.
.
.
.
Peut-on résumer l’enfer heideggérien par cette formule : Hitler est à l’abjection externe du nazisme ce que Heidegger est à sa grandeur interne?
On a reconnu l’emprunt de la formule « grandeur interne » à Heidegger lui-même, valeur qu’il a prêtée, ce pourfendeur des valeurs, au national-socialisme.
Ne croyons pas qu’il s’agit d’une rêvasserie d’un philosophe un temps débauché par le nazisme. Heidegger a toujours su en quoi à consister ce que nous avons appelé l’ abjection externe du nazisme. Il ne l’a jamais condamnée. Il n’a jamais cessé de la relever.
L’ontologie heideggerienne est la magnification d’une pensée du pouvoir ayant intégré la biopolitique d’extermination.
Il est question, à propos de l’évolution de Heidegger, d’un « tournant », la fameuse Kehre.
Les exégètes la situent pudiquement dans les années 30. On aura beau faire, il est difficile d’effacer la passion avec laquelle Heidegger a toujours été un nazi. Les années 30 sont les années où le combat pour l’être, grâce à Hitler, va quitter le terrain strictement philosophique, par exemple à propos de l’opposition à Husserl, pour devenir combat de feu, de sang, de barbelés et de gaz.
Heidegger croit passionnément et en profondeur en la « révolution hitlérienne ». Et il n’en est jamais revenu.
C’est si vrai qu’il a trouvé le moyen, par exemple à propos du Gevier – du Quadriparti – de donner à la croix gammée une importance symbolique destinée à concurrencer, notamment grâce à la bible heideggérienne – la Gesamtausgabe ou GA – les symboles chrétiens en place.
« Quelque chose de tel est possible », dit-il en 1935 dans l’ Introduction à la métaphysique. Ce quelque chose, qu’il se garde bien de décrire, deviendra la shoah par balles puis Auschwitz. Tel est Heidegger.
Maxence Caron a écrit un pavé apologétique de plus de 1700 pages, sur un papier presque biblique, sur Heidegger.
Accrochons-nous : « (le « Tournant »)… loin de constituer une date précise de son chemin de pensée, n’a pas lieu une seule et unique fois à tel point de sa chronologie personnelle, mais toutes les fois que la pensée, montrant vers l’être et constituant son être comme cette monstration même, laisse être ce qui toujours la surplombe et la produit ». (Page 88 au Cerf).
Ce qui sonne particulièrement juste c’est que Heidegger a effectivement, par l’entremise des motifs Völkisch, toujours été comme à l’avant-garde du nazisme. Mais, tout de même, quelles dates que celles qui accompagnent la prise de pouvoir par les nazis et par Hitler!
Petit point de méthode : il ne faut pas lire Heidegger de l’intérieur vers l’extérieur, de l’ontologie vers l’hitlérisme, mais de l’extérieur vers l’intérieur, des motifs centraux du nazisme (et du « pré-nazisme völkisch« ) vers l’espace philosophique où Heidegger mène le combat de « l’être pour l’être ».
Mais la Kehre, qu’est-ce que c’est?
Caron est lumineux, car il décode-recode Heidegger avec un vrai enthousiasme.
« La Kehre, c’est le soi qui se retourne et regarde ce qui, depuis toujours et en amont, le gouverne ». (p. 89)
Que ce tournant ait été surtout pris dans les années 30 se comprend. La « gouvernance de l’Etre » s’incarnait! Mais, si j’ose dire, la croix gammée heideggérienne fonctionnait déjà à plein régime.
Des blogueurs ne seront pas contents. Mais tel est le discours heideggérien : il est fait pour chasser les importuns, tromper les innocents, faire jouir les initiés.
Ce sont les vieilles passions identitaires et criminelles illuminées par la mythologie de l’être.
Je dirai d’autres choses à propos de Caron. Car ce livre fleuve ne manque pas de raccourcis. *
_______________
* Exemple : « Le secret propre à l’être est gardé comme tel. La démarche de Heidegger n’est donc pas métaphysique. » (Page 314).
En note on trouve une charge contre Derrida : « Notons que c’est en général sur la base de la définition heideggérienne de la métaphysique que l’on condamne la pensée heideggérienne comme étant elle-même métaphysique : mais on ne peut trouver de cohérence dans une volonté polémique n’évoluant qu’au sein d’une allégeance insoupçonnée ».
.
.
.