Je ne suis pas Trawny – Le sauvetage de Heidegger par Peter Trawny frôle le ridicule – A propos de « La liberté d’errer » – L’Etat Islamique est un état erratique

 

 

Indigène éditions vient de publier la traduction d’un essai de Peter Trawny, et dont elle avait passé commande, intitulé La liberté d’errer avec Heidegger. Telle est la grande invention pour digérer l’antisémitisme et le nazisme heideggériens : les vrais penseurs, seuls, expérimentent la liberté d’errer quitte à incarner parfois la catastrophe comme, par exemple, l’antisémitisme. « On comprendra, dit Sylvie Crossman en quatrième de couverture, comment ce texte d’une liberté « abyssale », qui renvoie à leur médiocrité nos faux philosophes devenus des « machines à calculer au plus juste le bien-être de l’humanité », prend place chez Indigène ».

Je me suis surpris à avoir une pensée pour Türing. Ce génial mathématicien et calculateur – il ne pensait ni errait – a réussi à percer les codes utilisés par l’armée allemande. Alors qu’en Allemagne Heidegger pensait et errait avec des insignes nazis à la boutonnière le pauvre Türing calculait comment déjouer la cryptologie nazie. Il défendait le bien-être des anglais ! Et au lieu de penser, notamment en compagnie de Hölderlin, il passait son temps à calculer et à décrypter ! Quel con !

Je remets à plus tard – la lecture de Trawny m’ennuie prodigieusement – une analyse plus complète de l’opération « errance ». En attendant voici un commentaire d’un passage que je trouve tout simplement ridicule.

« L’homme, pour Heidegger, n’est pas un sujet qui dispose de sa vérité. Il apprend plutôt que la vérité se produit comme «mise à découvert ». S’exposer, cela signifie in-tranquillité, vulnérabilité, besoin de protection. On est exposé au soleil, à la violence. L’exposition du Dasein – le Dasein comme mise à découvert – représente une expérience de la liberté. L’échec, l’effondrement de l’espérance, sont autant d’épreuves que l’animal ne saurait endurer. Le suicide n’est possible que pour l’homme ; il est un écho de la liberté tout comme la tendance à l’habitude, à la routine ».

Le ridicule du texte tient à ce que Trawny joue le jeu voulu exactement par Heidegger en l’espèce d’un simulacre d’universalité. « Homme », chez Heidegger, n’est pas un générique dont les « allemands », les « français », les « cafres » et surtout les « juifs » seraient des espèces et des espèces égales. Un des buts de la doctrine du Dasein est précisément de faire voler en éclats le générique « homme ».

Voici ce qu’il en est, en effet, du racisme heideggérien :

1- Les français ont besoin de l’allemand pour penser.

2- Les Cafres – les africains – n’ont pas d’histoire.

3 – Les allemands parlent la seule langue de l’être vivante (après cette première langue de l’être que fut le grec et, surtout, le grec pré-socratique).

4 – Les juifs n’osent pas l’être.

Parler d’ « homme », comme le fait lui-même parfois Heidegger, est une sinistre plaisanterie. S’il existe un humour (noir) heideggérien « homme » est un « bon mot ».

Précisément Trawny, lorsqu’il rappelle dans la première partie ce qu’il en est de l’antisémitisme de Heidegger prend soin d’écarter ce qui viendrait contredire « l’universalisme » (seulement) apparent de Heidegger. Le Dasein a un rapport privilégié à l’être, à la question de l’être. Or, pour Heidegger, les juifs sont précisément ceux qui « n’osent pas l’être ». Ils sont donc de ce fait exclus du (pseudo) générique « homme ». A ce titre ils sont des « exterminables »; ils corrompent ce que doit être l’humanité authentique et au premier chef l’humanité allemande en tant qu’elle parle l’unique langue de l’être vivante.

Et là on retombe sur le « fil noir » de  Heidegger et du nazisme. Car si la vérité est « mise à découvert » il importe que le Dasein – mais il s’agit du Dasein de  « notre Dasein », du peuple allemand – s’expose à ce que doit être sa mission « historiale ». L’exposition dont parle Trawny est l’exposition du peuple – de « notre Dasein » – à cette vérité en quoi consiste le fait que, les juifs n’osant pas l’être, il s’impose de  les exterminer, de leur appliquer ce que Heidegger a nommé dès 1934, l’ « anéantissement total », le « völligen Vernichtung ».

Les authentiques « errants » sont donc tous ceux qui vont sortir de leur bien-être moral pour participer à ce qui  se nommera en 1942 « solution finale ». Himmler ? Errant, pensant et poète. Mengele ? Errant, pensant et poète. Eichmann ? Errant, pensant et poète. (Pendant ce temps-là, on l’a vu, Türing habitait et se fixait mesquinement dans le calcul).

Aujourd’hui même l’Etat Islamique a quelque chose de très heideggérien. C’est l’Etat même de l’errance, de l’errance notamment hors de toute compassion judéo-chrétienne et hors de l’Islam quand celui-ci lui apparaît contaminé par cette compassion.

Trawny calibre minutieusement ses arguments. Il fait ainsi du suicide un des traits distinctifs de l’humain par rapport à l’animal. Il aurait pu tout aussi bien mettre en avant le crime. Jamais un animal n’est un criminel, même quand il tue. Presque tout le temps l’homme tue ses semblables d’un geste criminel. C’est, précisément, le « völligen Vernichtung » heideggérien de l’année 1934. C’est l’ignoble industrie d’Auschwitz. Ce sont les égorgements-décapitations médiatiques de Daeich.

Heidegger est nazi. Sa pensée est celle d’un philosophe d’un Etat génocidaire.

 

 

 

 

 

 

1 commentaire

  1. Je suis exactement à l’inverse de l’auteur de l’article : je n’ai jamais lu Heidegger, mais j’ai lu le livre incriminé, la liberté d’errer. N’ayant donc pas lu le premier, et ne connaissant d’ailleurs pas même l’auteur du livre cette fois, c’est sans préjuger de rien que je m’y suis plongé, et surtout, sans m’intéresser à Heidegger : peu importe qu’il ait existé ou non, antisémite ou non, le livre mérite par lui-même. Hors passion : pourquoi s’attaquer à un homme qu’on ne connait pas personnellement ? Quelle cause ou quelle « vérité » vaut donc plus qu’un seul être humain ? Je conseille aux lecteurs la lecture du roman Les Bienveillantes : le héros, nazi, nous interpelle avec justesse pour que nous ne reléguions pas le mal chez autrui (principe de la projection de ce qu’on ne veut pas voir chez soi), mais découvrions en nous-même la vérité, dans le « méchant » un semblable au plein sens du terme.
    A.D.

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