Heidegger raciste? Question à Karsten Harries

 

A lire l’article de Karsten Harries Le discours de rectorat et le « national-socialisme privé » de Heidegger. Publié dans Autour de Heidegger in Les études philosophiques d’Avril 2010 -2 aux PUF.

L’auteur cite page 195 le récit fait par Heidegger de sa rencontre avec le ministre nazi Wacker :

« Le ministre Wacker, après le banquet officiel pour la cérémonie de rectorat, me fit part, le jour même, de son « opinion » sur le discours.

1°) C’était une sorte de « national-socialisme privé » qui contournait les perspectives de programme du Parti.

2°) Avant tout, l’ensemble n’était pas édifié sur l’idée raciale.

3°) Lui-même ne pouvait concéder le refus de la « science politisée », bien qu’il accordât que l’idée n’était pas encore fondée en raison ».

Comme souvent, et alors que l’auteur dit comprendre pourquoi on peut être sceptique à la lecture de certaines explications de Heidegger quant à la période du rectorat, il n’est pas même rappelé que c’est Heidegger qui fait le récit et qu’on ne saurait, par principe, lui faire entièrement confiance.

L’auteur admet cependant la justesse de la « critique » du ministre hitlérien Wacker : « Wacker visait particulièrement juste dans ses critiques : Heidegger supportait en effet une sorte de national-socialisme privé, et il ne s’en est en quelque sorte jamais défait ». (Nous soulignons).

L’auteur nie cependant qu’Heidegger était raciste et, notamment, antisémite.

« Ce national-socialisme n’est pas raciste, bien qu’il soit néanmoins marqué par un chauvinisme national prononcé – peut-être pouvons-nous parler d’un chauvinisme linguistique? »

Remarquons que, parce qu’il s’agit d’une contribution scientifique, on s’attendrait à ce que des affirmations comme « ce national-socialisme n’est pas raciste » fassent l’objet d’une problématisation.

L’hypothèse, précisément, est que Heidegger admet complétement, malgré les apparences, l’antisémitisme hitlérien (1) . Il l' »ontologise ». Je soutiens que l’ Introduction à la métaphysique comprend, en 1935, un appel à l’extermination. Plus tard la « sérénité » de Heidegger sera une manière de saluer ce qui, à ses yeux, constituait la réussite majeure du nazisme.

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(1) “La voix du sang provient de la disposition affective fondamentale de l’homme. Elle n’est pas suspendue au-dessus pour elle-même, mais elle a sa place à elle dans l’unité de la disposition affective. A cette unité appartient aussi la spiritualité de notre être-le-là, laquelle advient en tant que travail”. (Heiddegger, in La logique comme question en quête de la pleine essence du langage.)

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Il faudrait cesser d’être « trop naïf ». Heidegger ne pouvait prétendre à être le penseur du IIIeme Reich qu’en « blanchissant » une phraséologie par trop militante.

La question est précisément d’étudier comment une biopolitique d’extermination pouvait revêtir une formulation capable de transmuer l’abjection en sublimité spirituelle.

Heidegger voulait pour ce Reich exterminateur une université prestigieuse. Les mêmes qui ont voulu Auschwitz, s’ils étaient intelligents, ne pouvait pas ne pas vouloir que l’existence d’Auschwitz fût maintenue dans le hors champ.

C’est parce qu’il avait magistralement compris la nécessité du négationnisme « au présent » que Heidegger pouvait légitimement s’imaginer être le philosophe du Reich.

Franchement imagine-t-on Heidegger tenir le même verbe antisémite que Goebbels?

Non pas parce que cela ne convient pas à un « grand penseur » mais parce que cela constituait une sottise s’il l’on voulait être le grand philosophe du Reich.

Dans un tel système il y avait la place pour un « philosophe-roi » et dont la royauté consistait à transfigurer l’abjection d’une politique d’assassinat en « Esprit ».

Mais, si l’on admet cela, il y a nécessairement tout un heideggérianisme académique qui s’effondre.

« … La vacuité du propos heideggérien semble sérieusement irritante, déclare K. Harries à propos du discours de rectorat. Néanmoins, la dualité qui peut déjà se lire à même le titre, elle, est claire : l’engagement pour l’essence de la science doit s’accorder avec un engagement pour le destin allemand. La tension entre ces deux engagements est évidente, mais on notera ce fait assez troublant que, dans le Discours, la définition du second d’entre eux demeure pour le moins vague ». (P. 197, op. cité).

Pourquoi l’auteur ne creuse pas cette piste du « troublant »?

Le pire des Heidegger est ici manifeste. Le concept de l' »engagement pour le destin allemand » ne reste vague que parce qu’il est celui de la destruction des juifs d’Europe.

On devine, de même, en quoi il s’articule à l' »engagement pour l’essence de la science ».

N’oublions pas que Heidegger fut un ami très proche du conseiller d’Hitler Eugen Fischer.

En 1933 s’esquisse ainsi dans son principe l’idée d’une « solution finale » à caractère « scientifique ».

Eugen Fischer c’est « l’intuition » de la chambre à gaz. Il avait, en effet, beaucoup de choses à dire à propos de ses « expériences » africaines.

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