être n’est pas l’étant – Heidegger a trouvé un moyen astucieux pour réserver le meilleur et le plus grand de la pensée à quelques groupes d’exceptions. En ce sens, sur le plan supposément purement ontologique, Heidegger s’avère ici avoir entièrement subordonné la « pensée » au racisme.
Et alors que le fameux oubli de l’être – mais l’oublie-t-on vraiment en s’émerveillant de l’étant? – a permis par exemple à Aristote d’ouvrir des voies de connaissance du réel naturel il fallait que, pour Heidegger, cela ne constitue nullement un progrès. Le célèbre dialogue platonicien où l’on assiste à la manière dont un jeune esclave parvient, grâce à la dialectique, à la solution d’un problème de géométrie constituait probablement une abomination « métaphysique » pour Heidegger. Les allemands ont vocation à être des maîtres et à régner sur des esclaves. La véritable pensée ne peut en aucun cas consister à défaire ce principe de domination et de terreur.
Platon et Aristote sont des moments d’une histoire de l’être comme moments d’oubli de l’être. Furent aux contraires « historiaux » les présocratiques puisque aussi bien ils s’exposèrent comme jamais cela n’avait été fait et comme jamais, sauf avec Heidegger et les nazis, cela ne se fera par la suite, à la question de l’être, du sens de l’être en tant qu’être.
Ces thèses de Heidegger n’ont pas d’autre vérité et d’autre fondement que de constituer un mythe raciste.
Il y a d’un côté la « question de l’être », question posée apparemment en langage universel et s’adressant à tous. Il y a de l’autre le constat de « l’oubli de l’être » comme conséquence d’un éloignement d’avec l’événement, d’avec l’historialité de sa dimension instauratrice en tant que rapportée à un petit groupe linguistique. Dés lors l’insistance de la question de l’être, chez Heidegger, a pour mobile la répétition indéfinie du mythe selon lequel le peuple allemand, si seulement il retrouve la pureté des origines et le plein usage de sa langue maternelle – et cela suppose qu’il ait à se délivrer de « l’enjuivement » par la seule solution finale possible : l’extermination – est le seul à pouvoir entendre à nouveau la question de l’être. Traduisons : seuls les Allemands, pour ces raisons, seraient à même de préserver la domination blanche, celle au moins qui est véritablement occidentale – et non « juive-asiatique » – du désastre annoncé par le progrès techno-scientifique – en tant qu’il arme les dominés – par l’instauration d’un nouvel esclavagisme et la généralisation de la mise à mort techno-administrative, hors champ de bataille, de l’ennemi.
En ce sens la question heideggerienne de l’être, telle que Heidegger l’a comprend, conduit directement au réseau des camps de concentration et des centres d’extermination.
.
.