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« Le langage est le berger de l’Etre ». Voilà ce qu’a dit le plus grand penseur du XX° siècle. C’est joli. Le langage n’est pas cette chose hargneuse et dominatrice qui s’acharne sur les étants pour les maîtriser, en faire la comptabilité, les mettre en réserve dans le Gestell de la civilisation métaphysico-technicienne.
Mais voilà, dans la Lettre sur l’humanisme, où c’est dit, le berger penseur a des chiens. Pas question, bien entendu, de dire comment ils s’appellent. Il faut garder au berger sa physionomie poético-bonasse. Il suffit cependant de faire la liste des accusés du procès de Nüremberg pour apprendre comment s’appelaient les toutous du grand berger : Göring, Hess, Keitel, Rosenberg, Speer l’architecte…
Où l’on voit en quel sens l’expression « le langage est le berger de l’être » relève elle-même de cette pastorale de l’être.
Hitler et les siens ont expérimenté non sans succès comment le langage pouvait en effet se constituer en « gardien de l’être ». L’être de la race, l’être-race, rassemblé par la Führung et protégé de la métaphysique des droits de l’homme. Anti-langage d’un certain point de vue, l’hitlérisme est cependant avant tout un langage. Celui d’une mobilisation générale en vue d’affirmer la souveraineté absolue d’une entité constituée comme Volk, comme peuple. Et « souveraineté absolue » cela veut dire esclavagisme et extermination.
Mais ce n’est qu’un côté du médaillon. Le langage hitlérien c’est la machine de guerre, c’est le dispositif créé en fonction des circonstances.
Il faut un langage différent, apparemment sans commune mesure, et c’est celui d’Heidegger lui-même. Heidegger est à l’université ce qu’Hitler est au stade de Nüremberg. Dans le dispositif général de l’hitlérisme s’entend.
Beaucoup de lecteurs d’Heidegger – et parfois du phiblogZophe – objectent, sincérement outrés du rapprochement, en mettant en avant la langue pensante, poético-pensante d’Heidegger.
Mais, précisément, il faut qu’ils admettent, d’abord à titre d’hypothèse, qu’une légitimation philosophico-universitaire du nazisme ne peut se fonder « techniquement » qu’à la condition d’une telle distance entre la bouillie de violence du langage hitlérien et sa « relève » spirituelle.
Pour que l’introduction du nazisme dans la philosophie ait lieu il faut qu’elle disparaisse comme telle d’un certain champ de lecture évidente.
La logique dispositionnelle de l’opération est celle-ci : il y a introduction du nazisme dans la philosophie par Heidegger parce qu’ il n’y a pas d’introduction du nazisme dans la philosophie.
L’opération est formellement brillamment réussie. Un jour, peut-être proche, on acceptera cette hypothèse non pour combattre ce qu’elle dénonce mais pour s’en réjouir.
Il y a des raisons d’avoir peur d’Heidegger. Alors, phiblogZophe, tu habites en poète oui ou non?
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