Petit contre-dictionnaire Heidegger : NAUFRAGE DE L’HEIDEGGERIANISME

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L’expression de « naufrage de l’heideggérianisme » est due à Lorenzo Ramella, auteur d’une étude intitulée L’expérience critique – L’aventure de la raison dans la philosophie française après Heidegger (Editions Ovadia, Nice, 2011). L’ouvrage est préfacé par Jean-François Mattei. Lorenzo Ramella « montre, écrit Mattei dans sa préface, comment l’effort de radicalité de Heidegger pour retrouver « le sens de l’être » a échoué tant chez le penseur de Messkirch que chez ses épigones qui prétendaient être plus radicaux que le maître. » Mattei, auteur d’une étude fameuse sur le Quadriparti de Heidegger, ne semble pas contester le diagnostic de Ramella.

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C’est dans le chapitre 4 de l’ouvrage que Ramella constate le « naufrage de l’heideggérisme ». Il n’est pas une seule fois question de l’engagement politique de Heidegger. Le naufrage de l’heideggérisme n’est nullement un naufrage idéologique et politique. Heidegger aurait surtout échoué à tenir ensemble ontologie et herméneutique. Si, en effet, la « question du sens de l’être » est celle d’une ontologie phénoménologique on comprend qu’elle puisse théoriquement aussi fonder une herméneutique en tant que perspective interprétative plus attentive quant à elle aux faits langagièrs qu’aux phénomènes. Heidegger, dit-on, aurait précisément échoué à élucider le « sens de l’être ». Mais, surtout, sa phénoménologie serait déjà par trop herméneutique et son herméneutique par trop phénoménologique. Le post-heideggérisme se caractérise ainsi par un retour de la phénoménologie à la chose des phénomènes la phénoménologie heideggérienne étant finalement caractérisée comme une « phénoménologie sans phénomènes ». Quant à l’herméneutique elle a, dit Ramella, « entrepris une œuvre de renouvellement de la pensée de ses propres objectifs, afin de couper toute tentation de type ontologique ».

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Quoiqu’il en soit, note-t-il dans la conclusion du chapitre, phénoménologie et herméneutique françaises demeurent étroitement endettées à l’égard de l’heideggerianisme.

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Cette « dette » ne repose-t-elle pas cependant sur un malentendu et une illusion ? Et, certes, ce grand « endetté » que fut Derrida est aussi un de ceux qui surent esquisser une mise en évidence des « adhérences profondes du texte heideggérien (écrits et actes) à la possibilité et à la réalité de tous les nazismes ». On peut regretter que ce « programme » n’ait pas eu alors le développement qu’il méritait.

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Car on ne peut que déplorer la persistance d’une lecture naïve de Heidegger. Si l’on peut identifier dans l’espace académique des impasses, des promesses non remplies, des apories, des contradictions ces signes de naufrage traduisent une catastrophe bien plus grave et qui s’est déroulée sur le terrain social et politique. Le nazisme heideggérien juge l’œuvre. Et si, pour Heidegger, Auschwitz est une « réussite » – il avait en effet recommandé en 1934 l’ « anéantissement total » de « l’ennemi intérieur enté sur les racines du peuple » – cette réussite à son tour juge Heidegger.

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Voici un exemple de naïveté. A la page 23 Ramella cite Heidegger : « Le concept traditionnel de l’être ne suffit pas pour nommer tout ce qui « est ». Il faut donc que l’expérience de l’être soit refaite de fond en comble et dans toute l’ampleur de l’estance possible de l’être, si nous voulons mettre en œuvre, en tant que tel, notre être-là historial ». (Introduction à la métaphysique).

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La naïveté « vraie » est involontaire. Mais on ne peut exclure qu’à propos de Heidegger ce ne soit pas la naïveté feinte qui ait manqué. En l’occurrence la naïveté, feinte ou vraie, consiste à comprendre l’expression « notre être-là historial » comme un universel, comme proche d’une notion comme celle de « condition humaine ». Or il n’en est rien. «Notre être-là historial » désigne la communauté de terre, de sang et de langue des allemands. C’est une habile transposition heideggérienne de « aryen ». Au reste Introduction à la métaphysique, d’où est tiré ce passage, est un des textes les plus hitlériens de Heidegger. Cette soi-disant introduction à la métaphysique est en réalité une introduction symbolique dans l’espace du génocide.

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Pendant de longues années encore, et alors que le « naufrage » est constaté, il faudra faire avec un Heidegger académique et pétrifié dans sa figure de grand penseur et accepter d’être victime de ce qu’il a lui-même appelé des Denkname, des prête-noms. La Gesamtausgabe est le prête-nom du nazisme hitlérien, la référence pour les « penseurs », universitaires ou non, qui rêvent d’apporter leur concours « spirituel » aux crimes de génocide.

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