Heidegger, Conche, Paquot et nous

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Thierry Paquot s’occupe d’urbanisme et est trés actif dans l’espace « philosophie/architecture ».

En juillet 2007, dans la revue Esprit (1), il a publié un texte destiné à appuyer le livre Heidegger à plus forte raison, lui-même consacré à démolir la recherche d’Emmanuel Faye Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie.

La charge est d’une grande tenue! La question du caractère nazi de la philosophie de Heidegger est amenée après que, de Faye, il est fait mention de « sa manipulation des textes cités, ses traductions orientées, ses raccourcis, ses omissions, ses aveuglements, son obsessionnel parti pris anti heideggérien qui n’exclut aucune mauvaise foi ».

T. Paquot évoque avec émotion la « convaincante contribution de Marcel Conche, déjà publiée sous le titre Heidegger par gros temps« .

Et là c’est l’écoeurement. Conche a soigneusement peaufiné une petite phrase, sa petite phrase à lui : « Le national-socialisme lui-même n’a, comme tel, pas grand chose à voir avec Auschwitz. » (Page 84).

Seul Hitler porte la responsabilité du génocide.

Le raisonnement est le suivant. Heidegger, s’il a pu avoir quelque affinité avec le national-socialisme, n’était pas nazi car il n’était pas antisémite. Bref, c’est Hitler qui, en étant obsessionnellement antisémite aurait dévoyé le nazisme lui-même vers le génocide.

C’est n’importe quoi!

1) Le discours antisémite de Hitler et des nazis, qui a trés tôt « évoqué » l’idée de solution finale, a été le liant qui a assuré le succés du nazisme;

2) Heidegger était antisémite. On écoutera l’intervention de G-A- Goldschmidt Le langage codé de Heidegger :

http://skildy.blog.lemonde.fr/2007/11/19/le-langage-code-de-heidegger-par-g-a-goldschmidt/

3) La personne même de Hitler a été un élement décisif dans l’engagement de Heidegger dans le parti nazi lui-même.

Au début de son article Paquot évoque des critiques historiques de Heidegger : Koyré, Löwith, Friedmann…

Il pourrait lire le livre de Richard Wolin sur Heidegger intitulé La politique de l’être. Wolin y expose en quoi la pensée de Heidegger a des affinités profondes avec le national socialisme  hitlérien.

Extrait :

Hitler représente, non des idées et des dogmes surannées, mais une nouvelle politique de l’authenticité. Ceci est confirmé par Max Müller, qui observe : « Heidegger plaça ses espoirs non dans le parti, mais dans une personne et une direction politique, dans le « mouvement ». Le fait que Heidegger dépeigne le régime hitlérien comme une incarnation de l' »authenticité » trahit, en outre, ses affinités profondes, philosophiquement fondées, avec la compréhension politique que le régime a de  lui-même. Comme nous le rappelle J. P. Stern : « L’originalité de Hitler est d’intervertir délibérément les fonctions normalement attribuées aux valeurs personnelles et existentielles d’un côté et aux valeurs socio-politiques de l’autre. La découverte de Hitler… est incroyablement simple : elle consiste à introduire l’idée d’ authenticité personnelle dans la sphère publique et à proclamer qu’elle est la valeur principale et la norme politique. »

(Page 170, éditions Kimé, 1992).

L’ouvrage de Wolin est antérieur de 5 ans à l’étrange plaquette de Conche. (Datée de 1997).

Que craint Paquot quand il déclare que la polémique à propos de Heidegger est stérile, qu’il faut méditer Heidegger en penseur pour notre temps, et qu’il n’y a plus de recherche à faire concernant sa relation avec le nazisme?

Il y a encore tout à faire, précisément, afin de sonder les fondements philosophiques du nazisme heideggérien.

De Conche, si apprécié de Paquot, (et auteur d’un livre sur les fondements de la morale) lisons encore cet admirable extrait :

« Il y a un péril juif. Il faut donc réagir quand il est temps – s’il est encore temps. Cela sans « hargne », précise Heidegger, c’est-à-dire sans haine et sans violence, mais avec le respect de l’autre, le respect du Juif. »

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(1) L’ironie veut que ce soit dans la revue Esprit que Levinas a publié, en 1934, un article intitulé Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme.

Levinas, que Paquot met à contribution pour renforcer son soutien à Conche, a ajouté en post-scriptum à cet article, et en 1990, les indications suivantes :

« L’article procède d’une conviction que la source de la barbarie sanglante du national-socialisme n’est pas dans une quelconque anomalie contingente du raisonnement humain, ni dans quelque malentendu idéologique accidentel. Il y a dans cet article la conviction que cette source tient à une possibilité essentielle du Mal élémental où bonne logique peut mener et contre laquelle la philosophie occidentale ne s’était pas assurée. Possibilité qui s’inscrit dans l’ontologie de l’Etre, soucieux d’Etre – de l’Etre « dem es in seinem Sein um dieses Sein selbst geht » (*), selon l’expression heideggérienne. »

Emmanuel Levinas, Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme, Rivages Poche 1997, page 25.

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(*) « Le Dasein, écrit exactement Heidegger, est un étant pour lequel en son être, il y va de son être même. »

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1 commentaire

  1. Cher Skildy,
    quelle constance! D’une manière générale – et à quelques exceptions près – je suis écoeuré par les éditeurs, par les historiens et par les philosophes. Ils ont encensé un monstre d’orgueil, d’aveuglement passionnel et de haine. C’est leur droit. « Tout est permis mais tout n’est pas profitable », disait Paul. Les retombées risquent d’être terribles. Tant qu’on n’a pas vu qu’Heidegger était le plus haut sommet du pangermanisme on n’a rien vu. Pour avoir souffert adolescent de la répression de sa vie sexuelle Heidegger, après 1905 n’a plus voulu de la vérité. Il a voulu comme tout passionné profondément aveuglé par son illusion que son désir de pangermaniste soit la vérité. Et il a tout fait pour qu’il le devienne. Le nazisme n’est pas autre chose que la volonté passionnelle de Heidegger devenue historiale. Mais il faudra du temps pour que nos intellectuels prétendument savants commencent à le comprendre. Ils n’ont pas encore suffisamment assimilé la psychanalyse pour cela. Pour l’instant, ils « phrasent » et ils « verbent ». Quand ils auront assez « verbé » on pourra peut-être entreprendre les choses sérieuses.
    Je ne pense pas que ce soit encore pour demain.
    Bon courage, Skildy. Continuez à témoigner!
    Michel BEL

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