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On sait que, pour Heidegger, la conception humaniste de la technique comme ensemble de moyens en vue d’une fin, et d’une fin qui serait celle de la libération et de l’épanouissement de l’homme a fait long feu. La technique n’a rien de technique, affirme-t-il, c’est une métaphysique voire la réalisation de la métaphysique. La modernité – modernité négative – c’est la réalisation technique de la métaphysique.
Cela même constituerait l’essence du nihilisme.
Ce nihilisme se manifeste notamment en l’espèce de la destruction de la planète, de la transformation de la nature en stockage énergétique. C’est le Rhin transformé en voie de communication, notamment en voie de communication d’une énergie mécanique commuable, par barrages interposés, en énergie électrique.
Soit. Mais, comme toujours chez Heidegger, la thèse académiquement respectable cache et transmet le pire.
Le nihilisme métaphysico-technique, s’il détruit la nature, c’est aussi parce qu’il détruit la hiérarchie naturelle des races, des « Blut und Boden » – des « sangs et des sols ». Le nazisme profond de Heidegger se dissimule à peine derrière ce rejet de la métaphysique. Ce nazisme n’a absolument rien d’un « visage humain ». Il est meurtrier.
Heidegger aura en ce sens surtout eu le « mérite » de tenter de soustraire le racisme à la pente qui est la sienne à savoir de sombrer dans une discursivité régressive et « animalière ». C’est d’un racisme du logos qu’il s’agit avec lui. Le Volk est ainsi fondé à exercer une souveraineté absolue, en tant que droit à l’extermination et à l’esclavage, en vertu du fait qu’il parle la seconde « langue de l’être » après le grec. Tel serait le don à l’origine d’une rhétorique de la légitimation du meurtre étatique de masse.
Voilà qui est en effet, au moins en apparence, non métaphysique, non « cartésien ». La « nature » c’est donc aussi cette « langue de l’être ». Son cœur serait indemne de toute métaphysique. C’est ce cœur que le nazisme aurait voulu protéger par l’extermination bureaucratico-industrielle des supposés agents les plus redoutables du nihilisme en l’espèce des ennemis – les Juifs, les Tziganes… – de la « science allemande ». Heideggériennement parlant Auschwitz n’est absolument pas une manifestation du nihilisme technico-métaphysique mais l’expression, d’apparence nihiliste, de la « résistance spirituelle » au nihilisme de la modernité. Il est donc cohérent, et sinistrement éclairant, que Heidegger ait pu réaffirmer quelques années avant sa mort que le nazisme lui semblait toujours avoir été dans la bonne direction quant au rapport de l’homme moderne avec la technique. Heidegger a lui-même confirmé qu’il se pensait ainsi comme un Hitler transcendantal. Au cœur même de la philosophie.
Ce qu’il conviendrait ainsi de penser, et qu’on ne penserait pas encore c’est, pour Heidegger, Auschwitz comme œuvre de résistance au nihilisme !
Je suis pour une édition critique, ouverte aux opposants, de la Gesamtausgabe.
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