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Il paraîtra un jour étonnant que de grands esprits aient pu opposer à la thése selon laquelle Heidegger est nazi le concept d’un grand auteur dont la pensée serait à la fois indemne et incompatible avec le nazisme. Précisément parce que cela paraît évident – comment l’auteur d’ Etre et temps aurait-il pu se reconnaître quelque peu dans Mein Kampf? – on attendrait une problématisation de cette évidence même.
Or c’est bien parce que l’écriture pensante peut paraître à mille lieues des vociférations hitlériennes qu’elle est à même de produire la version ou les versions honorables, universitairement honorables, de l’hitlérisme.
Au reste, en ne s’en laissant pas compter par cette distance au demeurant abyssale, il serait déjà possible de justifier un paralléle Heidegger/Hitler.
« Introduire le nazisme dans la philosophie », tel est Mein Kampf, tel est mon combat.
Avant d’hurler à l’infâmie apprécions quel défi cela représentait et quels trésors d’ingéniosité discursive cela requérait.
Heidegger avait un motif principal pour être hitlérien : il pensait « tout simplement » que le monde blanc devait occuper coûte que coûte le sommet de toutes les hiérarchies pour ne pas périr. C’était, dans la veine de Spengler, le mobile principal.
Même le titre « Etre et temps » peut s’entendre sur le fond de cette « angoisse ».
Mais là où Spengler ne voyait que tragédie sombre Heidegger a voulu voir une sorte « d’utopie ontologique ». Hitler devait en être, comme chez Platon, l’architecte en chef, pratique exterminatrice comprise.
Mais il convient surtout de voir que là où apparaît la contradiction et l’incompatibilité – Mein Kampf versus Etre et temps – réside précisément la condition « spirituelle » du nazisme.
Auschwitz fut édifié aussi pour que des « penseurs et des poétes » puissent expérimenter la « question de l’être » en toute « liberté ». Les camps furent les anti-villes destinées à purifier le paysage ontologique des maîtres.
Heidegger pour l’élite de l’élite; Hitler pour la masse de la masse.
Heidegger pour l’historialité; Hitler pour l’histoire.
Heidegger pour la pensée pensante; Hitler pour la voix vociférante.
Bref, le Grand Dispositif.
L’heideggérisme est un tel « Grand Dispositif ».
Le Volk est ainsi à la fois corps compact et hiérarchie d’acier. Il doit s’emparer, à sa base, de la technique pour conjurer la menace principale qu’elle représente : la transformation inéluctable et programmée des anciens esclaves en nouveaux maîtres.
En ce sens l’hitlérisme historique aura surtout été une phase expérimentale destinée à régler le Grand Dispositif, le nom même d’Hitler désignant une case vacante.
C’est fou et effrayant? Aussi fou et effrayant qu’Auschwitz, sans plus.
Mais cela veut surtout dire qu’au-delà du « moment Heidegger » de gigantesques efforts doivent être déployés aussi bien pour prévenir autant que faire se peut une guerre civile mondiale d’extermination que pour oeuvrer à une civilisation mondiale solidaire. Il faut étrangement espérer que le mobile puisse être trouvé dans le partage du refus de la destruction du genre humain.
Hélas, des heideggériens splenglériens préféreront disparaître, au nom de « l’Etre », et avec eux beaucoup de pauvres et chancelantes silhouettes.
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Ce site est très étrange à propos d’Heidegger. Arendt se serait-elle trompée à ce point pour aimer un homme que vous vous acharnez à être un nazi ? Il semble que cela soit votre os existentiel mais il est peu appétissant pour les autres.
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