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Ce serait en soi une recherche que d’étudier dans le détail ce qui se passe entre Martin Heidegger et Oswald Spengler.
Dans l’encyclopédie en ligne wikipédia on nous dit qu’il ne faut pas brouiller le message de Spengler au prétexte que, par exemple, il aurait signé L’homme et la technique à Münich et en 1931.
C’est vite dit, comme d’habitude. Mais le texte me semble néanmoins constituer comme l’esquisse du scénario de ce qui adviendra après la prise de pouvoir par Hitler en 1933.
L’ouvrage cité de Spengler a le mérite de la franchise. Les blancs, après avoir dominé le monde (nécessairement de manière impitoyable), vont être vaincus par les hommes de couleur. J’utilise ici les merveilleuses catégories spengleriennes. L’auteur refuse avec horreur le concept de civilisation – et qui plus est de civilisation mondiale – car la civilisation ne serait fondamentalement qu’un transfert de puissance en direction des hommes de couleur. L’homme blanc signerait ainsi son arrêt de mort.
L’histoire du monde est, pour Spengler, l’histoire de la lutte des races.
Il faut bien reconnaître que si le monde blanc persiste dans un tel fantasme identitaire il ne peut à terme que s’exposer à la destruction.
S’imaginant constituer le diamant de l’homme blanc le nazi – le « blanc aryen » – aurait déjà joué la tragédie écrite par Spengler.
Lisons les dernières lignes de L’homme et la technique.
[La] « … technique machiniste disparaîtra avec la Civilisation Faustienne et, un jour, ses débris seront éparpillés de-ci de-là, OUBLIES : nos voies ferrées et nos paquebots, aussi fossiles que les voies romaines et que le Mur de Chine, nos cités géantes et nos gratte-ciel en ruine comme ceux de Memphis et de Babylone. L’histoire de cette technique tire rapidement à sa fin inéluctable. Elle sera rongée et dévorée par l’intérieur, tout comme les formes imposantes de n’importe quelle autre culture ».
Il n’est pas question, pour Spengler, de concevoir la technique autrement que comme dispositif de domination, comme machine de guerre de la lutte des races.
Et voilà bien « l’éthos » nazi défini à Münich en 1931 :
« Confrontés comme nous le sommes à cette destinée, un seul parti pris vital est digne de nous, celui qui a déjà été mentionné sous le nom du « choix d’Achille » : mieux vaut une vie brève, pleine d’action et d’éclat, plutôt qu’une existence prolongée, mais vide ».
Pour l’essentiel Heidegger reprend l’analyse spenglerienne. La lecture qu’en a faite Hitler aura été certainement un peu plus… romantique. Le Volk, ce peuple de penseurs et de poètes, est voué à terme à la dissolution sinon à la servilité. Il est étouffé par l’étau constitué par l’Amérique et la Russie soviétique.
L’hitlérisme aurait été ainsi cette « vie brève, pleine d’action et d’éclat ».
« Nous sommes nés à ce temps et devons poursuivre avec vaillance, jusqu’au terme fatal, le chemin qui nous est tracé. Il n’y a pas d’alternative. Notre devoir est de nous incruster dans cette position intenable, sans espoir, sans possibilité de renfort. (Je souligne). Tenir, tenir à l’exemple de ce soldat romain dont le squelette a été retrouvé devant une porte de Pompéi et qui, durant l’éruption du Vésuve, mourut à son poste parce qu’on avait omis de venir le relever. Voilà qui est noble. Voilà qui est grand. Une fin honorable est la seule chose dont on ne puisse PAS frustrer un homme – Münich, 1931. »
En 1931, à Münich, Oswald Spengler a écrit le scénario de la guerre totale hitlérienne.
Notons que le texte ne manque pas de panache. Il ne pouvait pas ne pas avoir une certaine force de persuasion. L’hitlérisme le prouve.
La vraie question est cependant, et elle est toujours d’actualité, celle de détruire la machine infernale de la lutte des races.
Avec l’existence de techniques d’extermination c’est une question de survie de l’humanité elle-même.
Mais Heidegger dans tout ça?
C’est un nazi. Il est schmittien, jüngerien, spenglerien et hitlérien…
Toutefois il a peut-être essayé un jeu quelque peu différent. Ce chantre de la division entre des Dasein capables de morts et de ces autres « choses » qui ne peuvent même pas mourir – et qui sont donc « simplement » exterminés – est peut-être un peu moins suicidaire que Spengler.
La thèse est alors que la spécificité du nazisme heideggerien serait de s’être pensé comme un nazisme durable.
La fameuse légende d’un Heidegger « critique du nazisme » – l’expression elle-même ne manque pas de joliesse – aurait bien un fondement.
Heidegger serait l’hitlérisme le suicide en moins.
Heidegger : le penseur du nazisme durable!
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« Ce sont des interprétations qui, en partie, sont de deuxième et troisième main, façonnées en un aperçu général tel que, par la suite, la grande presse de notre temps lui fraye un passage et crée – si l’on peut dire- l’espace spirituelle dans lequel nous nous mouvons »
Les concepts fondamentaux de la métaphysique, p.114-115, à propos des travaux de Spengler (et de Klages, Scheler et Ziegler).
Même si il accepte le fait brut qu’il décrit, on ne peut pas dire que Heidegger porte ce type de « pensées » dans son coeur…
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Réponse de Skildy :
La relation Heidegger/Spengler serait effectivement à étudier de prés.
Vous avez en partie raison. Je pense que Heidegger s’éloigne de Splengler en ce qu’il se
veut moins suicidaire… et plus fondateur… comme nazi s’entend.
SK
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