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N’est pas invité qui veut dans le cercle heideggérien de plus de 1700 pages tracé par Maxence Caron. (Heidegger – Pensée de l’être et origine de la subjectivité, Cerf 2005).
Disons tout de suite qu’il nous semble que la monographie monumentale de Caron est trés peu faite pour être débattue et discutée. On prend ou on laisse. On adhére au parti heideggérien… ou à celui des anti-heideggériens. Le livre est en ce sens hautement « sélectif ».
Page 314, par exemple, la note portant le numéro 6 désigne certainement l’entreprise derridienne. Mais ni Derrida ni ses ouvrages « contre, tout contre Heidegger », ne sont nommémemt cités. Lisons : « Notons que c’est en général sur la base de la définition heideggérienne de la métaphysique que l’on condamne la pensée heideggérienne comme étant elle-même métaphysique : mais on ne peut trouver de cohérence dans une volonté polémique n’évoluant qu’au sein d’une allégeance insoupçonnée ».
Le lecteur ne trouvera, en bibliographie, aucune indication relative à ce grand lecteur (critique) de Heidegger que fut Derrida. Son compte, on l’a vu, est réglé en une phrase.
Page 1666 – et oui, pour citer Caron et malgré ses raccourcis saisissants, il faut souvent des nombres à 4 chiffres – on trouve un passage étonnant acompagné aussi d’une note, la note 2, et citant cette fois Emmanuel Levinas. Lisons le texte et la note.
« La Parole qu’est l’être a besoin de notre parole humaine mais n’en dépend pas essentiellement : « à la Parole, il faut le parler humain, et cependant elle n’est pas purement et simplement le produit de notre activité parolière. » Et lorsque le soi parvient à la pensée propre de la vérité de l’être, la donation, devenue une dimension d’une ipséité à présent éduquée au Seinlassen, entre en mesure de déployer plus fortement ses dons puisque la pensée, pénétrant au coeur de l’abîme dont tout éclôt fortifie sa capacité à recevoir les « flammes de la noirceur », c’est-à-dire la lumière abritée dans la nuit, derrière « l’armure d’acier » par laquelle le Dieu protège ceux dont il veut préserver l’eksistence. 2.
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2. A titre d’information, notons que Levinas a pu écrire à propos de la pensée heideggérienne, dans un lexique peut-être un peu rapide d’un point de vue exégétique, et de manière certes personnelle, laconique, mais vraiment suggestive, que « l’être, c’est ce qui devient mon propre, et c’est pour cela qu’il faut un homme à l’être. C’est par l’homme que l’être est « proprement ». Ce sont les choses de Heidegger les plus profondes » (De Dieu qui vient à l’idée, Vrin, p. 146-147).
Comment interpréter l’extrait « derrière l’armure d’acier » par laquelle le Dieu protège ceux dont il veut préserver l’eksistence »?
Si la thèse de l’introduction du nazisme dans la philosophie est fondée Caron, pour le moins, ne nous évite pas une ambiguïté. (Mais non, voyons, c’est du délire, de la diffamation, du fantasme!..)
Levinas essaie peut-être de récupérer le coup heideggérien en parlant de Dieu. Et Dieu, bien entendu, n’est pas le Dieu qu’évoque Caron.
Si Derrida est expédié dans l’anonymat en une phrase, Levinas n’est-il pas ici à la fois ridiculisé et instrumentalisé?
Si « être », pour Heidegger est, comme nous le pensons, un nom pour le peuple-maître – ce peuple exterminateur inventeur d’Auschwitz – Levinas est tout simplement « promené » par Caron.
Notons au passage – mais le phiblogZophe lui-même est athée – que le mot « être » a l’utilité, chez Heidegger, de pouvoir désigner l’idée d’une souveraineté qui n’a pas à s’embarrasser des liens complexes que nouent l’idée de Dieu et l’idée de loi. L’être, en un sens, c’est Dieu moins l’héritage juif et chrétien. (Heidegger avait bien vu que le Dieu chrétien avait quelque chose de trés juif, malgré des siècles de judéophobie ecclésiastique).
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