15 propositions contre Heidegger

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Les propositions suivantes, et dont le nombre est destiné à s’accroître, résument certaines notes publiées sur le blog. Elles peuvent apparaître choquantes. Je prie le lecteur de croire que j’ai été le premier choqué par ce que le texte de Heidegger m’a semblé capable de dire. Mais si Heidegger introduit le nazisme dans la philosophie ce n’est pas rien. Et il faut tenter d’en rendre compte en élaborant comme un modèle d’une herméneutique du nazisme heideggérien. A notre charge de l’amender, de le réfuter ou de le justifier encore plus finement.

Pour comprendre la « séduction Heidegger » il suffit malheureusement de s’efforcer de penser comment un « philosophe » a pu imaginer pouvoir rallier certains esprits, pour beaucoup de manière purement subliminale, à la « magnificence » des chambres à gaz. Tout est dans cette horreur. Mais c’est cette horreur qui, telle un combustible honteux, alimente les feux de la magnificence heideggérienne.

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1. Auschwitz est un crime de l’Université. .
.A la différence de tous les grands massacres de l’histoire, y compris à caractère génocidaire, on ne peut « comprendre » l’effectivité d’Auschwitz que si l’on fait intervenir le savoir universitaire : anthropologie raciale, médecine, biologie, chimie, psychologie des foules, techniques et sciences de l’ingénieur, gestion mécanographie d’avant-garde, gestion en « flux tendus » des transports, architecture, beaux-arts, théologie protestante et catholique, philosophie notamment avec Heidegger, l’élément le plus brillant et le plus « porteur ».. La couverture offerte par l’église à l’extermination de groupes entiers d’amérindiens – dénoncée par le dominicain Bartolomé de las Casas; les « expériences » de Léopold II, roi de Belgique, au Congo; l’organisation du génocide arménien par les « jeunes turcs » sont des événements antérieurs qui s’inscrivent le plus près possible d’Auschwitz et en constituent des « génes ». .. 

2. Le texte heideggérien est un dispositif « poético-pensant », à caractère philosophique, d’ « introduction du nazisme dans la philosophie ». (E. Faye).

L’aphorisme de Heidegger, consigné dans L’Expérience de la pensée (1948), à savoir : La magnificence de ce qui est simple, rend parfaitement compte de la dynamique propre au dispositif Heidegger.

Le simple c’est toute une série comprenant notamment le « droit d’extermination ». On peut l’exprimer par la formule hideuse, mais tel est bien le nazisme, « y-a-qu’à gazer »!

L’aphorisme sur la magnificence résume parfaitement la dynamique et l’extrême tension qui parcourent le texte de Heidegger. Car il ne s’agit pas d’autre chose que de rendre magnifique, par détours, euphémismes, développements étincelants, promenades philologiques, « Destruktions », citations, les simples fondamentaux du nazisme. Et cela à destination des couches cultivées, constituées ainsi en cadres capables de völkischiser toute population stratégiquement intéressante.

3. Heidegger est l’ingénieur des âmes nazies.

L’expression d’ ingénieur des âmes est empruntée à Staline. Car telle est bien une des fonctions universitaires principales de Heidegger : édifier, sélectionnées dans l’élite de l’élite, les âmes nazies nécessaires à la production de la « plus-value » politique résultant de la völkischisation des âmes.

4. Le nazisme heideggerien est un nazisme « mondialisé ».

Toute la mise en scène völkisch dont s’est montré capable Heidegger, de la culotte de cuir en passant par la « Hütte » et la fidélité affichée à Elfride, est une simulation destinée précisément à la völkischisation. Celle-ci est parfaitement transposable dés lors qu’il y a des agents sociaux pour en reconnaître l’utilité politique.

Le génocide des Tutsis est par exemple une métastase du nazisme universitaire d’origine. Les nazis tropicaux ont sans doute, en nombre de victimes à la semaine, battus les records des SS. Ils ont « virtualisé » les sites d’extermination en transformant l’ensemble de l’espace social en un immense champ d’abattage où opéraient de petits groupes mobiles de « travailleurs ». Il était donc impossible, par exemple, de repérer un quelconque Treblinka. Ce génocide est trés sophistiqué aussi bien dans sa conception que dans sa réalisation. Il rend Auschwitz encore plus menaçant.

5. La « grande bêtise » de Heidegger ne consiste pas en un ralliement passager à Hitler.

Il est prétendu que Heidegger aurait reconnu son fourvoiement en reconnaissant sa « grande bêtise ». Mais le nazisme de Heidegger est ainsi jeté par la fenêtre pour réapparaître, plus magnifique encore, par la porte!

La « grande bêtise » consiste surtout dans l’affichage trop direct du nazisme du « grand penseur ». Il s’est effectivement avéré beaucoup plus intelligent de se « retirer » de la scéne de l’explicite et d’oeuvrer, en suivant de trés prés « l’expérience de la pensée hitlérienne », à l’introduction feutrée et magnifique du nazisme dans la philosophie.

6. Heidegger a été « plus utile à la cause » en prenant une posture de « penseur-poète » qu’en assumant véritablement une fonction de dirigeant, même de dirigeant universitaire.

Il y a ainsi chez Heidegger quelque chose qui tient à la fois de Homère et de Wagner. Il chante la geste du nazisme et, surtout, de la SS.

Le texte heideggérien est truffé d’hommages naturellement discrets à la SS. Il la compare par exemple à une forêt dont les troncs resplendissent de l’or du soleil couchant. Et ce soleil couchant est celui de la croix gammée elle-même en position « occidentale ». Et cela en 1948!.. Le svastika a fait un petit tour… le petit tour d’ Auschwitz.

7. Heidegger, si cela est possible, n’a jamais été autant nazi qu’à partir de 1945.

Les menteurs additionnent les contre-vérités sur Heidegger. Il aurait été nazi pendant un « certain temps », ce temps étant variable et les raisons de cet égarement diverses. Quelqu’un a ainsi parlé délicieusement d’une « erreur d’appréciation ».

Heidegger a toujours été un svastiké. (Croix gammée). A partir de 1945 il se déchaîne non seulement en continuant le combat contre le monstre bicéphale américano-soviétique, mais aussi et surtout parce qu’Auschwitz a été une réussite exemplaire. Heidegger s’est plaint que cette « ville » ait été fermée trop tôt.

Dans La lettre sur l’humanisme, les thèmes de l’abri et du berger de l’être sont un hommage vibrant à l’oeuvre exemplaire du Führer, sacrifié christiquement à la cause de l’Etre.

8. Le svastika, ou croix gammée, est à Heidegger ce que la croix du christianisme est à Kierkegaard. 

Nous voulons dire que le texte de Heidegger ne cesse de méditer en fonction du svastika. Le chef d’oeuvre de cette méditation, « peaufiné » après la guerre, demeure la doctrine du Quadriparti.

9. Pour Heidegger, « philosophe » est un équivalent, naturellement négatif, de « juif ».

La philosophie est par trop analytique. Elle est « juive » au sens où elle a un pouvoir de désenchantement qui « assombrit » le monde.

Le simple de l’extermination exige au contraire des « cogitos » subjugués par l’enchantement, par la magnification.

10. De nombreux petits « boulots » – des petits boulots « d’anti-philosophes » – sont encore possibles pour entretenir et si possible parfaire le « blanchiment » de Heidegger.

Le dispositif Heidegger exige effectivement un entretien constant et jaloux.

C’est une ingénierie discursive assez délicate. Car l’effet de magnificence peut s’avérer en réalité plutôt fragile.

11. L’expression « ouverture déterminée à l’estance de l’être » – Introduction à la métaphysique (1935) – est un appel à l’extermination. .

L’expression est caractéristique de la méthode de Heidegger. Elle suit de peu un passage où il critique l’organisation du peuple comme race. A tort cette critique est mise en avant pour justifier un Heidegger « critique du nazisme ».

En réalité « l’heideggérisme » est exemplaire de la manière dont la rationalité de la métaphysique se confronte avec le racisme moderne dans l’intention de l’absorber et de le justifier.

Certes nous savons que Heidegger avait formé le projet de rompre avec toute une tradition, de la « détruire ». (Destruktion).

Et il s’agit notamment de purifier la pensée « de l’ouverture » de tout ce qui pourrait s’opposer à l’exercice du « droit d’extermination ».

Cela dit la notion de race est par trop ambigüe et entre en tension avec le projet de « magnificence du simple ». L’humanité se pense effectivement comme espèce, mais sa détermination raciale induit une animalisation qui entre en contradiction avec l’ambition « historiale ».

Au fond Heidegger, pour le dire familiérement, dit au Volk : « Arrêtons de nous comporter comme des boeufs, même d’essence supérieure. Nous méritons mieux que cela ». Le mot « être » vient en quelque sorte assurer l’assomption ontologique du trop animal « race ». C’est pourquoi, selon nous, l’expression « ouverture déterminée à l’estance de l’être » constitue bien un appel à l’extermination, appel implicitement contenu depuis des années aussi bien dans les textes hitlériens que dans les usages du symbole du svastika.

L’expression veut dire : nous ne serons pas des boeufs pour autant que nous saurons conduire à l’abattoir les sous-hommes! Au nom de l’Etre.

12. Etre est un mot destiné à assurer l’assomption ontologique de la notion de race.

La notion de race, comme nous venons de le voir, risque d’induire une animalisation contradictoire avec le projet messianique hitléro-nazi.

Le discours de l’être, et de la différence ontologique, a l’utilité de fournir une version « transcendantale » – et encore plus « fantastique » – de la notion « impossible » de race.

13. La problématique de l’Etre, et de l’estance de l’Etre, est d’autant plus prégnante qu’elle constitue en réalité une dynamique visant à justifier l’extermination.

Chez Heidegger, plus ça « est » et plus ça tue. Ou, plus exactement, plus ça fabrique de cadravres. Car les exterminés, de leur côté – et cela est parfaitement cohérent – n’ont jamais vraiment été.
 

14. On peut distinguer trois cercles dans le texte heideggérien :

– le premier cercle est constitué aussi bien par les déclarations explicites favorables au nazisme que par des énoncés nazis codés. « Ouverture déterminée à l’estance de l’être » constitue un exemple d’un appel nazi à l’extermination codé en « métaphysique ».

– le deuxième cercle est constitué par la « poético-pensée », distinguée soigneusement – en instrumentalisant la phénomènologie – de la « philosophie » et destinée à former les élites de l’élite national-socialiste.

– le troisième cercle, il est vrai hypothétique, correspondrait à ce qu’on attend habituellement d’un philosophe à savoir la constitution d’éléments d’une « sagesse » transmissible universellement.

La réception critique de Heidegger ne peut s’opérer qu’en s’interdisant tout d’abord toute forme de négationnisme à l’encontre du nazisme de Heidegger. Beaucoup « d’amis de Heidegger » sont hélas de véritables mythomanes. Et ils sont souvent enseignants.

Il s’agit donc, à partir de ce point de fuite, de circonscrire ce qu’il en est au juste de ces trois cercles.

Mais ce dont on sait déjà c’est que le troisième ne peut absolument pas s’adresser ni aux victimes, ni à leurs « descendants virtuels », des génocides que Heidegger a appelé de ses propres voeux. (« Ouverture à l’estance de l’être »).

Ce n’est pas le fait que des lecteurs fassent du miel avec Heidegger qui est choquant mais qu’ils le fassent, parfois avec leur complicité, entourés d’un glacis de mensonges insupportables. C’est autant choquant pour l’intelligence que pour la morale et cela dévoie profondément la notion même de philo-sophie.

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15. Une définition de l’heideggérisme. L’heideggérisme n’est ni un système ni même une philosophie. C’est un dispositif « poético-pensant », anti-philosophique, de « baroquisation » des esprits destiné à intégrer dans le processus civilisationnel la biopolitique d’extermination. La magnification du « simple » qu’est le droit d’exterminer est au coeur de la méthode.

Une des caractéristiques de cette méthode, qui a quelque chose à voir fondamentalement avec le négationnisme, est que l’horreur matérielle, physique et « animale » de l’extermination doit impérativement demeurée soustraite à l’appréhension que nous pourrions appeler « primaire ».

Lorsque, dans Introduction à la métaphysique, Heidegger appelle à l’extermination en l’espèce de l’ ouverture déterminée à l’estance de l’être, il se livre à trois opérations complémentaires :

– il évite de choquer les simples adeptes du nazisme (dont beaucoup l’étant par « suivisme » et par antisémitisme verbal pourraient se resaissir en prenant conscience de la dimension criminelle abjecte du programme hitlérien);

– il apporte lui, le grand philosophe allemand, une caution et un langage « ontologique » à la criminalité la plus monstrueuse;

– ce faisant il permet aux cadres déterminés du nazisme d’effacer pour eux-mêmes ce qu’une formulation trop directe pourrait leur rendre insupportable et finalement inacceptable.

Je traduis. En 1935 le concept de la chambre à gaz est encore loin. Pour en arriver à Treblinka il faudra l’expérience, éprouvante pour les exécutants, de la « shoah par balles ».

Non seulement la formule « ouverture déterminée à l’estance de l’être » est diplomatiquement diffusable mais elle habille par avance des opérations comme : « mitrailler-des-groupes-de-femmes » d’une formule magnifique.

Introduction à la métaphysique est en ce sens une introduction à l’ingénierie de la biopolitique d’extermination.

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2 commentaires

  1. c’ est vraiment étonnant cet article, je pense que l’ auteur est pessimiste vis à vis de Heidegger et sa philosophie. A mon avis ne peut il (heidegger) pas être sous la répression des Nazi, par exemple en lui,1944, fait savoir qu’il fait partie des enseignants les moins nécessaires de l’ université et qu’il est réquisitionné pour alller faire des travaux de terrassement sur la rive du Rhun; c’ est peut être pace qu’ il accepte de produire des textes pour les Nazisme qu’ il est le seul incorporé sur un ordre du parti dans sa fonction de professeur de l’ université dans la Volksturn. Il faut penser à la puissance de Hitler en Allemagne et cette forte répression des nazismes pour les intellectuelles nationales.c’ est pourquoi on voyais Heidegger au près de Hitler presque dans tout les manifestation où celui- ci est apparu.

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    Ma seule réponse, en vous renvoyant à d’autres notes du blog est celle-ci : Heidegger était lui-même un hitlérien acharné et a oeuvré à la « décision ultime » (Heidegger) à savoir la mise en oeuvre de la solution finale.

    Skildy

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  2. Concerne : A propos de ce faux « philosophe » M. Heidegger !…

    Bonjour,

    Merci infiniment d’exister sur Internet !… Je suis heureux que vous ayez le courage de dénoncer ce faux penseur (admiré par le prix Nobel de physique allemand Werner Heisenberg, ce qui me fit perdre un peu plus de deux années de mon existence afin de l’étudier parce que je fis à priori confiance à un « prix Nobel » en science !…) qui aurait publié plus de 100 volumes de sa folle logorrhée ?
    Il me semble que M. Emmanuel Faye a parfaitement raison à travers la citation que vous publiez en exergue.
    Lorsque l’on lit Hölderlin, Nietzsche, Platon ou de bonnes traductions françaises des fragments d’Héraclite, non seulement, si l’on est honnête, on s’aperçoit qu’Heidegger n’apporte rien, mais embrouille et se sert d’autrui afin de soutenir son galimatias sémantique. Effectivement, comment peut-on prétendre qu’Heidegger serait un « grand philosophe », tout en ignorant l’étymologie même de ce terme, et en ayant soutenu l’abomination du nazisme ? Il est invraisemblable que les universités en Occident continuent à inclure ce soi disant « penseur » dans leurs programmes, sans jamais s’expliquer sur la « scientificité » des critères qui autorisent ce choix ? Il y a nombre d’autres « penseurs » dans bien des domaines qui ne font pas partie de ces « programmes », et qui mériteraient d’être au moins présentés succinctement auprès des étudiants ?
    Un aspect sur lequel les « heideggeriens » (qui paraissent fonctionner comme une sorte de « secte » ?) ne répondent jamais ou par des circonlocutions qui enterrent le sens même de la question, est celle-ci : pourquoi, dans une certaine mesure, parvient-on à expliquer en physique, la mécanique quantique sans le formalisme de l’algèbre et ne peut-on pas (du moins dans les études que j’ai lu…) en faire autant avec Heidegger, soit sans recourir à ses constructions de mots, absolument absconses ? Je sais bien que l’allemand se prête particulièrement à cela, mais Nietzsche avait précisément tenté de s’extraire de cette manie dans laquelle Heidegger retombe à pieds joints !
    L’orgueil de ce « petit bonhomme » apparait sur nombre de portraits photographiques, et principalement lorsqu’il croit stupidement pouvoir dépasser par l’ontologie la Métaphysique Traditionnelle, d’Occident comme d’Orient, tout en « singeant », lorsque cela lui convient, certains aspects des spiritualités orientales, auquel il n’a strictement rien compris. Il est demeuré engoncé dans les miasmes de son psychisme avec toutes les graves conséquences que cela a produit ?…
    Günther Anders a écrit un stimulant petit volume (paru aux éditions Sens & Tonka, Paris), heureusement traduit, contre Heidegger, et m’a ainsi permis, après deux années perdues, d’en finir avec ce prétentieux « philosophe » allemand.
    Vu l’horreur (dont Madame Simone Veil, Académicienne, a par exemple, bien expliqué ce qu’il en fut pour ceux qui malheureusement la subirent ?) de la Shoah comment ose-t-on aujourd’hui encore installer une sorte « d’écran » de fumée avec ce flot de paroles et la réalité en question ?
    Enfin, il y aurait bien des choses à énoncer pour éviter que d’autres ne s’enlisent dans le galimatias heideggerien, mais je ne souhaitais que vous faire part de quelques unes de mes impressions par rapport à ces questions.

    Avec mes remerciements anticipés pour l’attention que vous voudrez bien porter à ces quelques lignes,
    et mes salutations les meilleures
    Olivier Dard
    damien.olivier@sunrise.ch

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