Cette entrée permet d’examiner ce qu’il en est au juste de la position de Heidegger à l’égard du « racisme biologique ». Certains auteurs ont cru « dénazifié » Heidegger en saluant son opposition au racisme biologique. Mais on peut être un tenant d’un « racisme spirituel » lequel n’est pas moins violent et barbare. Tel est le cas de Heidegger.
Heidegger était conscient que l’argument du sang, seul, était incapable de « fonder » une conception, pour lui nécessaire et justifiée, d’un peuple-race. Voilà ce qu’il dit page 153 des Oeuvres complètes Volume 38 : « C’est ainsi que le sang lui aussi et l’ascendance ne peuvent déterminer l’homme sur un plan essentiel que s’ils sont déterminés par des dispositions affectives, jamais uniquement par eux-mêmes. La voix du sang – die Stimme des Blutes – provient de la disposition affective fondamentale de l’homme. Elle n’est pas suspendue au-dessus pour elle-même, mais elle a sa place à elle dans l’unité de la disposition affective. A cette unité appartient aussi la spiritualité de notre être-le-là, laquelle advient en tant que travail ».
Texte allemand :
Que signifie ce passage par ailleurs parfaitement intégré dans « l’espace » nazi et hitlérien?
C’est une évidence, pour Heidegger, que le sang ne fait pas à lui tout seul « l’esprit allemand ». Sans une « disposition affective » correspondante le sang est incapable de « déterminer l’homme sur un plan essentiel ».
Mais qu’est-ce, alors, que la « disposition affective »? Elle n’est tout d’abord pas une qualité ou une tonalité de l’intériorité d’un sujet. « … Nous sommes, dit Heidegger, par la disposition affective et grâce à elle, transportés dans l’étant et dans son être, que c’est elle qui nous ouvre et qui nous referme l’étant. En vertu de la disposition affective, nous sommes exposés au-dehors dans l’être, qui nous oppresse ou nous exalte ».
Il s’agit bien de ne laisser aucune place à une vie intérieure individuelle. Nous sommes par la disposition affective « exposés au-dehors… nous nous effaçons, nous y oubliant ».
Cela permet à Heidegger, toujours grand penseur de l’Etre, d’accorder en passant tout son crédit à la place accordée par le nazisme à la propagande en tant qu’elle investit massivement précisément l’extériorité. Celui ou celle qui éprouverait des réticences à se laisser « embarquer » par l’esthétisation nazie de l’extériorité serait en somme monstrueux, anormal, inauthentique, « libéral ».
La séquence étudiée est précieuse pour l’archéologie du « nazisme savant ». Elle indique que le sang n’est pour rien dans la race puisque, sans l’exposition au-dehors où règne une intense propagande il ne saurait se produire la disposition affective qui, seule, détermine « l’homme sur un plan essentiel ». Cela ne signifie nullement que les allemands pourraient négliger la pureté de leur sang. Il faut bien, eu égard à la disposition affective, pouvoir exhiber le signe lui-même extérieur qui garantit l’être-race. Mais celui-ci dépend en réalité de la seule « disposition affective ». Parmi les « vrais allemands » au moins un avait en réalité, sans qu’il le sache, du « sang juif ». Cela n’a aucune importance : c’est la disposition affective qui fait l’esprit allemand. Mais cela en a une administrativement puisque, en cas de preuve que tel était le cas, la disposition affective ne pouvait que sembler être alors corrompue par l’imposture et le mensonge.
Il s’agit d’une construction imaginaire, fantasmatique, qui sémantise un trait biologique en lui-même inopérant mais qui a besoin de lui pour se justifier.
Par ailleurs « travail », « mission » et « charge » constituent cela même qui donnent précisément tout son sens à la disposition affective. Heidegger sait que « l’allemand », « l’homme allemand » – l’aryen – est telle une « oeuvre » qui se constitue par le travail, la mission et la charge. Le sang et l’ascendance ne sont pour rien quant à la réalité du peuple-race mais, sans eux, « travail », « mission » et « charge » ne pourraient justifier leur orientation commune et à vocation « historiale ».
On comprend également que la haine et la diabolisation de l’autre sont nécessaires à la « production » de « l’oeuvre ». Il s’agit de donner un sens particulier à « allemand », sens constitutif d’un « peuple-race » et auquel est donnée une mission historiale, mission qui inclut de manière circulaire d’avoir à exterminer ce qui menace l’intégrité du peuple-race.
C’est en tenant compte du travail, de la mission, de la charge que le peuple-race se constitue comme celui pour lequel le sang a fantasmatiquement un sens fondamental.
Heidegger avait bien vu en quoi la seule invocation du sang est par trop inopérante. Il importait selon lui de tenir au plus haut point compte de la « disposition affective ».
« C’est la disposition affective, dit-il, qui fait que l’homme n’est jamais un sujet individuel; il se tient au contraire toujours dans le mode d’être consistant à être ensemble les uns avec les autres, soit l’un pour l’autre soit l’un contre l’autre ». Un des leitmotiv de Mein Kampf, d’Hitler, est précisément que les juifs pèchent par un indéracinable individualisme. Heidegger, sur ce point, porte toujours les bonnes moustaches.
Au reste, précisément, il ne s’agit pas seulement du « sang » mais de la voix du sang, Stimme des Blutes.
C’est grâce à la disposition affective que le sang a une voix!
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Pour Heidegger le racisme est « spirituel » ou n’est pas. Il s’était ainsi convaincu qu’il était un des rares nazis authentiques du III° Reich.
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> Il nous reste, dans un article prochain, à éclaircir davantage ce qu’il en est au juste de la disposition affective.
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je trouve passionnant vos articles,je n’ai pas encore tout lu.Ce qui m’étonne c’est le nombre important d’intellectuels qui sont tombés dans cette toile alors que déjà Karl Kraus en 1933 avait mis en garde contre ce nazi dangereux pour la pensée.L’engouement pourtant n’a pas cessé.Je ne suis pas philosophe je m’intéresse à la philosophie mais à lire ou à écouter certains commentaires la pensée de Heidegger cela ressemble beaucoup à un préchi précha de gourou de secte dangereuse.Faire table rase de la raison pour arriver à la pensée ça veut dire quoi?et ça mène à quoi?Vraiment je suis sidéré par cette défaite de l’intelligence face à un discourt raciste noyé dans un charabia qui par moment contient des phrases excessivement claires sur la finalité du discourt
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