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J’appelle usage Alpha de Heidegger, venant à la suite mais s’exceptant de tous les autres usages en cours, un rapport au texte d’Heidegger essentiellement motivé par la volonté d’étudier comment pourrait avoir lieu, par lui, une introduction du nazisme dans la philosophie.
Cet « Alpha » signifie d’abord un principe de méthode : il s’agit de contourner l’obstacle que représente l’acceptation de lire Heidegger en tant que grand philosophe.
Cette suspension, cette mise entre parenthèses n’est dans son principe, ici même, ni provisoire ni définitive mais problématique. Elle signifie d’abord que, si l’on accepte de lire Heidegger en grand philosophe, on se perd nécessairement dans le labyrinthe de la question du « rapport » – avéré, fantasmé, superficiel, d’opportunuité, profond, sans conséquence, impossible etc. – entre sa pensée et le nazisme.
Plus précisément, par usage Alpha de Heidegger, je désigne un champ d’étude dont l’objet pourrait être nommé « expression philosophique du nazisme » ou, plus précisément, « nazisme d’expression heideggérienne. »
Par usage Alpha il faut donc entendre l’élaboration méthodologique et critique d’une interprétation nazie du texte heideggerien, élaboration justifiée par le risque auquel s’expose tout lecteur de Heidegger à savoir de couvrir et de permettre, par le souci même de lire Heidegger en tant que référence universelle, des usages nazis du texte heideggérien.
Je ne donnerai ici que deux exemples.
1°) Bâtir, Habiter, Penser est le titre d’une conférence prononcée par Heidegger le 5 août 1951. Le texte est prestigieux et parfois considéré comme une référence majeure de la philosophie de l’architecture. Voilà un grand texte sur l’architecture du à un trés grand philosophe. Bien! Mais que vaut et que dit un tel texte quand ce grand philosophe s’autorise, en 1951, et alors qu’il a la réputation de pouvoir traiter de questions particulièrement difficiles de ne rien dire, à propos de « l’habiter », des camps et des centres nazis d’extermination? Heidegger en dit parfois plus long en taisant qu’en disant.
La conclusion – la conclusion « alpha » – est qu’Heidegger veut dire par ce silence que l’extermination nazie a fait événement quant à l’instauration possible d’un habiter « authentique ». Je ne livre ici qu’une conclusion. Mais on pourrait montrer que le rapprochement entre « habiter » et « être » appartient à la série des thémes ontologiques qui tissent en sous-texte une « légitimation » de l’extermination.
2°) Les adeptes de la Daseinanalyse nous font croire que le concept de Dasein est un universel. Et c’est ainsi, dans l’ambiguïté d’un discours « universitaire » en réalité cynique qu’Heidegger, parodiant à la limite la phénoménologie, présente cette Daseinanalyse.
Or l’usage pro-nazi qu’Heidegger, dans certains textes, fait du concept de Dasein n’est pas accidentel ou épiphénomènal.
La notion même de Dasein, d’ être-là, d’ être-le-là correspond à la volonté de pouvoir faire une synthèse, compatible avec l’hitlérisme, entre le discours universitaire et l’herméneutique völkisch.
L’ être-le-là est d’abord et surtout, pour Heidegger, celui du Volk en tant qu’il a la vocation historiale de faire barrage, par tous les moyens, à l’universalisme hérité des Lumières.
Je l’ai déjà affirmé : la croix gammée, laquelle a trés tôt eu une signification meurtrière, est devenue un symbole majeur, une forme symbolique déterminante dans l’ensemble du texte heideggérien.
Le svastika heideggérien « transcendantal » culmine ainsi, selon nous, dans la doctrine du quadriparti. Mais on ne cesse de repérer, tout au long du texte heideggérien, les effets d’une sorte d’ « hérméneutique svastikienne ».
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