Imprudence des heideggériens

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Je viens de prendre connaissance du numéro 115 (2006) de Po&sie consacré à Heidegger : Heidegger (Le dispositif, traduction Jollivet), Agamben, Dastur, Hubert L. Dreyfus… 

Heidegger n’est pas nazi, selon le numéro : quelques années après son égarement de 1933, il aurait rompu (en 1938) en considérant le nazisme comme l’expression même du nihilisme et non comme une réponse à celui-ci.

Bien entendu tout ceci mériterait un examen attentif. Il ne s’agira ici que de quelques questions.

1. La première question, maintes fois répétées, et qu’on ne peut « tuer » en prétextant d’une sorte de naïveté de Heidegger, tient à l’hypothèse même d’une introduction du nazisme dans la philosophie.

Est-il raisonnable de s’en tenir à quelques déclarations à tonalité « anti-nazie » pour dédouanner Heidegger? Au fur et mesure que le projet politique nazi se concrétise son « abjection externe » se précise tellement qu’on a du mal à imaginer un « philosophe introducteur » ne prendre aucune distance.

Il est dans l’essence du dispositif heideggérien d’introduction du nazisme dans la philosophie que de veiller à créer comme un glacis permettant un négationnisme d’introduction. En ce sens le jeu de langage heideggérien sur le proche et le lointain pourrait s’appliquer à la méthode heideggérienne d’introduction du nazisme dans la philosophie. Les enjeux sont tels – il ne s’agit rien moins que de légitimer une criminalité de masse d’état – qu’il est indispensable que la « chose » nazie soit la moins manifeste.

Il ne s’agit nullement d’exercer une tracasserie policière. La gravité du problème exige au contraire qu’on soit d’une extrême circonspection à l’égard de la possibilité – pour nous avérée – d’un nazisme heideggerien.

Il est léger et irresponsable que la question soit tout simplement rejetée. Une légitimation du crime de masse d’Etat ne peut pas, pour exister comme philosophie, être explicite. Cela exige des lecteurs critiques de Heidegger la plus extrême vigilance. La première étant d’éviter de lire Heidegger comme il le souhaite. Il faut méthodologiquement oser systèmatiquement  lire et défricher la possibilité du crime de masse d’Etat.

2. Le thème de la sérénité est un bon exemple de ce que nous essayons de cerner. Nous y reviendrons. Mais avant d’en faire un thème respectable, « académisable », il conviendrait par exemple de se demander si l’idée de sérénité n’a pas quelque chose à voir avec le silence de Heidegger sur la spécificité des crimes nazis, spécificité qu’il noie dans une catégorie de nihilisme.

En ce sens, au minimum, nous pourrions déjà mettre en doute la validité des catégories heideggériennes quant à l’analyse du crime de masse d’Etat, du génocide.

« Sérénité » pourrait avant toutes choses dire que, au-delà d’un discours sur la technique et le nihilisme, on s’en lave en réalité les mains.

Le plus inquiétant est bien alors que, sous l’ambition de fournir une approche critique fondamentale de la modernité, Heidegger nous apprenne en même temps un langage « négationneur » où les motifs et les rouages du crime d’Etat disparaissent. Et c’est ici que peut être entrevue l’horreur d’un nazisme heideggerien et son introduction dans la philosophie.

3. En conclusion de son article H. L. Dreyfus concède dans un premier temps qu’il y a un vrai risque pour que l’appel heideggerien au « dieu qui peut nous sauver » conduise à de nouveaux vertiges totalitaires.

Il termine en laissant la parole à un Heidegger en apparence au-dessus de tout soupçon. Il cite la lettre de Heidegger à un étudiant (Essais et conférences – Publiés en 1958).

« Un chemin est toujours exposé à devenir un chemin qui égare. […] Demeurez dans la bonne détresse sur le chemin et, fidèle au chemin bien qu’en errance, apprenez le métier de la pensée ».

Tout d’abord, même en étant l’introducteur du nazisme dans la philosophie, Heidegger pouvait-il dire quelque chose comme « attendez le retour d’un nouveau Reich »?!

Ici, ce qui est essentiel, est qu’ il est absolument impossible de faire confiance en Heidegger.

Citer Heidegger comme parole d’évangile est d’une trés grande légéreté.

L’introducteur du nazisme ne pouvait espérer mieux.

4. La dernière question concerne surtout l’occultation heideggérienne du politique. Il dit « homme », « nous » etc. Il parle de « pensée », « d’errance », de « chemin ». L’espace politique est posé comme sans issue. Soyons sereins, attendons etc. Mais qui nous sommes ainsi? Je sens poindre ici la menace que représente un certain « simple » heideggerien : l’essartement, le désobscurcissement… le crime de masse d’Etat.

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