Petit contre-dictionnaire Heidegger : MUNICH

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Deux brasseries munichoises, la Hofbräuhaus et la Bürgerbräukeller, sont associées à l’histoire du nazisme. C’est dans la seconde, en 1923, qu’Hitler a donné le signal d’un putsch qui devait renverser le gouvernement de Bavière puis le gouvernement fédéral. Le putsch fut réprimé et Hitler condamné à 5 ans de forteresse. Bien entouré, c’est dans la prison de Landsberg qu’il rédigea Mein Kampf. Il fut libéré par anticipation.

Quelques années auparavant, en 1920, Hitler mettait au point à la brasserie Hofbräuhaus le programme en 25 points du parti nazi.

Parmi ces points notons les points 4 et 24, clairement antisémites :

4. Seuls les citoyens bénéficient des droits civiques. Pour être citoyen, il faut être de sang allemand, la confession importe peu. Aucun Juif ne peut donc être citoyen.

 

24. Nous exigeons la liberté au sein de l’État de toutes les confessions religieuses, dans la mesure où elles ne mettent pas en danger son existence ou n’offensent pas le sentiment moral de la race germanique. Le Parti en tant que tel défend le point de vue d’un christianisme positif, sans toutefois se lier à une confession précise. Il combat l’esprit judéo-matérialiste à l’intérieur et à l’extérieur, et est convaincu qu’un rétablissement durable de notre peuple ne peut réussir que de l’intérieur, sur la base du principe : l’intérêt général passe avant l’intérêt particulier.

Hof 2 BurgerbraukellerHitler à la Bürgerbräukeller en 1920

Hof

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Hitler à la Hofbräuhaus en 1923

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Mais que vient faire ici Heidegger ?

Tout d’abord il a postulé pour occuper le poste laissé vacant par Hönigswald en 1933 à Munich. Il a expliqué à Elisabeth Blochmann, dans une lettre du 19 septembre 1933, qu’il entendait ainsi avoir « la possibilité, notamment, d’approcher Hitler ». La Faculté de Munich justifia son refus de nommer Heidegger entre autres en mettant en avant son extrémisme. Heidegger, conclut le rapport d’une séance réunissant les professeurs ordinaires de la Faculté de philosophie de Munich – le 26 septembre 1933 – « serait, pour la Faculté, politiquement trop extrême ». Qui plus est, est-il dit,  « avec de telles phrases, les étudiants ne pourraient se voir offrir aucune philosophie ». (Source : Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, E. Faye, Albin Michel 2005, page 82).

Mais ce ne sera pas le seul lien de Heidegger avec Munich.

C’est en effet le 18 novembre 1953 que Heidegger prononça dans cette ville, à l’Académie bavaroise des Beaux-arts, une conférence qui devint célèbre sous le titre  de La question de la technique.

Nous pourrions, le texte correspondant étant généralement considéré comme un des plus profonds qui ait été écrit sur la technique, nous en féliciter. Heidegger, en démissionnant en 1934, aurait signifié sa rupture avec le nazisme. (Voir, à l’article DEMISSION, en quoi celle-ci ne fut en aucun cas une telle rupture : http://skildy.blog.lemonde.fr/2014/02/17/petit-contre-dictionnaire-heidegger-demission/).

La thèse de cet article est au contraire que « Munich résonne avec Munich ». La question de la technique porte avec elle une réaffirmation de la « grandeur interne » du nazisme et de l’hitlérisme. Heidegger savait très bien ce qu’il faisait en prononçant cette conférence à Munich. Les parallèles sont par ailleurs inévitables. La situation consécutive à la défaite militaire allemande est à l’avenir ce que la répression du putsch d’Hitler en 1923 est au IIIème Reich au plus fort de sa puissance.

N’oublions pas que, pour un nazi, la défaite militaire ne saurait effacer cette « victoire » qui aurait été remportée par Hitler à Auschwitz. Il n’était pas absurde, pour Heidegger, de suggérer un tel rapport.

Heidegger nomme arraisonnement le fait que la technique moderne, appuyée sur la physique, arraisonne la nature : elle l’agresse en la soumettant à la raison. La raison est surtout cette « raison calculante » que Heidegger, antisémite, met par ailleurs au compte de « l’enjuivement ».

Cet arraisonnement (Gestell) est pour Heidegger un mode spécifique de dévoilement. Il excède le rapport instrumental entre le moyen et la fin. Le dévoilement arraisonnant est une provocation de la nature, une commission se soldant par la création d’un environnement soumis au principe de l’ accumulation d’énergie. Les fleuves et les rivières, par exemple, en étant détruits par des barrages hydroélectriques, deviennent des accumulateurs d’énergie.

Il y a presque toujours, dans les textes de Heidegger, une phrase ou un paragraphe qui fait basculer le texte du côté du nazisme. Dans La question de la technique la phrase-bascule est sans doute la suivante :

Ainsi l’Arraisonnement pro-voquant ne se borne-t-il pas à occulter un mode précédent de dévoilement, le pro-duire, mais il occulte aussi le dévoilement comme tel et, avec lui, ce en quoi la non-occultation, c’est-à-dire la vérité, se produit.

L’Arraisonnement nous masque l’éclat et la puissance de la vérité. (Heidegger, La question de la technique, Tel Gallimard 1958, page 37).

Le texte n’est pas écrit en « universel ». Le « nous » – « …nous masque… » – n’est pas celui de tout « animal raisonnable » mais celui de la communauté « allemande » au sens nazi.

Ce que masque ainsi l’arraisonnement c’est la géniale et unique exceptionnalité de la communauté allemande de terre, de sol et de sang, essence qui justifie qu’elle extermine ses ennemis et mette en esclavage les peuples inférieurs. A Munich, non loin des brasseries dans leur usage « völkisch », « l’éclat et la puissance de la vérité » est l’éclat et la puissance de la vérité hitlérienne. C’est ce que Heidegger nomme ailleurs la « vérité de l’être ». Et c’est ce qui a été administré dans les camps de concentration, dans les plaines de l’est et dans les chambres à gaz

Hitler a été refusé au concours d’entrée des Beaux-Arts de Munich. L’hitlérien Heidegger y est célébré en 1953 comme un grand penseur. Tout en terminant sa conférence, mondialement célèbre – c’est même une conférence-culte – par une apologie, nous allons le voir, d’esprit hitlérien de l’art grec.

Ne perdons pas de vue le fait que c’est dans un volume appelé par Heidegger Sein und Warheit, Etre et vérité, qu’il expose la nécessité, à l’occasion de développements sur la notion héraclitéenne de combat, de « l’anéantissement total » de l’ennemi intérieur enté sur les racines du peuple.

La question de la technique est un texte nazi. Il justifie a posteriori les « victoires » remportées par le Reich contre « l’enjuivement ». Pour couronner le tout, et alors que Heidegger finit par ériger l’art comme le proche parent de la technique capable de questionner celle-ci, il érige l’art grec, de manière parfaitement raciste, en modèle absolu. « … Les arts montèrent en Grèce au niveau le plus élevé du dévoilement qui leur était accordé ». (Ouvrage cité, page 46).  

Il n’aurait  donc pas fallu compter sur le penseur Heidegger pour que les étudiants en art de Munich étudiassent par exemple Picasso, ses références à l’art africain, sa protestation peinte contre le « viva la muerte » fasciste en l’espèce de Guernica.

Heidegger est venu à Munich pour mettre au pas la jeunesse artistique allemande des années 50. (1)

Il a écrit ceci, à propos de l’art grec : « Il était pieux, c’est-à-dire en pointe, promos : docile à la puissance et à la conservation de la vérité ». (Ouvrage cité, page 46).

C’est ni plus ni moins la conception hitlérienne de l’art

D’où cette morale tout heideggerienne de l’histoire : si Hitler fut refusé à l’école des Beaux-Arts de Munich moi, Heidegger, grand philosophe nazi, je suis venu y apporter la bonne parole hitlérienne de l’art grec, miroir de la grandeur allemande.

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(1) Je viens de prendre connaissance, ce lundi 30 mars 2015, d’un entretien qu’avait donné en 1953 le peintre Max Ernst à propos de l’Allemagne d’après guerre. Il commente surtout le compte rendu d’une conférence donnée par Heidegger à Munich. Il s’agit très probablement de la conférence sur la technique. Voici comment Max Ernst conclut son commentaire : « Du fameux « néant qui néantit » de Heidegger, cher à nos existentialistes, existe-t-il image plus parfaite? le délire de cette foule d’auditeurs serait-il un symptôme indiquant que pour la jeunesse universitaire et l’intelligensia allemande, les messages retrouvés des grands romantiques ne tirent pas à conséquence quand les adolescents ont le choix entre eux et le pas de l’oie retrouvé. Sinistre perspective. »

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