.
.
Beaucoup de lecteurs de Heidegger, tout en restant sur un terrain strictement philosophique – mais que veut dire exactement une telle expression? – ont souvent noté, parfois pour le railler respectueusement, le caractère bucolique et comme champêtre de l’expérience heideggérienne du monde. On pense à la Hütte, aux paysages de la Forêt Noire, au commentaire sur les chaussures peintes par Van Gogh… Cela même constitue pour nous une composante du dispositif heideggérien d’introduction du nazisme dans la philosophie. Le verbal s’associe à des valeurs paysagères non verbales pour disqualifier la ville.
Les nazis de l’époque haïssent la ville car elle leur apparaît comme une monstruosité et une menace de cosmopolitisation du monde. Les nazis de culture n’ont pas à être d’une sincérité à toute épreuve dans leur haine de la « polis ». Heidegger aimait certains petits hôtels où, de temps en temps, il échappait au contrôle idéologique d’Elfride-la-naze. (Non, je ne m’excuserai pas pour mon manque de respect envers cette grande dame du Reich).
Selon certains dires de Heidegger lui-même il semble qu’il y ait gôuté quelque chose comme une forme d’exotisme et de transgression de l’interdit. Mais quand on lit de la part d’heideggeriens comment on peut se servir d’Hannah Arendt pour délivrer à Heidegger un certificat de bonne conduite on se prend surtout à aimer la noblesse d’âme et de coeur de l’auteure de la Condition de l’homme moderne. Pour beaucoup il est longtemps apparu comme une promesse philosophique majeure. Promesse qu’il a profondément trahie et traînée dans la boue. Lui, l’analyste du « On », est resté piteusement dans le camp des majoritaires de « souche ».
Dans les années vingt, autre exemple et pour parler un peu d’urbanisme, le jeune Le Corbusier essaie de vendre un plan Voisin où le Marais, à Paris, est détruit par des tours dont la section ressemble étrangement à la fameuse croix gammée…
En Allemagne, quand Heidegger parle des chaussures peintes par Van Gogh, on construit un réseau d’autoroutes qui disent la puissance militaire d’un Volk « empaysagé » jusqu’au sang. Tandis qu’Albert Speer détruit les tissus historiques avec son gigantisme pompier.
J’ai dit que Heidegger n’avait pas à être entièrement sincère. La raison en est surtout qu’il s’agit d’une construction politique destinée à « völkischiser » une population. Les intello-fonctionnaires d’un Etat hitlérien doivent faire leur devoir. Mais ils ne croient pas nécessairement tout le temps aux sornettes qu’ils élaborent. Mais Heidegger, il est vrai, sait très bien compenser ce « manque-à-être » : il fuit en avant dans le crime. C’est sa grande jouissance.
Et pour autant, je l’ai justifié dans d’autres notes, que je tiens Introduction à la métaphysique pour être sur le fond un appel à l’extermination, j’ai été amené à reconnaître qu’il y avait tout de même, contre toute attente quoiqu’en termes « spirituels », une ville heideggérienne. Et c’est Auschwitz-Birkenau.
C’est là, dans cette ville monstrueuse faite de baraquements, de fours crématoires et de chambres à gaz, que l’apologie prophétique heideggérienne de l’ être-race aura trouvé à s’accomplir.
Ce n’est ni une invention ni une décision heideggériennes. Mais ce fonctionnaire homérique aura produit le chant métaphysique susceptible de « tenir » au moins une partie de l’élite, élite par trop exposée à la prise de conscience, au dégoût et à la révolte. Alors, quand le « grand philosophe » y va de sa romance, nous le peuple de penseurs et de poètes…
Martin l’enchanteur a su, l’anti-philosophe, autant l’endormir que l’enthousiasmer.
……………………………..L’être n’est pas l’étant. (M. H.)
Comment les chambres à gaz étaient dissimulées sous les fours-crématoires.
Les documents d’entreprises prouvent que les ingénieurs et les architectes mandatés par la Bauleitung d’Auschwitz connaissaient la destination précise de ce qui leur était commandé.
Pour nous Heidegger est celui qui aura chanté les vertus de cette « ville dispositionnelle ».
Thème du chant : « L’ouverture déterminée à l’estance de l’être ». (Introduction à la métaphysique).
.
.