L’heideggerianisme est le grand discours du racisme européen, discours qui place le peuple allemand à sa tête.
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Au-delà de l’antisémitisme, qui n’est pas seulement « idéologique » mais aussi « pratique » car d’extermination Heidegger justifie une vision du monde selon laquelle les peuples sont profondément hiérarchisés. Le peuple allemand parle ainsi l’unique langue de l’être vivante et est fondé, à ce titre, à mettre en œuvre la « vérité de l’être ». Cette « vérité de l’être » c’est, précisément, et contre toute conception de droits humains universels et inaliénables, ce qui fait que des peuples ont vocation à disparaître – les Juifs, les Tziganes, les Héréros de Namibie… – tandis que la plupart des autres sont à combattre, à soumettre et à mettre en esclavage. Les français, qui font honte à la pensée avec Descartes, doivent ainsi en passer par l’allemand pour penser.
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Gallimard et le traducteur François Vézin n’ont pas craint de publier en 4eme de couverture de l’édition de 1986 d’Etre et Temps un extrait de Le nihilisme européen, texte de Heidegger de 1940, et où Heidegger met Etre et Temps en « perspective nazie ». « L’essence de l’homme, y écrit en effet Heidegger, se détermine à partir de la vérité de l’être laquelle se déploie en son essence du fait de l’être lui-même. Ce que tente de faire le traité intitulé Etre et Temps, c’est de partir de la vérité de l’être – et non plus de la vérité de l’étant – pour déterminer l’essence de l’homme en ne la demandant à rien d’autre qu’à sa relation à l’être et pour concevoir en son tréfonds l’essence de l’homme, elle-même désignée comme Da-sein au sens clairement fixé à ce terme ».
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L’expression « vérité de l’être » est l’expression-clé du racisme violent et à vocation étatique de Heidegger.
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C’est, par exemple, la « vérité de l’être » qui fait que les allemands parlent la langue de l’être tandis que les juifs sont sans monde, weltloos, et sans sol, bodenlos.
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La lecture proposée ici fait de l’article RACISME du Dictionnaire Heidegger des éditions du Cerf un moment suranné et plein de charme négationniste. Lisons ce que pense du racisme de Heidegger Hadrien France-Lanord : « En montrant en quoi la « pensée de la race aussi, et précisément elle, n’est possible que sur le sol de la subjectivité » (GA 90, 38), Heidegger n’est pas seulement contre le racisme ; l’originalité de sa pensée est de montrer à quelle époque de l’être appartient le racisme (ainsi que le biologisme qu’il ne cesse de dénoncer publiquement depuis les années 20), et de faire apparaître par quel dévoiement proprement métaphysique le nihilisme occidental en est arrivé jusqu’à cet extrême ».
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Hadrien France-Lanord s’en prend ainsi aux Lumières – qui sont selon lui pré-racistes – à Voltaire, à Hume, à Hegel, à Henri Poincaré. Ils sont racistes. Heidegger pas.
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Rien par exemple sur la remarque de Heidegger sur les Cafres dans La logique en quête de la pleine essence du langage. Rien sur l’amitié indéfectible qui a lié Heidegger à Eugen Fischer, un des conseillers pour Mein Kampf, grand patron de l’eugénisme hitlérien, maître de Mengele et co-auteur du génocide des Héréros de Namibie.
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Mais, surtout, l’article n’interroge pas la manière dont Heidegger a cherché, non sans difficultés, à substituer au « racisme » d’origine « libérale » supposé fondé sur la subjectivité une discrimination quant à elle fondée en l’être et sa vérité. La publication des Cahiers noirs et de leurs déclarations explicitement antisémites a ébranlé Hadrien France-Lanord. « Les propos de Heidegger où des préjugés antisémites éculés se mêlent à une indigence de pensée doivent être interrogés avec gravité » dit dans un premier temps l’auteur. Remarquons tout d’abord que s’il est vrai que Heidegger reprend à son compte les préjugés antisémites « standards » il leur donne une formulation destinée à les intégrer à son œuvre et cela, qui plus est, dans un esprit testamentaire. L’auteur, cependant, soutient que cela ne relève pas d’un racisme. Ces préjugés, dit-il, « ne peuvent pas sans indécente malhonnêteté être transformés en ce qu’ils ne sont pas : des propos discriminatoires motivés racialement ». C’est en partie vrai mais pas au sens où l’entend l’auteur et qui conduirait à minimiser la dangerosité et la violence de la vision du monde heideggero-hitlérienne. Il s’agit bien de substituer, et parce que le racisme habituel et moderne se fonderait sur des schémas « libéraux », au racisme ainsi justifié biologiquement une discrimination ontologiquement vraie et nécessaire. Les allemands parlent la langue de l’être ; les juifs calculent et, ainsi, sont voués à l’étant, non à l’être.
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Les critiques du racisme et du biologisme nazis ne constituent nullement, de la part de Heidegger, une sortie hors de la conception du monde nazie. Elles visent au contraire à une purification du nazisme en faveur de ce qu’il a de plus systématiquement violent. Heidegger croit au « nouveau commencement », au « déferlement de l’essence », à la venue de « l’homme à venir ». Le racisme moderne classique appartient encore à l’ancien commencement et à son fourvoiement métaphysique. C’est au reste un thème de certains intellectuels nazis que de mettre sur le dos des juifs l’invention de la race et du racisme. D’une certaine manière les nazis façon Heidegger ont exterminés les juifs par antiracisme !
Mais cela ne fait pas de Heidegger un nazi dénué de toute référence à la biologie. Il justifie par exemple, dans La logique…, la « voix du sang ». Il justifie aussi le programme Blut und Boden, sang et sol.
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La réduction des déclarations antisémites de Heidegger à des préjugés éculés et le reproche fait au maître de la pensée de faire preuve par là d’une « indigence de pensée », permettent à Hadrien France-Lanord de passer à côté, en le dissimulant, en le voilant, de ce qui constitue la spécificité du nazisme et du racisme heideggériens.
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La musique heideggérienne est ainsi : il lui fallait sublimer par l’ontologie les pratiques d’un Etat dont il approuvait les formes les plus extrêmes de violence.
Heidegger a validé l’expression de Blut und Boden : « Blut und Boden sind zwar mächtig und notwendig », « sang » et « sol » sont des termes puissants et nécessaires ».
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Par ailleurs, mais cela n’étonne pas de la part d’un heideggérien, Hadrien France-Lanord utilise une forme de chantage moral pour discréditer par avance toute lecture qui ne s’en laisserait pas compter par la fable de l’innocence de Heidegger. Lorsqu’il écrit que les préjugés antisémites de Heidegger « ne peuvent pas sans indécente malhonnêteté être transformés en ce qu’ils ne sont pas : des propos discriminatoires motivés racialement » il cherche de manière assez grossière à disqualifier d’avance le lecteur qui ne serait pas d’accord avec lui. Moi-même, ici, je ferais preuve d’une « indécente malhonnêteté ».
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Heidegger est un Dieu pour les heideggériens. Quand Heidegger ment, manipule, égare il n’en demeure pas moins un penseur intègre et sincère. Quand il a dit qu’il avait fait de la « résistance spirituelle » les heideggériens ont repris en chœur : « Heidegger fut un résistant spirituel » !
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Pas « raciste » Heidegger ? Peut-être mais il fut encore « pire ». La violence allemande nazie fut encore trop celle d’un « troupeau ». Elle aurait du être davantage exercée « ontologiquement » avec noblesse, avec esprit de décision, sans haine et en sachant que ceux qui étaient exterminés l’étaient pour la cause de la « vérité de l’être ».
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L’apparent anti-racisme de Heidegger n’est que le résultat de son programme de déconstruction. Mais, au-delà, Heidegger justifie les pires violences.
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L’immonde de Heidegger est bien là : les peuples à exterminer sont les peuples voués à l’étant. Le peuple d’humains véritables est le peuple allemand. C’est l’unique peuple de l’être. Il est celui qui a accès à la vérité de l’être. Et qui l’administre dans les camps d’extermination.
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