La lettre… de Heidegger : décryptage des dernières phrases.

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La célèbre mais incomprise Lettre sur l’humanisme de Heidegger a été adressée à Jean Beaufret en automne 1946. C’est-à-dire au moment même où s’achevait le procès de Nuremberg, procès qui vit se former le concept juridique de crime contre l’humanité et pour lequel un certain nombre de responsables nazis furent condamnés à mort ou à des lourdes peines de prison.

Cette lettre se présente comme le texte précieux d’un grand auteur de la philosophie. Le titre allemand est un peu plus bref : Uber den Humanismus, sur l’humanisme.

L’auteur qui, 12 ans auparavant, appelait à « l’extermination totale » de « l’ennemi intérieur », que dit-il donc dans cette Lettre sur l’humanisme?

Je propose pour cette note un décryptage des dernières phrases de cette Lettre. 

(Attention âmes sensibles s’abstenir!)

1. La pensée à venir ne sera plus philosophie, parce qu’elle pensera plus originellement que la métaphysique, mot qui désigne la même chose.

L’idéal académique serait de retracer le parcours qui conduit Heidegger à la proposition 1. Notons cependant que, comme à l’accoutumé, Heidegger est habile à produire des phrases qui ont valeur d’aphorisme. La phrase 1 peut aisément s’emporter, s’exporter de son site initial.

Soulignons par ailleurs avec quel art de la généralité ce pourfendeur de la métaphysique statue sur les choses de la pensée. 2500 ans d’histoire de la philosophie équivalent à 2500 ans d’histoire de la métaphysique et c’est Heidegger qui termine cette histoire, qui nous sort de cet engluement dans « l’oubli de l’être ».

La norme voudrait également qu’on restitue le réquisitoire heideggérien contre la métaphysique. On parlerait alors de la subjectivité, de la représentation, des valeurs, de la technique comme arraisonnement couronnant cette histoire de la métaphysique.

C’est ce que propose, ici succintement résumé, Heidegger. Certes mais il faut surtout s’interroger sur ce qui est en fait visé par la charge contre la métaphysique que fait en 1946 l’auteur de l’ Introduction à la métaphysique de 1935.

Je fais ici un saut. Il est justifié parce que je pars effectivement du principe que le langage philosophique heideggérien code le nazisme.

N’est pas métaphysique, pour Heidegger, ce qui « spirituellement » et pratiquement contribue à la « culture » du Volk, du peuple en tant que peuple-maître et absolument souverain.

Bien entendu il s’agit surtout d’un principe de manipulation. La métaphore pourrait être celle de la « serre d’élevage ». La « pensée » c’est en quelque sorte le micro-climat spirituel favorable à la formation du Volk.

Pour le dire de manière imagée je vais proposer des couples d’opposition. A gauche figurera ce qui n’est pas métaphysique; à droite ce qui est métaphysique.

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Non métaphysique……………………………..Métaphysique

La petite bourgade………………………….La grande ville moderne

L’enracinement…………………………………Le cosmopolitisme

La « voix du sang » …………………………..Le droit international

L’Allemand (pur)…………………………………Le Juif

Le paysage local…………………………….La société des nations

La rose des Alpes……………………………Un blues de Duke Ellington

La poésie…………………………………………La technique

Le génocide…………………………..Les condamnations de Nuremberg

Heidegger……………………………………..Descartes

Heidegger……………………………………..Hegel

Heidegger………………………………………Nietzsche

Heidegger……………………………………..Husserl

…………………………………………………………………

Le leadeur charismatique………………L’élu par représentation

Le Dasein……………………………………..Le sujet

La guerre………………………………………La paix

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Nous pouvons comprendre par l’imagination, et l’imagination politique, ce qu’il en est au juste de la politique heideggérienne. Le Volk marquera d’autant plus son exceptionnalité anti-métaphysique que, ignorant la « morale vulgaire » et les droits fondamentaux, il deviendra un peuple-tueur, un peuple-exterminateur.

Il y a naturellement lieu de s’interroger  sur les finalités d’un tel élevage expérimental. Mais passons à la deuxième phrase.

2. La pensée à venir ne pourra pas non plus, comme Hegel le réclamait, abandonner le nom « d’amour de la sagesse » et devenir sagesse elle-même sous la forme d’un savoir absolu.

La pensée aura beau ne plus être philo-sophie, amour de la sagesse, elle sera tout de même amour de la sagesse et non pas sagesse, et non pas « savoir absolu ».

Que cela signifie-t-il et que vient faire Hegel là-dedans?

Le « savoir absolu », chez Hegel, ce n’est pas l’absolu du savoir, ce n’est pas le « tout savoir », mais le savoir devenu parfaitement conscient de lui, par exemple en l’espèce de la logique dialectique hégélienne.

Or, trés précisément, le procés de Nuremberg constitue un élément nouveau qu’il serait possible d’intégrer dans le « savoir absolu » comme sagesse. Ce savoir serait celui d’un droit international doté des moyens pour « arrêter » les fauteurs de crimes contre l’humanité – devenus quelques années après Nuremberg imprescriptibles; les traduire en justice et leur infliger les peines prévues.

Avec la phrase 2 Heidegger bafoue totalement ce principe. Il donne d’avance raison à Milosevic et aux tueurs du Rwanda.

3. La pensée redescendra dans la pauvreté de son essence provisoire.

De manière lamentable et « ignomissible » Heidegger entend par pensée ce que nous avons décrit comme micro-climat spirituel de l’élevage du peuple-maître en tant que peuple tueur. Ce peuple-maître est par ailleurs à la tête d’une internationale du crime.

La phrase 3 est d’abord une consolation à l’adresse des amoureux du Reich, si peinés et si choqués de voir leurs héros jugés et condamnés à Nuremberg. La « pensée » ne peut faire autrement que de redescendre « dans la pauvreté de son essence provisoire. »

4. Elle rassemblera le langage en vue du dire simple.

L’hypothèse est que, par « dire simple », Heidegger entend le « non-métaphysique ». Le simple c’est l’approprié-appropriant en tant que déjouant les « complexités » de la métaphysique. Le « crime contre l’humanité » est une de ces complexités métaphysiques. Le « dire » du procés de Nuremberg n’est pas un dire simple. Le grand discours de Nuremberg, où avaient été annoncées quelques années auparavant les lois anti-juives, et avec le concours cinématographique de Leni Riefensthal, était un dire simple.

Pratiquement le « dire simple » c’est le discours populiste du leader charismatique mais aussi la variation spirituelle de l’épigone heideggérien.

5. Ainsi le langage sera le langage de l’être, comme les nuages sont les nuages du ciel.

Terrifiante est l’expression de « langage de l’être ». En étant simple, c’est-à-dire arraché à la métaphysique, le langage devra être comme ces nuages qui charrient la pluie salvatrice et fécondante.

Etre : la race, le Volk, le culte identitaire, l’empire du même, la chasse meurtrière à « l’autre ».

Heidegger réussit ici un tour de force « onto-poétique ». La phrase 5, au moment où, à l’occasion du procès de Nuremberg, le monde entier découvre l’horreur des camps, Heidegger superpose les nuages de l’être aux fumées des crématoires.

Aprés la consolation, la certification encourageante de Heidegger. Auschwitz a été conforme à cette « éthique originelle » que La lettre… expose et qui était annoncée dés le projet de l’herméneutique du Dasein d’ Etre et temps.

Je délire? Je sur-interpréte?

Heidegger termine son texte par la « recette ».

6. La pensée, de son dire, tracera dans le langage des sillons sans apparence, des sillons de moins d’apparence encore que ceux que le paysan creuse d’un pas lent à travers la campagne.

Moi, Heidegger, paysan ayant mis son génie philosophique dans la balance du jugement de l’être, co-auteur du grand oeuvre du Reich, ayant appelé à une « extermination totale » (Heidegger) je continue le combat. Mes sillons seront « sans apparence » mais mon labourage à terme extraordinairement fécond.

Auschwitz est le modèle, la grande réussite. De quoi se plaint-on? Courage Kamaraden! Je suis le « Reich pour mille ans ». On ne vous avait pas menti… Avec Heidegger Auschwitz est inaugural d’une nouvelle époque de l’histoire de l’être, une époque « non métaphysique »!

Conclusion – Avec Heidegger la philosophie est obligée d’accepter à sa table un des promoteurs d’Auschwitz.

Or, cela est impossible!

Donc la présente note n’a rien de philosophique et est proprement délirante et ignoblement diffamante.

Le phiblogZophe a tort. Il est nul.

Skildy faites moi une belle dissertation, pour vous racheter, sur la notion « d’éthique originelle » chez Heidegger.

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1 commentaire

  1. Je vous cite …. « N’est pas métaphysique, pour Heidegger, ce qui « spirituellement » et pratiquement contribue à la « culture » du Volk, du peuple en tant que peuple-maître et absolument souverain.  »

    D’où tenez-vous cela ?
    —–
    Réponse : c’est mon hypothèse. Pour le dire autrement, quitte à simplifier, les « droits de l’homme » c’est métaphysique et limitent la souveraineté du peuple-maître. Il n’est plus maître. La notion de « crime contre l’humanité » au nom de laquelle on a jugé et condamné les inculpés à Nuremberg est totalement « métaphysique ». Ce qui est métaphysique c’est ce qui inscrit le peuple allemand au sein d’un universel qui limite ses droits les plus naturels à tuer préventivement les populations ennemies et « corruptrices ».

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