Dans un documentaire sorti en 1975, un an avant sa mort, Heidegger répondait à une critique formulée par le réalisateur :
– Ont-ils raison, ceux qui de vos critiques qui prétendent que Martin Heidegger s’occupe de la question de l’Etre avec tant de concentration qu’il y a sacrifié la condition humaine, l’être de l’homme en société et en tant que personne ?
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– Cette critique est un énorme malentendu. Car la question de l’Etre, et le déploiement de cette question, présuppose justement une interprétation du Dasein, c’est-à-dire de l’être de l’homme. Et l’idée qui est au fondement de ma pensée, est précisément que l’Etre ou le pouvoir de manifestation de l’Etre, a besoin de l’homme, et que, inversement, l’homme n’est homme que dans la mesure où il est dans la manifesteté de l’Etre. Par-là devrait être réglé la question de savoir dans quelle mesure je ne m’occupe que de l’Etre en oubliant l’homme. On ne peut pas poser la question de l’Etre sans poser celle de l’être de l’homme.
Regardons et écoutons :
Dans une première partie le documentaire montre madame et monsieur Heidegger au cours de leur voyage en Grèce. C’est magnifique! L’aube de la pensée!
Dans cette brève réponse gît pourtant toute l’imposture et toute la duplicité insupportable et nauséabonde de Heidegger. D’abord il semble s’exprimer « hors tournant » et parler comme s’il venait d’écrire Sein und Zeit, le livre censé avoir fait de lui le grand philosophe du XX° siècle. Ensuite il n’hésite pas à jouer avec une interprétation particulièrement leurrante de Dasein en l’espèce de « l’être de l’homme ». Pour ce documentaire grand public il évacue sa propre précision selon laquelle Dasein est « être-le-là ». Puis, mais c’est le plus grave, il plante sa banderille hitléro-nazie avec cette déclaration : « … l’homme n’est homme que dans la mesure où il est dans la manifesteté de l’Etre ».
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Les Cahiers noirs ont précisé ce qu’il en était : il y a des hommes qui, pour n’être pas dans la « manifesteté de l’Etre », ne sont que des ombres d’hommes. Les juifs sont « sans monde », sont « sans sol », ils « n’osent pas l’être ». En 1975 Heidegger se tenait ainsi, armé du Dasein, sur la rampe d’Auschwitz.
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C’est absolument obscène et insupportable. On s’extasie devant un événement de pensée alors qu’en fait Heidegger est ici un vieux nazi qui, sans radoter, recycle Etre et Temps pour justifier en sous-main Auschwitz. Mais alors Etre et Temps n’a-t-il pas toujours été une antichambre à la politique génocidaire du Reich? Mais alors Auschwitz n’est-il pas le meilleur cas de ce que Heidegger appelle, dans La lettre sur l’humanisme – lettre dans laquelle, toujours en sous-main, il prend la défense des accusés de Nüremberg en en faisant des « bergers de l’Etre » – accomplissement?
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Auschwitz accomplissement de l’ontologie phénoménologique!
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