Peut-on respecter Martin Heidegger?

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Poser la question, ne manquerons pas de dire certains, est déjà une preuve d’irrespect, cet irrespect qui innonde les grands médias et dresse tous les étudiants, lycéens ou retraités, contre la culture, l’esprit de nuance, l’admiration pour les oeuvres de l’esprit.

Et si, comme je le pense, Heidegger est en réalité et sur le fond un auteur nazi, c’est aussi parfois surtout Heidegger que mettent en avant quelques beaux esprits pour fustiger les effets les plus sensibles de la crise de la culture.

Supposons que, parmi ces amis de Heidegger, un au moins soit nazi. Quel sentiment de victoire! Il n’est même pas sûr, d’ailleurs, qu’après la mort du Führer et l’effondrement du Reich cela soit même un sentiment de vengeance. Pour les nazis de stratégie un Adolf Hitler n’était qu’une idole jetable d’un dispositif qui continue en réalité à déployer ses effets. Heidegger aura tout fait, et brillamment, pour cela.   

Le supplément de reconnaissance académique dont a bénéficié récemment Heidegger enjoint par ailleurs, et parallélement, un supplément de respect. Cette situation est étrangement en elle-même une véritable petite théorie, et une authentique révélation : il ne faut pas que les relations de Heidegger avec le nazisme soit telles que cela ridiculiserait tragiquement et ternirait gravement les décisions académiques. Aussi bien a-t-on pu assister à des surenchères éditoriales destinées à donner corps à la vérité a priori désirée et produite par l’institution.

Un certain nombre de jolies formules ont été inventées pour contenir la question du nazisme de Heidegger dans les limites qui n’invalident pas la reconnaissance des cercles académiques.

On comprend qu’un Emmanuel Faye ait pu décider de résumer par la formule Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, ce qu’au minimum il pouvait en être réellement du rapport de Heidegger et du nazisme. C’était, en l’espèce d’une recherche hautement documentée, une manière de s’opposer à la vérité officiellement proférée par les « inducteurs de respect ».

Les réponses « indignées » ne se sont pas faites attendre, feignant de ne pas entendre qu’il s’agissait surtout de comprendre ce qu’il pouvait en être d’ une introduction du nazisme dans la philosophie. Je me souviens de l’indignation d’un Hadrien France-Lanord à propos de la présence, sur la couverture de la première édition du livre de Faye, d’un tampon nazi avec la croix gammée.

Je suis certain aujourd’hui que le choix était particulièrement judicieux. La croix gammée, ou svastika, innerve le texte de Heidegger avec la même « ferveur » que la croix chrétienne chez Kierkegaard!

Un jour on pourra sourire de toutes les contre-vérités diffusées par des signatures qui s’autorisent en partie de Heidegger pour jouer au « trans-philosophe ».

Jean-Luc Nancy a ainsi trés officiellement contenu, il est vrai dans un bref article de la presse quotidienne, le nazisme de Heidegger à la période du rectorat.

Période dont le maître, selon un Peter Sloterdijk en trés grande forme, se serait rapidement évadé.

Tous les deux, et avec eux combien d’autres, décidant de ne même pas émettre l’hypothèse selon laquelle Heidegger aurait mis quelque temps à comprendre que son utilité majeure était précisément une utilité de plume : écrire l'(anti)Bible du nazisme pour l’élite des élites du « white power »…

Tout ceci est d’une perversité qui confine à une forme de nazification des esprits. Au nom de la « valeur-esprit » il faut accepter le principe d’une vérité officielle et assister au lynchage médiatique de ceux qui sont accusés d’intenter un procés stalinien à Heidegger.

C’est, pour le moins, une situation qui ne peut que favoriser la décrédibilisation et l’irrespect envers les « autorités spirituelles ». Pour être « bien comme il faut » il faut cligner des yeux devant Heidegger et considérer comme pure fantasmatique le projet « d’introduction du nazisme » dans la philosophie. On vous apprend même à haïr ceux qui  osent salir le maître.

J’avoue donc une sorte d’incapacité à éprouver une forme quelconque de respect pour celui qui, selon mes hypothèses de lecture – on n’est trés peu aidé dans un domaine comme celui-là! – a appelé en 1935, avec la formule « ouverture déterminée à l’estance de l’être », à l’extermination des juifs d’Europe et n’a eu de cesse, après 1945, de louer le grand oeuvre hitlérien.

Si, après la mort d’Hitler, resplendit l’abjecte magnificence de Heidegger, c’est l’avenir même qui est en cause.

Heidegger serait-il comme l’esquisse du suicide le plus terrifiant qui soit de « l’Occident »?

Il aura pour le moins apporté la révolution conservatrice jusqu’au coeur du sentiment de respect. Jusqu’à lui l’académie favorisait plutôt l’expression du respect envers ceux qui reconnaissaient au moins le « tu ne tueras pas » de la loi mosaïque. Le Heidegger que je lis, et qu’il faudrait que je respecte, est un apôtre de la biopolitique d’extermination.

Pardon… ce n’est pas la vérité officielle!

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4 commentaires

  1. Il n’y a pas sur le sujet de vérité officielle. Sinon, il n’y aurait pas tant et tant de débats, de polémiques, de discussions et d’affrontements. Tu as une thèse, tu la partages avec de nombreuses personnes, et tu t’opposes par là à de nombreuses autres.

    Quels faits avances-tu pour prouver qu’il y a dans les médias et dans les universités une « vérité officielle », qui irait contre les thèses que tu soutiens ?

    ————————->

    Réponse de Skildy :

    Une vérité officielle, heureusement, n’est pas une vérité partagée!

    C’est l’existence d’une vérité officielle qui envenime précisemment le débat!

    Elle est celle-ci : le Heidegger que nous enseignons au lycée et à l’université ne peut pas être un Heidegger qui introduit le nazisme dans la philosophie… Nous n’en n’aurions pas le droit. Je veux dire qu’il est impossible d’enseigner une « philosophie nazie ». La notion  comme telle,(même absurde), constitue un délit puisqu’elle est un appel à la haine, à la discrimination et à la violence exterminatoire. C’est un acte criminel.

    Heidegger permet, et il a beaucoup soigné cet aspect capital de son texte, de transmettre le nazisme sous les apparences d’une démarche spirituelle et en utilisant de nombreux systèmes de codages.

    Pour ma part j’estime que si quelque chose est sauvable du désastre heideggérien ce n’est qu’en l’enseignant de manière critique et en démontant son système d’introduction du nazisme. Il faut d’abord faire cela.

    Il n’y a rien à faire, le « libéralisme du marché des idées », relayé par une reconnaissance académique hâtive, produit un effet de vérité officielle : le Heidegger enseigné est un auteur convenable voire, comme la mise en conte le grand Marcel Conche, un résistant spirituel au nazisme! Ce qui est totalement ridicule.

    Mais je ne vous apprendrai sans doute pas grand chose en vous disant que le Heidegger officiellement « non introducteur du nazisme » est bien trop utile pour qu’il change de peau académique.

    Brague, Caron puisent dans le Grand Texte tout ce qui renforce leur idéologisation identitaire. Ils ne vont tout de même pas dire que Heidegger est un naze!

    Mais ce serait aussi à vous à vous déterminer clairement sur le nazisme et à prendre du champ vis-à-vis de ce que vous ne semblez pas prendre comme une vérité officielle. L’Académie française, en primant Caron, n’a pas pu primer l’auteur d’une étude sur un « philosophe » qui introduit le nazisme dans la philosophie… et à l’Académie française!

    Le type de débats autour de Heidegger prouve au contraire l’existence de cette vérité officielle. L’Académie a primé Caron et non Faye. On devine tout le blablabla de la justification… Et alors même que la question est gravissime et met en jeu autant des mémoires blessées que des destins actuellement fragiles.

    Et ce sont précisément des choses comme ça qui mettent le feu au débat.

    Sk.

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  2. Je ne suis pas certain que vous fustigeriez une « vérité officielle » sur Heidegger si c’etait la vôtre ou celle de Michel Bel qui tiendrais le haut du pavé.
    Au lieu de multiplier ce type d’articles, vous devriez regrouper tous les passages qui donnent du poids à votre thèse.

    ____________________________

    Réponse de Skildy :

    Vous confondez vérité établie et vérité officielle.

    Une vérité établie peut être enseignée par l’académie. Une « vérité officielle » est une vérité a priori.

    La reconnaissance actuelle de Heidegger est l’équivalent de la vérité officielle : Heidegger n’est pas nazi.

    En mettant sur le même plan une vérité encore à étayer et à transmettre – Heidegger auteur nazi – et une vérité officielle en tant que dogme a priori vous faites une pirouette d’un joli style stalinien.

    Quant au regroupement soyez assurés que le moment est précisément venu de tenter de faire une synthèse.

    (C’est au mois d’aôut qu’on fait les fous pas vrai?)

    Sk

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  3. Bonjour Skildy

    Je suis encore loin d’avoir épuisé les livres des « pour » et ceux des « contre » ,
    il y a aussi le fait que sa « défense » suite à la procédure de jugement n’a pas encore été retrouvée (Ed Klinsieck -source d’information) . Ceci l’ouvrage
    « Heidegger » de George Steiner qui est une sorte d’ hommage au philosophe
    me semble une caution valable . En résumé , je ne sais trop que penser
    de cette polémique …Je reste évidemment un peu confondu (comme beaucoup) devant son « plantage  » énorme concernant la « pensée » nazie , qui serait plutot ,effectivement une non-pensée, une « anti -pensée » , erreur abyssale de début de carrière du jeune philosophe , il s’est bien rattraper ensuite , nous pouvons reconnaitre cela . De fait j’attend encore un ouvrage
    traitant honnètement et sans parti pris cette difficile période heideggerienne . Cela étant dit , l’important n’est-il pas,en définitive,

    pour chacun de lire Heidegger et de voir dans l’expérience de lecture ce qu’il m’apporte honnètement et sincèrement à mon simple niveau personnnel de « philosophe » autodidacte ?

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  4. Oui, le vol au secours de Heidegger des plus hautes autorités philosophiques ressemble bien au refus de s’être grossièrement trompé alors que la même critique de cet odieux crétin à fort QI était déjà en place dès les années trente..!!!!?????
    Mais ce piteux de Lévinas et plus loin Finkelkraut n’y ont vu que du feu…et le cher Alain F. joue les « généreux de la pensée impartiale » comme il aime à le faire si souvent par une sorte d’élégance logique que je ne lui contesterai pas; pour défendre son erreur passée…
    Céline avait du style au moins; Heidegger, lui, n’ est qu’un abstrus-abscons odieux. C’est tout ce qu’on retire de sa lecture…Entre temps, de surcrpît, la science et la neuro-psychologie ont rendu les 90% de la philosophie obsolète comme l’alchimie peut l’être dans les laboratoires de biologie/pharmacie!

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