Spécificité de l’antisémitisme de Heidegger

.
.
.

L’antisémitisme de Heidegger est « fondé » sur une interprétation de la différence ontologique. Je rappelle qu’Heidegger désigne par « ontique » toute considération qui privilégie un « ce qui est » en tant qu’étant et par « ontologique », au contraire, la perspective qui s’efforce de méditer l’être (« l’être en tant qu’être »). « L’être n’est pas l’étant », dira-t-il dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie transcendantale en insistant sur la transitivité du mot être et du syntagme n’est pas. Cette présentation est naturellement sommaire. Mais Heidegger lui-même ne s’est pas privé de se livrer à des interprétations de la diffèrence ontologique qui ne brillent pas par leur finesse.

C’est ainsi que, dans les Concepts fondamentaux (§19), il décrit les Allemands comme englués dans l’ontique et ayant oublié leur vocation ontologique. (J’utilise le mot de vocation car il renvoie utilement à voix, à parole, à langue, cette langue allemande considérée par Heidegger comme la deuxième langue de l’être après le grec). Cet engluement dans l’ontique a quelque chose à voir avec « l’enjuivement » (terme utilisé par le jeune Heidegger). C’est le monde des affaires, de l’argent, de la publicité.

Il est vrai que, dans l’ Introduction à la métaphysique, il prend ses distances par rapport à « l’organisation (du) peuple comme masse vivante et comme race ». Cela est parfaitement cohérent avec la lecture nazie que Heidegger fait de la différence ontologique car la « masse vivante », la « race » sont précisément des étants et font obstacle à la méditation-décision de l’être.

Il critique l’organisation parce qu’elle est ontique, non ontologique. Elle n’ouvre pas sur l’être. Elle réprime la vocation ontologique. Précisément parce qu’il s’agit de se dégager de l’engluement dans l’ontique cette conception de l’organisation est insatisfaisante.

Ce que redoutait le sur-nazi Heidegger est qu’ainsi l’antisémitisme devienne une sorte de sport national sans issue. L’engluement dans l’ontique, le voilement de l’être, exige au contraire que soit effectué un authentique « commencement originaire ». En 1935 l’extermination a ainsi encore la dignité de la métaphysique.

Seule une extermination systématique, et le plus possible soustraite au choc des races (des étants), sera à même d’arracher le voile ontique.

Cela ne signifie pas qu’Heidegger n’ait jamais utilisé le mot « race ».

Mais, sur le fond, l’antisémitisme heideggérien (qui est le « portique » d’un racisme plus général) n’est pas biologique mais culturel. Plus précisément il faudrait parler d’un antisémitisme ontologique! (Qui devient donc un antisémitisme de (grand) philosophe!).

A y réfléchir cet antisémitisme ontologique a été parfaitement mis en oeuvre dans les centres d’extermination. La tuerie de masse par balles reposait encore trop sur le choc direct des étants.

En faisant le plus possible fonctionner la machine de mort par les prisonniers et les victimes les SS des camps satisfaisaient ainsi au principe de la différence ontologique.

Un minimum d’ontique pour un maximum d’ontologique! Tel est le principe heideggérien de la chambre à gaz. Le négationnisme lui-même est de ce fait inscrit dans le programme.

Je maintiens que si Heidegger n’avait pas voulu penser « ça » il ne serait pas resté au coeur du système. Il serait parti rejoindre au bon moment Thomas Mann et les autres.

En attendant… la justification la plus sophistiquée et la plus « traduite » du crime de masse industriel est ainsi inscrite au coeur de la philosophie. Ce que j’ai appelé l’antisémitisme ontologique de Heidegger me semble au reste constituer l’expression la plus adéquate de ce que fut Auschwitz. La différence ontologique, interprétée par le nazi Heidegger, aboutit à un système d’extermination froide, distancée, de corps porteurs de deux pathologies ontiques : le cosmopolitisme (ces corps n’ont pas de souche) aggravé par le fait ou qu’ils ne parlent pas la langue de l’être, ou qu’ils la corrompent en usurpant par exemple le titre d’ Allemand.

Heidegger a dit cela sans haine, sans faire parler en lui l’étant et en se posant comme le guetteur ou le veilleur de l’être. C’est dire la puissance meurtrière d’une telle détermination-résolution-décision. C’est expliquer aussi pourquoi Heidegger, sauf à quelques rares moments, pouvait parfaitement s’abstenir de participer à l’antisémitisme « d’organisation ».

.
.
.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s