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Le Musée de la Préhistoire d’Ile de France,
Nemours, Roland Simounet, 1981
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Une étude d’Emeline Curien
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Le musée de la Préhistoire d’Ile de France, réalisé par Roland Simounet, se situe dans un site rocheux et boisé, au centre d’une région riche en sites néolithiques et en monuments mégalithiques. Ce bâtiment, qui se présente tout d’abord sous un aspect monolithique, possède de nombreuses qualités qui ne sont pas étrangères à la notion de rythme, tant au niveau de son plan, de la promenade qu’il propose, de sa relation aux objets exposés et au site qu’il occupe.
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PLANS : STRUCTURE, PERIODICITE, MOUVEMENT
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Le plan du projet se caractérise tout d’abord par une grande lisibilité du programme. Au rez-de-chaussée, seule une petite partie est ouverte au public, le reste de la surface (en gris) est affecté aux réserves et aux locaux pour le personnel. Du fait de la déclivité du terrain, ces salles se retrouvent enterrées.
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Le hall d’accueil, situé au rez-de-chaussée, se déploie sur une double hauteur. A ce même étage, en plus des salles de réserves évoquées précédemment, se situent la salle vidéo et la cafétéria. Le parcours muséal se développe quant à lui à l’étage supérieur.
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Cette lisibilité se retrouve dans la composition du plan. Le bâtiment s’inscrit en effet dans un carré. Au rez-de-chaussée, sa moitié sud correspond aux réserves. A l’étage, elle correspond aux salles d’exposition.
Ce carré d’origine peut être recoupé en quatre carrés de taille identique.
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On peut parler ici, pour les deux carrés supérieurs, de rythme intégral au sens donné par Pierre Sauvanet à propos des œuvres de Klee dans l’ouvrage « Le rythme et la maison ». Il s’agit en effet de la répétition structure de base :
petite salle d’exposition / patio / grande salle d’exposition
soit
Ps-P-Gs
Cette structure est répétée à quatre reprises par une symétrie selon deux axes perpendiculaires, soit
Ps-P-Gs-Gs-P-Ps
Ps-P-Gs-Gs-P-Ps
Un mouvement est cependant induit par un processus de glissement. Un élément différent vient s’intégrer à l’ensemble.
Ps-P-Gs-X-Gs-P-Ps
Ps-P-Gs-X’-Gs-P-Ps
Cet élément, à savoir la courbe, unique dans le projet, de la salle de reconstitution des fouilles, déforme la trame originelle. Les deux grandes salles sont ainsi réduites pour laisser place à la courbe. Il y a donc ainsi instauration d’un principe puis transgression du principe qui permet le passage d’un système métrique à un système rythmique.
La partie nord du carré d’origine (partie inférieure) quant à elle abrite des programmes différents : d’une part des ateliers et le logement du conservateur (à gauche) d’autre part des salles d’exposition (à droite), ce qui explique le non recours à la symétrie pour cette partie du musée.
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Une logique d’ensemble est cependant conservée grâce aux patios. Leur similitude permet la cohérence mais ils différent cependant selon trois points. Les quatre patios de la partie supérieure se distinguent tout d’abord par les éléments avec lesquels ils sont en contact (diatigué). Par exemple, le patio supérieur gauche se distingue car il est d’une part en contact avec l’extérieur, d’autre part avec une salle particulière car réduite par la forme de la salle de reconstitution des fouilles.
Les patios de la partie inférieure se distinguent quant à eux par leur position (tropé). L’un subit une translation par rapport à l’axe des autres, il est décalé, le second une rotation de 90 degrés.
Pour finir, un patio devient l’équivalent de la salle de reconstitution des fouilles car il diffère par l’adoption d’une forme qui lui est propre (rhuthmos).
Ces dispositifs de répétition/différence permettent au visiteur de se repérer très facilement. Les répétitions lui permettent de comprendre la logique du parcours à travers le musée, les altérations du modèle, ainsi que la position par rapport à l’extérieur lui permettent de se situer. Deux autres éléments que nous allons voir par la suite concourent à une orientation facile : les différents axes de transparences et surtout les différences de niveaux.
Le jeu des transparences opère surtout dans la partie sud du musée (partie supérieure).
Deux axes traversent, d’est en ouest, l’ensemble du musée. Ils correspondent tous deux à des axes de circulation.
Le plus important se situe sur l’axe de symétrie de la moitié sud du musée. Le second est à l’extrémité du bâtiment et il glisse le long de la courbe crée par la salle de reconstitution des fouilles.
Quatre axes identiques traversent les ensembles constitués par deux salles d’exposition et un patio.
Les patios sont également reliés deux à deux par un axe nord sud qui se termine d’un côté sur le paysage extérieur dans la partie gauche. A droite, l’axe traverse l’ensemble du bâtiment. L’ensemble du réseau de salles d’exposition est donc traversé par ces différents axes, qui confèrent à l’ensemble un sentiment d’unité.
L’originalité majeure du projet réside cependant dans son inscription dans la pente naturelle du site.
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Les salles sont étagées en fonction de la pente et des rampes permettent de circuler de l’une à l’autre. Les notions de « plus haut » et « plus bas » additionnées aux informations données par les axes de transparence permettent donc de se situer dans le musée.
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Ces rampes prennent les deux directions orthogonales, répartissant les montées tout au long du parcours. Une rampe majeure permet quant à elle de passer du niveau du hall au niveau des salles d’exposition. Deux escaliers, ouverts au public, créent de plus des raccourcis donnant la possibilité de varier les parcours.
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PROMENADE : QUAND LE KINESIQUE REJOINT L’OPTIQUE
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Les différents dispositifs qui viennent d’être évoqués favorisent une grande variété de vues mais aussi de sensations physiques, liées à la marche et la montée des rampes ainsi qu’aux variations de chaleur et de lumière lors du parcours à travers le musée.
Cela se manifeste dès l’approche du musée. Il faut tout d’abord descendre le long d’un sentier qui serpente autour d’arbres et de pierres pour accéder à l’entrée, qui présente comme un lieu obscur. L’analogie avec l’entrée d’une caverne se présente aussitôt à l’esprit, impression renforcée par la texture du béton brut employé par Simounet. (1) Seule une ouverture au premier étage laisse entrevoir l’intérieur du musée. (2)
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Le portique d’entrée se présente comme la seule faille permettant d’accéder à l’intérieur.
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Le hall se présente tout d’abord comme un lieu sombre et fermé. (1) où la rampe apparaît comme une sculpture. (2). L’impression d’enfermement et cependant vite dissipée par la large ouverture vers l’extérieur séparée du hall par quelques marches (3) et par la double hauteur sur laquelle donne des mezzanines et autres ouvertures hautes. (croquis). La succession de la traversée du hall et de l’ascension de la rampe est un parcours qui prépare le visiteur à l’atmosphère du reste du musée. Elle semble la métaphore du cheminement vers la connaissance : du hall peu éclairé, on se dirige peu à peu vers la lumière (et la fin des préjugés sur cette époque ?).
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« Ce n’est pas parce que le béton est raté qu’il doit être recouvert, car l’habillage a aussi un prix et il durera moins longtemps que la structure. »Simounet
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Lorsque l’on prend de la hauteur, le hall apparaît sous un jour différent.
On découvre les mezzanines et la lumière qu’elles apportent. Au fond, on voit ici comment est traité le rapport entre espaces accessibles au public ou non : de part et d’autre de la porte de séparation, des ouvertures permettent de découvrir le fond de la perspective. (1). C’est lors du premier retournement de la rampe, qui s’effectue autour d’un poteau (2), qu’on commence véritablement à deviner l’ambiance du niveau supérieur. A noter donc le contraste entre partie inférieure sombre et éclairée artificiellement et partie supérieure éclairée naturellement et où l’on aperçoit déjà de la végétation.
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Une baie se situe dans le prolongement de cette deuxième volée de rampe. Elle amène la lumière à partir d’un certain point de l’ascension.(1) Quatre matériaux entrent en jeu dans le musée. Les sols, y compris ceux des rampes, sont revêtus d’ardoise noire. La lumière joue sur ces alternances ardoise noire lisse brillante et joint gris. A cette ardoise s’oppose le revêtement de plafond blanc, lisse et continu qui répartit la lumière plus uniformément. De part et d’autre, la lumière se découpe nettement sur le béton brut et rugueux.
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Le dernier matériau est bien sûr le verre qui permet de fermer l’intérieur « climatisé » mais qui permet au musée de s’ouvrir largement vers l’extérieur « naturel » du paysage et l’intérieur/extérieur « construit » des patios.
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(1)
En se retournant, on peut voir l’assemblage des élément en béton : le garde corps de la mezzanine détaché du poteau et du garde corps voisin, qui confère une plus grande légèreté à l’ensemble et permet à la lumière de se glisser à travers cet interstice ; la forme derrière laquelle se trouve l’escalier, très discret, qui permet d’accéder plus rapidement au niveau supérieur. (2)
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(2)
Prendre de la hauteur permet également de prendre conscience de tout l’espace du hall. (3 et 4)
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(3)
L’une des mezzanines qui permettait à une salle d’exposition de donner sur le hall a été fermée, le hall en perd en qualité ainsi que la promenade le long de la rampe, qui n’offre plus de point de vue sur la suite de la visite. (4)
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(4)
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Arrivé en haut de la deuxième volée de la rampe, la lumière nous indique une première salle d’exposition. Dans l’axe se trouve la baie visible depuis le sentier qui mène à l’entrée .(1)Dans ce projet, l’éclairage naturel et les vues sur l’extérieur sont des préoccupations essentielles. La lumière penètre dans les salles de manière directe grâce aux baies et de manière indirecte, en partie haute, grâce à des poutres béton ajourées. (2)
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(1)
« A Nemours, j’avais la forêt qui constitue un filtre formidable, la lumière est verte, et j’ai utilisé cette lumière de sous-bois comme source d’éclairage avec toute sa spécificité, sa relative faiblesse, même l’hiver, les feuilles des arbres une fois tombées. » Simounet
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La lumière varie donc dans le musée au rythme des heures et des saisons, renforçant l’impression d’osmose entre intérieur et extérieur.
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(2)
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« J’ai mis au point pendant des années mes plans de coffrage et de ferraillage. J’ai ainsi dessiné les poutres échelles du musée de Nemours. J’avais une salle rectangulaire à couvrir : normalement les poutres sont placées dans le sens de la largeur pour avoir la plus petite portée, car ainsi on fait des économies de structure, mais j’ai voulu les avoir dans le sens de la longueur ; elles font dix mètres de long mais elles servent aussi de fenêtres. »
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« Pour le musée de Nemours, je voulais de très hautes ouvertures de manière à ce qu’on voit la cime des arbres. » Vues depuis l’extérieur, ces poutres qui jouent le triple rôle structure / lumière / vue ressemblent aux créneaux d’une forteresse et accentuent le caractère de l’ensemble du bâtiment.
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Il est nécessaire, pour poursuivre la visite, de reprendre la rampe. Pour ce faire, on se dirige tout d’abord vers une baie cadrant un premier patio. De ce point, on découvre alors la perspective, qui, à travers trois patios, traverse l’ensemble du bâtiment, du nord au sud et permet d’apréhender la profondeur de l’édifice.(1)Sur la gauche, la rampe se poursuit et c’est là encore la lumière qui incite à tourner vers la droite pour poursuivre la visite.(2)
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A l’intérieur des salles d’exposition, des baies longues et hautes cadrent la forêt environnante des racines aux cimes des arbres, les objets exposés se retrouvent en relation directe avec un environnement qui n’a pas changé depuis leur création. (1) Les rampes longent les patois et guident naturellement le visiteur. Aux extrémités des axes est ouest, des vitrines projettent le visiteur, ainsi que l’objet exposé, dans le paysage environnant.
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Les transparences qui s’organisent au travers des patios permettent au visiteur de se repérer par rapport à l’ensemble du bâtiment. Le sentiment d’unité qui émane du bâtiment est lié à ces perspectives (1 et 2), mais aussi à la logique constructive de Simounet, où chacun des éléments en béton brut est traité selon un ordre qui lui est propre, mais reste soumis à la logique d’ensemble.
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Certains points de vue lors du parcours muséal permettent de prendre également conscience de l’étagement des salles dans la pente et de reconstituer mentalement le sol naturel.
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MUSEE : FAIRE DE L’OBJET EXPOSE UN POINT FOCAL
Cette inscription dans la pente, mais aussi l’inclusion de l’environnement au sein même du musée, grâce aux nombreux patios, crée une transparence de l’édifice par rapport à l’environnement, il y a confusion entre intérieur et extérieur, le musée dépasse ses limites physiques. Dans son respect du génie du lieu, il ne s’intègre pas dans le paysage mais il le révèle.
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Ainsi, la qualité essentielle du musée de Nemours est sans conteste le rapport que l’architecture établit entre le site, la chose exposée et l’époque de sa provenance. La projection de l’objet exposé dans le paysage le transforme en point focal qui engage le spectateur dans ce que l’on pourrait qualifier de rassemblement extatique. Un rythme est crée par une alternance de diastole et systole, alternance d’ouverture sur un paysage qui n’a pas changé depuis la préhistoire et de retour sur l’objet, rythme qui établit le lien entre les deux époques. Il permet, en emmenant le spectateur dans le passé, l’existence de l’objet en tant que médias entre époques et modifie ainsi le rapport que l’on peut avoir classiquement avec l’objet exposé.
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« L’architecte est un technicien et pas un poète. La poésie, cela peut arriver après et vous avez réussi. »
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Pour prendre contact avec l’auteure :
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c tres interessant et tres bien explique merci
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