Petit contre dictionnaire Heidegger CHOSE 1 [Ou comment l’antisémitisme nazi de Heidegger se love en secret au creux de la chose. Le retour à la chose même, pour Heidegger, ne passe pas par Husserl mais par l’antisémitisme exterminateur – Chose du peuple et cause du monde].

Le nazisme et l’antisémitisme de Heidegger ne relèvent pas d’une forme d’« inconscient idéologique », inconscient auquel nous aurions accès, à la condition de l’interprétation, par la « voie/x royale » des textes. On a négligé jusqu’ici l’importance du motif, chez Heidegger, de l’enjuivement. Une part essentielle en effet de son œuvre consiste en un dispositif théorique de « désenjuivement » de l’esprit allemand. Ce qu’il appelle pensée, et qu’il oppose par exemple à la raison, c’est la « spiritualité » allemande purifiée de l’ « enjuivement ». Le rejet de l’interdit de meurtre est essentiel à ce dispositif.

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L’extermination des juifs fut aussi une extermination de l’interdit de meurtre – de la Loi ; la libération de la supposée race supérieure de ce qui l’aliénait à « l’Homme », à l’Homme générique avec ses droits insolents à l’existence, à la prospérité, à la « sécurité sociale ».
La promotion de la chose, et pour une part contre la philosophie de l’objet, constitue un bon exemple de cette stratégie discursive heideggérienne selon laquelle la pensée est l’esprit (allemand) désenjuivé. Heidegger est un auteur pour lequel l’antisémitisme constitue le moteur, la plupart du temps demeurant dans le secret, de son usage d’un langage qu’il déploie formellement entre « philosophie » (et tradition) et « pensée » (ouvertement révolutionnaire et raciale).

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Il y a ainsi parallélisme entre désenjuivement spirituel et extermination matérielle et physique des juifs. En ce sens la pensée de Heidegger est éminemment une pensée criminelle, une pensée du crime. Au-delà même des caractéristiques historiques du crime nazi – « aryens » contre « juifs » – la pensée de Heidegger est celle de tout groupe qui entend fonder sa domination et sa prospérité sur la mise à mort d’un autre groupe érigé en Ennemi existentiel. Le nazi heideggérien peut ne pas être allemand et être par exemple hutu. Etre et temps était déjà pour nous, dans son titre même, le livre de l’extermination « spirituelle » des juifs.

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Mais en quoi l’approche heideggérienne de la « chose » serait-elle soumise au nazisme ? Elle l’est de la même façon qu’Être et temps excluait déjà les juifs de l’humanité. « C’est la chose, dit Heidegger en GA 5, dans sa modeste insignifiance, qui est la plus rebelle à la pensée. Ou bien cette retenue de la simple chose, cette compacité reposant en elle-même et n’étant poussée vers rien ferait-elle partie de l’aître de la chose ? » C’est que la chose s’oppose à la marchandise et à l’objet, tous deux pris dans la machination et la raison calculante juives. Elle met au défi la pensée, la pensée véritable. Heidegger, le penseur du nazisme, la prend hautement en considération. Elle lui permet de déployer des significations qui seraient purifiées des effets marchands et calculateurs de l’enjuivement. A la promotion poético-ontologique de la chose correspond chez Heidegger le souci d’atteindre ce qu’il en est vraiment du monde pour autant, cependant, que le monde est dissimulé et corrompu du fait d’un enjuivement qui aurait répandu sur la terre, en la détruisant, objets et marchandises. Par la chose Heidegger circonscrit une « indemnité » du monde tout d’abord inapparente car recouverte de la poussière et des débris des objets et des marchandises. Pour Heidegger l’enjuivement est une pollution du monde par les objets et les marchandises. Son antisémitisme radical et exterminateur est ainsi une sorte d’écologie du monde, du monde tel qu’il le rêve. Elle s’énonce comme méditation de la choséité des choses. Habituée aux objets et aux marchandises la pensée trouve d’abord la chose rebelle à elle-même. Par un renversement qui lui est coutumier Heidegger poursuit sa purification en reconnaissant à la chose, dans sa choséité même, comme un pli et une compacité qui alerte la pensée des nouveaux rivages qu’elle doit atteindre. Elle doit se purifier, pour relever le défi que pose la chose, de l’ « objectivisme-subjectivisme » de l’objet et de la marchandise.

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Il ne s’agit pas ici de « nazifier » par principe toute approche de la choséité des choses. Mais avec Heidegger une telle approche est entièrement sous le coup du nazisme. Ce n’est pas un hasard si c’est en 1949, après la seconde guerre mondiale et 4 ans après le procès de Nuremberg, que Heidegger donnera la conférence intitulée La chose. Elle dit ce que peut devenir le monde, malgré la catastrophe que sont à ses yeux la défaite militaire et l’occupation, après que le meilleur du III° Reich ait réussi à anéantir presque totalement les juifs d’Europe.

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Par la chose l’homme authentique – l’allemand non enjuivé ou désenjuivé – s’affaire autrement qu’à propos d’objets et de marchandises. « Quand l’analyse d’un tel étant, dit Heidegger dans Etre et temps à propos de la chose, pousse son questionnement jusqu’à l’être, elle arrive à la choséité et à la réalité ». La choséité de la chose est transcendance de l’être. Elle nous soustrait aux jeux techniques et marchands avec l’étant. Le retour à la chose même, pour Heidegger, ne passe par Husserl mais par l’antisémitisme nazi. Mythologie spéculative guerrière pour laquelle l’objet et la marchandise sont le mal, et un mal juif ; pour laquelle la destruction des juifs d’Europe, même imparfaite, est une étape vers un monde de choses, vers un véritable monde.

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Voici au reste ce que dit Heidegger dans La chose (GA 79) : « L’ancien mot allemand thing ou dinc voulant dire le rassemblement de l’assemblée, à savoir en vue du traitement de l’affaire en cause, il est approprié comme aucun autre pour traduire le mot romain res – ce qui vient auprès de pour concerner – d’une manière qui est à la mesure de ce qui est en question ». Ce qui est en question étant l’être, son sens, à savoir le destin et l’identité du peuple allemand ce peuple allemand est « chose » en tant que, rassemblé, il est par ailleurs rassemblé par la question de son essence, de son identité. Etrangeté : le peuple est-il chose ? Oui au sens où il n’est ni objet, par exemple dans le cadre d’une objectivation sociologique de type marxiste ; ni marchandise en tant que pris dans les contraintes notamment salariales de l’économie marchande capitaliste. Ni objet, ni marchandise, le peuple est « chose » : assemblée, rassemblement où il est question de son essence, de son identité, de son destin. Après la seconde guerre mondiale Heidegger à la fois vante les mérites de la politique hitlérienne d’extermination et se dresse contre les effets de la défaite militaire. Délivré de l’enjuivement intérieur le peuple allemand devrait pouvoir retrouver en toute pureté la voie de sa souveraineté . Telle est la « chose ».

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Le retour à la chose même est ainsi retour à la « chose du peuple », au peuple, au peuple-race enraciné dans un paysage et parlant l’unique langue vivante de l’être après le grec. A un peuple dont la Stimmung, la disposition affective, donne au sang la voix qu’il convient pour purifier la terre des objets et des marchandises et ainsi retrouver le « sens du monde ».

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Si nous pouvons accorder à Heidegger d’avoir su poser les termes de certaines problématiques tout son discours est entraîné vers les abîmes du fait que « être » est le nom qu’il donne à cela même qui doit « transitivement » annihiler le « néant juif ».
Cela, bien entendu, est absolument refusé par l’académisme heideggérien. Car que faire alors de Heidegger ! Comment gérer la crise !? Avant la publication des Cahiers noirs on pouvait aisément, comme le faisait Hadrien France-Lanord, ne rien (vouloir) entendre de/à l’antisémitisme de Heidegger. Dans les Cahiers noirs, au contraire, l’antisémitisme heideggérien se déclare, se déchaîne. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Toute l’œuvre de Heidegger s’étaye sur l’antisémitisme, celui-ci étant présent sous une forme « sublimée » par une sémantique d’apparence savante. « Etre et temps », comme titre, est tel une porte à la serrure codée et derrière laquelle gronde l’antisémitisme le plus meurtrier. Chez Heidegger l’«enjuivement » n’est pas un mal, il est le mal. Il est à l’Etre heideggérien ce qu’est le néant de la sophistique à l’Etre platonicien. Mais il n’est pas seulement corruption de la pensée, il est aussi destruction du monde. Le grand philosophe Heidegger a construit ontologiquement un « bouc émissaire ». Ou, plutôt, l’ontologie heideggérienne est la « préparation » du bouc-émissaire. C’est déjà présent au cœur même d’Etre et temps, ce grand classique de la philosophie contemporaine.

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Telle est l’affinité insoutenable, inimaginable de Heidegger avec Hitler ; d’ Etre et temps avec Mein Kampf. Encore une fois c’est une erreur totale d’estimer que le thème de l’« enjuivement » ne concerne qu’un Heidegger privé, que cette partie banale et pitoyable de l’homme n’a rien à voir avec le penseur et l’écrivain magistral. L’essentiel de la pensée de Heidegger se construit contre cet « enjuivement ». Telle est la catastrophe « spirituelle » : c’est l’antisémitisme qui règle la production heideggérienne des significations. La question de l’Être, la question du sens de l’Etre est la marque heideggérienne du peuple-race en ce qu’il lui faut se libérer du néant dans lequel la « juiverie » plonge le monde et au premier chef les allemands détenteurs, et c’est tout dire, de la langue de l’être.

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Encore quelques mots sur la chose.
« La chose amène le quatuor à demeurer en son séjour. La chose met le monde en cause. Chaque chose amène le quatuor à demeurer dans son séjour dans ce qui chaque fois séjourne pour un temps à l’unisson du monde. » (GA, 79, 20).
Tout est résumé dans ces quelques phrases. Malheur à celui qui osera dire que le « quatuor » est une nouvelle transposition de la croix gammée ! Et pourtant. La chose, en purifiant de l’objet et de la marchandise, aménage le séjour pour l’indissolubilité de la co-appartenance du Ciel, de la Terre, des Dieux, des Mortels. Les juifs, sans monde, sont retournés, ou presque, au néant. Après la défaite militaire le nazi Heidegger mythifie quelque peu l’extermination. Même si la juiverie bolchévique et la juiverie américaine ont fini par imposer leur « immonde » il faut faire bonne figure et mettre en avant l’œuvre accomplie. Même inachevée elle est essentielle. Bref « la chose met le monde en cause ». La « cause du monde » comme on disait à une époque la « cause du peuple ». La chose dit l’unisson du monde avec son «chiffre », le quatuor. Et la clé est bien ce qui a été remporté comme combat contre l’ «enjuivement ». C’est ainsi que Heidegger, dans ces phrases apparemment anodines et purement « spirituelles », en appelle à une continuité du nazisme, à une renaissance du Reich.

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Par un tour digne d’un virtuose du « nazisme spirituel » Heidegger finit par faire de l’humble chose, cruche ou pichet, l’allégorie de la « cause du monde », cette cause enjoignant de « continuer le combat ». Contre l’enjuivement.

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