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Dans Le change Heidegger, ou Du fantastique en philosophie, Catherine Malabou écrit d’abord ceci dans une introduction :
Vous. Ni « heideggérien(e), ni « anti-heideggérien(e) », vous savez tout de l' »affaire ». Vous êtes venu(e) à Heidegger après les révélations biographiques et politiques accablantes, sans appel, que vous connaissez dans le détail. Aucun doute, aucune illusion ne vous sont donc permis. Pourtant, vous avez l’étrange sentiment que la pensée de Heidegger est toujours devant vous, qu’elle se réverve toute, ombre qui attend qu’on la délivre. Il est grand temps d’ouvrir un horizon à cette attente-là. Vous n’êtes pas coupable de vouloir continuer à penser. Vous n’êtes pas coupable de comprendre que vous ne pourrez évidemment pas le faire sans Heidegger. (Page 11).
Subrepticement, mais avec la franchise d’un prestiligitateur, l’auteure commence par poser comme un axiome évident et intangible l’idée qu’il n’y a aucune affinité significative entre la pensée de Heidegger et sa biographie politiquement « accablante ». Cela ne fait rien si cela vous apparaît incompréhensible de la part d’un philosophe de l’existence, de l’ ek-sistance.
« Vous n’êtes pas coupable de vouloir continuer à penser ». Voilà le beau chantage : refuser la disjonction entre l’oeuvre et l’engagement, tâcher de penser précisément leur rapport, rapport qui ne peut au reste se nouer que dans leur apparente disjonction, vous met en situation d’être le beu-beu de service, de vous refuser à cela que seul Heidegger initierait vraiment, à savoir la pensée.
Le plus étrange c’est que le « nazisme spirituel » de Heidegger ne manque pas, parfois, de crever les yeux.
L’auteure cite ainsi, page 218, Heidegger : « L’être affirme Heidegger à plusieurs reprises, est l’ étranger, l’ unique,le surprenant. « (…) Quelle que soit la façon dont un étant en surplombe un autre, écrit-il dans Concepts fondamentaux, il n’en reste pas moins, en tant qu’étant, pareil à cet autre étant, et trouve ainsi en l’autre son pareil. (…) Qu’en est-il donc de l’être? L’être n’a nulle part ni en aucune façon son pareil. Face à chaque étant, l’être est unique. (einzig). »
Evidemment on vous opposera que vous faite un procès, que vous vous posez en censeur, que vous idéologisez une pensée sublime qui vous dépasse et vous transforme en ver de terre.
Le texte cité appartient pourtant à l’anthologie virtuelle des textes les plus nazis de Heidegger.
Que seraient devenus ces pauvres SS s’ils s’étaient sentis « pareils à cet autre étant »?
Non je ne fais pas un collage monstrueux et en forme de court-circuit. L’ontologie heideggérienne est dans son noyau pratique la « pensée » de la race supérieure (et exterminatrice).
L’ « étranger », l' »unique », le « surprenant » c’est cet homme ordinaire changé fantastiquement en extra-terrestre et agissant au nom d’une souveraineté sans rivage de l’ Etre.
SS = Sein-Sein.
Auschwitz lui-même est cet « être » à nul autre pareil, expression absolument souveraine de « quelque chose » qui se refuse à entrer dans quelque échange qui ne soit pas de « soi à soi ».
Auschwitz, pour Heidegger, est l’accomplissement d’un tel échange de « soi avec soi ».
La « pensée heideggérienne » est la légitimation perverse et criminelle de l’extermination.
Il ne faut pas rester dans le patois heideggérien. C’est quand l’expression y est le plus sublime qu’elle s’équivaut à ce qu’il peut y avoir de plus criminel.
C’est de là qu’il faut partir pour découdre patiemment, un à un, les motifs du fantastique heideggérien nazi.
Le rêve serait que l’académie nous aide à accomplir ce travail critique décisif.
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