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Observons comment fonctionne un des passages les plus problématiques de la contribution de JM Palmier au cahier de l’Herne consacré à Heidegger (1983). L’article s’intitule Heidegger et le national-socialisme. (Le passage analysé se trouve page 440 de l’édition de poche des cahiers.)
« Il reste bien sûr, écrit Palmier après avoir examiné quelques unes des causes « qui ont permis à Heidegger de croire passagérement à un mouvement qui était à l’opposé de toute sa philosophie », d’autres aspects du problème que l’on ne peut ignorer, tout d’abord cette phrase ambigüe qu’il a laissée dans son cours Introduction à la Métaphysique, et qui a soulevé de si violentes polémiques :
« … Ce qui est mis sur le marché aujourd’hui comme philosophie du national-socialisme, mais qui n’a absolument rien à voir avec la vérité intérieure et la grandeur de ce mouvement (c’est-à-dire avec la rencontre de la technique déterminée planétairement et de l’homme moderne) fait sa pêche en eau trouble dans ces « valeurs » et ces « totalités ». »
Les critiques n’ont pas manqué de s’élever contre lui. Ainsi, entre 1935 et 1953 (date de l’édition du cours), il n’aurait pas changé et continuait à penser qu’il y avait une vérité interne et une grandeur du national-socialisme. Si tel était le cas la phrase serait effectivement scandaleuse. Or, la phrase, soulignons-le, critique justement la prétendue « philosophie national-socialiste » en des termes dépourvus d’ambiguïté et on peut y avoir la confirmation des intentions critiques et des polémiques sous-jacentes avec l’interprétation nazie de Nietzsche, qui caractérisent les positions de Heidegger ».
Palmier fait semblant de ne rien comprendre à Heidegger. Celui-ci s’attaque à la « philosophie du national-socialisme », philosophie à laquelle il oppose précisément le mouvement. Et c’est là l’essentiel! Le « mouvement » a une vérité interne et une grandeur que ne traduit pas « ce qui est mis sur le marché aujourd’hui comme philosophie du national-socialisme ».
Ce que dit ici Heidegger sans ambiguïté c’est que c’est lui le chef « spirituel » du mouvement. L’introduction heideggerienne à la métaphysique est dans la continuité du programme de la « destruction » de la tradition. Les « valeurs » et les « totalités » sont des vieilleries qui sonnent creux et qui ne permettent pas à la vérité interne et à la grandeur du mouvement de trouver leur expression « spirituelle » adéquate. Si, comme l’indique par ailleurs Lacoue-Labarthe, la phrase entre parenthèses est un ajout qui date de l’année de l’édition (1953) alors ce passage de Heidegger est trés clair et n’est pas seulement scandaleux. En toute connaissance de cause Heidegger dit que la vérité interne et la grandeur du mouvement, qu’il oppose encore une fois au national-socialisme en tant que quincaillerie philosophique – la « philosophie national-socialiste » – réside dans l’invention et l’utilisation de la chambre à gaz!
Heidegger a dit combien il se moquait de savoir s’il existait quelque chose comme une philosophie heideggerienne. Il faut, au moins sur ce point, le prendre au sérieux. Une « philosophie » c’est quelque chose qui demeure malgré tout dans un espace métaphysique au sens que cherche à déconstruire Heidegger. L’idée même d’une « philosophie national-socialiste » n’est pas absurde au sens où il serait impensable qu’une chose aussi vulgaire que le nazisme puisse prétendre à être une philosophie, mais au sens où aux yeux de Heidegger ce serait, pour le mouvement, adopter un mode d’expression non adéquat et qui pourrait surtout en émousser la radicalité.
Heidegger se bat pour le leadership intellectuel et spirituel du nazisme (comme mouvement et non comme philosophie). Il lui faut congédier pour cela les philosophes nazis non parce qu’ils sont nazis mais parce qu’ils sont « philosophes », cette dimension philosophique les exposant sans doute à manquer de radicalité.
Je tiens pour ma part que l’Introduction à la Métaphysique, d’où est extraite la phrase de Heidegger « enterrée » par Palmier, est un appel à la destruction des Juifs d’Europe (au mode opératoire près). Mais il lui fallait aussi règler son compte à Nietzsche qui occupe, par nazification, la position de philosophe de référence. Or, pour Heidegger, cette nazification repose sur des malentendus et ne va surtout pas au fond. C’est lui, Heidegger, le vrai penseur du mouvement, et du mouvement dans ce qu’il a de plus radical, ce « plus radical » étant en accord avec la conception que se fait Heidegger de sa vérité interne et de sa grandeur. Ces dernières et Heidegger sont en quelque sorte à hauteur de réciprocité.
J’ai beaucoup hésité à publier ce montage en tête de blog. Je confirme ici mon adhésion à la thèse qu’il résume.
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Autant l’interprétation ridiculement hagiographique de Fédier me semble pathétique, autant la vôtre me paraît caricaturale, utilisation de Lacoue-Labarthe comprise, même si la phrase de l’introduction à la métaphysique est effectivement immonde. Toujours pas de débat donc si ce n’est stérilement frontal sur ce que fut effectivement la politique de Heidegger… Nous ne sommes donc , comme trop souvent dans la polémique et , IN FINE, dans l’opinion.
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