Petit contre-dictionnaire Heidegger : EREIGNIS = EVENEMENT/AVENANCE (< APPROPRIEMENT). [Cette notion désigne ce qui est censé advenir d’un « nouveau commencement » sous l’impulsion du III° Reich en tant qu’Etat antisémite et génocidaire].

Quel est le sens de l’usage heideggerien de Ereignis ? Le terme allemand est entendu spontanément comme signifiant événement. François Fédier, traducteur des Apports à la philosophie (et cela pour le malheur même de certains heideggériens) précise dans le Dictionnaire Heidegger (entrée « Avenance ») : « Tout Allemand comprend spontanément ein Ereignis comme ce que l’on nomme en français : un événement. Il est clair que ce mot-là non seulement souffre, mais appelle le pluriel. Un événement, c’est ce qui , au milieu de tout ce qui survient par ailleurs, et pour quelque raison que ce soit, attire particulièrement l’attention. Même si l’on posait que das Ereignis ne doit pas être confondu avec un événement, et qu’il faut donc l’entendre comme l’Evénement des événements, on s’engagerait dans une autre direction que celle vers laquelle Heidegger cherche à faire signe.
C’est pourquoi, dans un premier temps, j’avais pensé pouvoir tourner la difficulté en proposant de traduire das Ereignis par l’appropriement. Il est en effet possible d’entendre dans ce terme par quoi où quoi que ce soit devient proprement ce qu’il est ».

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A la fin de l’article François Fédier justifie cependant sa préférence pour « avenance » : « Proposer avenance pour traduire das Ereignis, c’est à notre tour, dans notre langue, saluer de manière seyante ce que (même à notre insu) ne cesse de faire l’être : venir jusqu’à nous comme ce qui nous regarde comme rien d’autre ne nous regarde ».

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Quoiqu’il en soit tout un passé d’injures à l’égard des « refuzniks » de l’heideggerisme ; tout un passé de dénégations à l’encontre du nazisme de l’auteur permet à F. Fédier d’installer (une fois de plus) le texte heideggérien dans une pureté spirituelle et, ce faisant, de traduire Ereignis comme s’il s’agissait d’une notion située à des années lumières du III° Reich. Au contraire, pour nous, Ereignis est une de ces notions – comme par exemple « autre commencement » – qui ne doit son existence qu’à celle du III° Reich en tant que Heidegger s’en estime être le penseur de la fondation. Il faut préciser que le III° Reich n’est en rien, pour Heidegger, un Etat idéalisé, un « socialisme national », opposable au « national-socialisme » (ou nazisme) en tant qu’il serait exempt notamment de violences racistes extrêmes. C’est en tant qu’Etat antisémite et génocidaire que Heidegger s’est rallié au III° Reich. C’est même le point essentiel de son adhésion tant au parti nazi qu’à la politique du Reich.
Libéré de la mythologie pro-heideggérienne il nous est possible de lire en ce sens le passage où Heidegger définit précisément ce qu’il en est de Ereignis. Nos références seront aussi bien la traduction Fédier que le texte original en l’espèce du volume 65 de la GA.
Voici d’abord le texte allemand du passage étudié :

Ereignis

«Par suite, traduit F. Fédier, l’étant est brusquement mis en place, en sa stabilité, par l’abîmement (Untergang) des fondateurs de la vérité de l’estre (Seyn) ». Il y a un aspect christique dans cette approche. Les « fondateurs de la vérité de l’estre » doivent, écrit plus haut Heidegger dans le paragraphe qui précède celui qui est ici publié, « être consumés dans le feu du secret bien gardé, afin qu’être-le-là soit possible à l’homme, et du même coup sauvée la stabilité au beau milieu de l’étant, afin que l’étant lui-même éprouve qu’il est de retour en l’Ouvert du litige entre Terre et Ciel ».
Qu’est-ce à dire ? Le texte de Heidegger s’adresse en droit aux cadres, notamment militaires et policiers, du III° Reich. Il leur est donc demandé d’envisager d’avoir à se sacrifier. Mais ils le feront comme des « Christs de la race » ; comme des incarnations du litige entre Terre et Ciel et ou « Ciel » peut devenir par trop « métaphysique », cela même exigeant une reprise de la part de la Terre. « Ouvert » signifie simplement qu’à nouveau quelque chose du sens de l’être et de sa vérité peut être entendu à savoir que l’Allemand a vocation à la Domination absolue. Ils ont ainsi à « être consumés dans le feu du secret bien gardé, afin qu’être-le-là soit possible à l’homme… ». Ces expressions heideggériennes sont à figurer dans le « livre noir » du langage d’extermination. Il s’agit du secret du génocide. Il s’agit d’entrer ou d’être en guerre dans ce but essentiel. Heidegger formule ici une sorte de mystique nazie pour SS et exterminateurs. « … Afin qu’être-le-là (dasein) soit possible à l’homme ». Afin que l’allemand retrouve son identité essentielle de membre d’une communauté parlant l’unique langue vivante de l’être. C’est l’homme nouveau heideggérien, heideggero-hitlérien et exerçant au nom de l’être le droit de vie et de mort sur tout individu n’appartenant pas au cercle de la communauté.

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« C’est l’estre, soi-même, qui exige cela ». Car, précisément, c’est une vérité de l’être que l’allemand parle la seule langue vivante de l’être. « Etre » est un mot doué de la magie de désigner aussi un principe non « métaphysique » de souveraineté. Dieu ordonne : Tu ne tueras pas. Etre ordonne : Tu extermineras les ennemis (métaphysiciens) de l’être et de sa vérité.

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« Il lui faut de tels êtres capables de s’abîmer ». L’être, c’est comme King-Kong ! Il lui faut des sacrifiés. Il lui faut des êtres capables de mort, les juifs ne pouvant que périrent. Les uns mourront ainsi noblement au combat tandis que les autres ne feront que périr dans les lieux de mise à mort. S’abîmer veut dire : être capable de mort en se sacrifiant, en se donnant au fond du fond, au fond de la fondation en vertu de laquelle l’allemand retrouvera la place qui lui échoit en vertu de la vérité de l’être : la première.

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« Et où un étant fait apparition, l’estre a déjà fait venir-à-soi ceux-là : il se les déjà choisis et assignés ». Un étant, quel qu’il soit, n’apparaît qu’au regard d’une expérience humaine. Ou, pour mieux dire, qu’au regard d’une expérience pré-humaine. Les juifs, pour Heidegger, sont privés du sens de l’être et ne font que s’affairer avec l’étant. Pour le nazi Heidegger l’être – qui n’est pas l’étant – a toujours déjà choisis ceux qui, au contraire, ont comme le savoir inné de la différence ontologique, de ce qui fait que l’être n’est pas l’étant. C’est la version heideggérienne et national-socialiste de « l’élection » : les allemands ont été choisis et assignés pour ainsi dire à la « question même de l’être ».

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« Telle est la manière dont se déploie la pleine essence de l’estre-même ; nous nommons cela l’avenance (Ereignis). » (Das ist die Wesung des Seyns selbst, wir nennen sie das Ereignis).

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Heidegger «habille » la criminalité nazie d’un messianisme de l’être. Il est persuadé que le salut de l’humanité authentique passe par l’extermination des juifs. Telle est l’Ereignis. Serons noblement sacrifiés, abîmés au fond du fond, certains parmi ceux qui extermineront l’ennemi intérieur en tant qu’il empêche l’avenance de l’humanité authentique, de cette humanité capable de « différence ontologique ». Les allemands : le peuple de l’être. Les juifs : les gens de l’étant. La « différence ontologique » est sélection.

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« Impossible de prendre toute la mesure de la richesse de la relation en mutuelle volte-face qu’entretient l’estre avec un être-le-là venu à soi-même ; incalculable, la plénitude de ce qui fait l’avenance. Très peu seulement peut être parlé ici, dans cette pensée qui en est à ses commencements, « de l’avenance ».

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Heidegger soigne le moral des troupes. Il promet beaucoup de la « mutuelle volte-face » entre l’être et le Dasein (ce que j’ai appelé ailleurs « Daseinaryen »). Comment la jeunesse nazie universitaire pouvait-elle être insensible à tant de si belles paroles ? Il vaut le coup de risquer de s’abimer dans le fond de la fondation car, une fois le « pays » délivré de la « juiverie », l’allemand allait retrouver tous ses pouvoirs en tant que fondés en l’être. Après le grand massacre le pays de Cocagne ! Des Hölderlin, des Wagner, des Heidegger par centaines!

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« Cette parole est interrogée et pensée au sein « de ce qui entre en jeu » dans ce que se lancent l’un à l’autre le premier commencement et l’autre, à partir de « ce qui vient résonner » de l’estre, au temps de l’urgence où plonge l’abandonnement par l’être, pour ce qui est du « saut » en l’estre, afin de « fondamenter »sa vérité pour autant que cela prépare « ceux qui sont tournés vers l’avenir » « du Dieu à l’extrême ».
On peut faire confiance à l’académisme heideggérien – en attendant des célébrations de Heidegger nazi – pour gommer la sémantique nazie du texte. Le premier commencement, le commencement grec a été doublement mis en échec dans son œuvre de fondation par le virage métaphysique pris par Platon et Aristote et par le « judéo-christianisme ». La situation actuelle est marquée par « l’abandonnement par l’être ». Mais le temps est celui de l’urgence : judéo-libéralisme et judéo-bolchévique déchaînent leur métaphysique égalitaire et technicienne. L’académisme niera farouchement que l’urgence est celle à laquelle le III° Reich doit répondre : l’extermination aussi bien des rouges que des juifs. Si, comme je le pense, Auschwitz est le symbole a posteriori du « saut » en l’estre » cela interdit de voir dans les Apports à la philosophie, et particulièrement à propos de l’avenance, une pensée pure se risquant à la pointe des questions les plus essentielles.

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La « question la plus essentielle » est en effet résolument non seulement étrangère à l’humanité mais lui est violemment hostile : il s’agit des conditions notamment « spirituelles » d’une domination allemande en tant qu’au nom de l’être, qu’au nom « du Dieu à l’extrême », il sera exercé un droit absolu à propos de qui doit vivre et de qui doit mourir.
Les Apports à la philosophie, sous-titré De l’avenance, sont fondamentalement un cours de nazisme « spirituel », de formulation philosophique, et destiné à ceux qui, assumant héroïquement leur « être-pour-la-mort », se préparent à procéder aux tueries de masse indispensables au « saut en l’être ».

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