Luc Ferry, Heidegger et le nazisme

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Dans Le droit : la nouvelle querelle des Anciens et des Modernes Luc Ferry expose la critique heideggérienne de la modernité. Est-ce parce que dire de Heidegger qu’il est un auteur nazi rendrait difficile la conception d’un texte où sa critique de la modernité, érigée en critique du totalitarisme – ce qui est pour le moins rapide – est comparée aux approches de Léo Strauss et d’Hannah Arendt que l’auteur d’ Etre et Temps y est reçu avec tous les honneurs?

L’espace philosophique a cette étrangeté que, au prétexte que c’est un espace où les armes sont déposées à l’entrée du temple de la parole, des personnages y sont représentés sous un jour qui en efface les traits les plus caractéristiques.

Ainsi on peut lire page 19 de l’édition Quadrige (Edition 2007) la parenthèse suivante (ce n’est effectivement qu’une parenthèse) : « (Heidegger a adhéré au parti nazi durant quelques mois) ». Il est vrai que Quadrige est au PUF et que celles-ci publient du Heidegger en auteur classique. Voilà donc comment on se rend la politesse dans le temple, ce temple où ne se presse, il est vrai, qu’une fraction réduite de la population lectrice.

Non seulement Heidegger a payé ses cotisations jusqu’à l’effondrement du Reich mais son texte est tissé d’adhérences profondes  « à la possibilité et à la réalité de tous les nazismes » (Derrida). 

Or, page 38, voici comment Luc Ferry parle de Heidegger et de la philosophie politique.

« …Heidegger rend en effet possible un retour à la philosophie politique grecque en tant  que philosophie de la non-subjectivité au sein de laquelle le normatif est naturel (chaque être doit trouver son lieu dans le cosmos en fonction de sa nature et non en fonction d’une norme subjective de la raison), et le social non moins naturellement hiérarchisé ».

Or on ne peut pas mieux résumer la « philosophie politique » du nazisme. Et Luc Ferry rate l’occasion d’interroger comment un théoricien du nazisme instrumentalise la pensée grecque.

On dira : où voyez-vous que Heidegger « parle » comme Hitler? Certains défenseurs de Heidegger argumentent en effet de la seule différence de vocabulaire entre les deux H pour faire apparaître leur mentor comme un héros.

Alors même que c’était précisément la fonction de Heidegger de ne pas utiliser les mêmes mots que Hitler. D’autres auteurs, cependant, ont bien vu les affinités qu’il y avait entre les deux textes.

En attendant le lecteur est invité à ne faire aucun rapprochement entre la lecture heideggérienne des grecs et, par exemple, la doctrine de la race supérieure.

Que fait cependant Ferry? Reconduit-il une ignorance? Joue-t-il sur l’implicite? S’amuse-t-il?

Il faut se faire à l’idée que, ce qui apparaît immonde et grotesque quand c’est « gueulé » par Hitler, est accepté comme une référence en philosophie pourvu que la forme puisse permettre d’opérer la disjonction entre les thèses et leurs implications pratiques.

Tout de même, l’idée que le « normatif est le naturel », n’est-ce pas l’idée qui sous-tend la doctrine raciste de l’hitlérisme?

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