La chute de la maison Heidegger

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Quelques bonnes sinon grandes signatures ont beau y aller de leurs propres mensonges (Nancy, Sloterdijk, Brague, Caron…), donnant une image de l’activité philosophique confinant à un art de la tromperie – et le faire au nom de la bonne cause, celle de la pensée, est une circonstance aggravante – il ne peut se faire que, dés lors qu’on fait l’effort, pénible au demeurant, de lire le nazisme constant de Heidegger qui sous-tend un texte étincelant, la maison Heidegger ne nous apparaisse pas comme en train de s’effondrer.

Elle ne tient, majestueuse et comme ayant réussi un alliage entre la « hutte » sympathique et chaleureuse et le palais aux miroirs, que parce qu’on ne se met pas à l’écoute des ondes de sens qu’elle ne cesse de diffuser.

L’homme de cette maison, « grand philosophe »,  n’est pas :

– Un penseur qui s’est un moment égaré du côté de l’hitlérisme;

– Un penseur dédoublé entre un être digne et un être abject;

– Un penseur qui aurait résisté spirituellement au nazisme.

Ces trois personnages, incompatibles entre eux mais co-existant pourtant sur le marché, ne le sont pas avec le texte heideggérien. Pour la raison fondamentale que Heidegger n’est aucun de ces trois personnages mais un auteur qui les nourrit d’éléments d’une stratégie discursive de codage-dissimulation-transmission du nazisme hitlérien.

Philippe Sollers, s’émouvant de la « grandeur heideggérienne », oublie par exemple que cette grandeur n’est que cette « grandeur interne » que Heidegger, en l’espèce de son propre texte, ose prêter au nazisme.

Et quand Alain Finkielkraut, tout en reconnaissant la « banqueroute totale » de Heidegger, traite Emmanuel Faye d’éradicateur il dévie sans s’en rendre compte le coup qu’il destine en réalité à Heidegger lui-même. C’est Heidegger qui s’éradique lui-même dés lors qu’on n’accepte plus « l’enchantement du cogito » grâce auquel il fabrique le tombeau pharaonique des fondamentaux du nazisme hitlérien.

Lorsque Catherine Malabou dit d’Emmanuel Faye qu’il commet un crime contre l’intelligence – en demandant une « déclassification » de Heidegger – elle oublie que le premier criminel c’est d’abord Heidegger lui-même en tant qu’il fait de l’intelligence philosophique une intelligence criminelle, l’intelligence même du crime.

« La magnificence de ce qui est simple », dit Heidegger. Le simple c’est le nazisme, la croix gammée, le « droit d’extermination ». L’essentiel de Heidegger n’est que la magnification de ce simple.

Jamais sans doute la philosophie n’aura-t-elle été à ce point sous le charme d’un mirage et d’une illusion.

Le lecteur séduit fait étinceler la maison Heidegger pendant que, dans ses placards, gémissent les spectres des victimes passées et des victimes futures du nazisme.

Avant tout autre décision il incombe essentiellement et de toute urgence de lire Heidegger pour ce qu’il est. Il n’est pas qu’un philosophe un temps égaré à Syracuse mais un nazi de conviction, et de conviction éternelle, travaillant en fonctionnaire zélé de tout Etat possible « fondé » sur le droit d’extermination, à la confection d’arguments destinés à élever des peuples en élisant parfois certains d’entre eux – grâce à leur soumission exemplaire et à leur culture de l’organisation – aux rang de peuples-tueurs.

Introduction à la métaphysique (1935) est un vibrant appel heideggérien au passage du simple narcissisme collectif de la gestion völkish de la race à l’accomplissement de l’être, entendons, à la solution finale. Auschwitz est pour une part un concept heideggérien.

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4 commentaires

  1. J’ai pu voir la confrontation, sur LCP, dans l’émission Bibliothèque Médicis, entre François Fédier, gardien des oeuvres du maître de la Forêt Noire et Emmanuel Faye, philosophe stigmatisant le soubassement « nazi » de certains propos du philosophe allemand.
    A la question d’Elkabach qui demandait à Fédier si les archives heidegeriennes seraient ouvertes à tous les chercheurs, le laudateur de l’auteur d’Etre et Temps, répondit, impertubable, que ces archives seraient à la disposition des chercheurs bien intentionnés …
    Une réponse assez stupéfiante !!

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  2. Cher Skildy,

    Quel soulagement de voir que la vérité avance! J’étais seul il y a un tiers de siècle pour dire que Heidegger était le fondateur spirituel du nazisme et le dirigeant suprême de l’expansion territoriale et de l’extermination. Personne en France n’était capable de lire les textes de Heidegger déjà publiés depuis la défaite nazie. Depuis cette date la lecture des textes publiés inconnus alors et la reprise en considération chronologique des écrits a confirmé l’absolue vérité de cette thèse. Pour moi ce n’était déjà pas à l’époque, une thèse mais un constat. Il suffit de savoir écouter Heidegger mais les yeux des gens intelligents ne s’ouvrent que lentement. Alors , pensez, les autres…Heidegger est un nietzschéo-hégélien. Son projet de naissance historique de la tragédie est conçu depuis 1911. Il est déjà bien diffusé en 1913. En 1916 avec la publication du Duns Scot, la diffusion s’accroit. Les lettres à Elfriede publiées depuis confirment cette volonté d’arriver au « sommet » de la lutte contre les Juifs. Emmanuel Faye s’est approché de la vérité mais par souci d’objectivité il n’a pas pu aller jusqu’au bout. Il avait pourtant les documents sous les yeux mais la passerelle lui manquait pour franchir la douve de la forteresse heideggérienne. Pourtant dans tous les documents publiés jusqu’ici la passerelle existe. Il suffit d’abaisser le pont-levis. C’est-à-dire de donner la véritable interprétation des textes publiés. J’ai relu ce matin la préface de Faye dans l’édition de son Heidegger en livre de poche. Tous les documents nécessaires y sont notamment l’entrefilet de la lettre à Elfriede (p.10). 1911, 1913,1916 qu’est-ce que ça veut dire? Mein Kampf n’avait pas encore été publié que je sache à ces dates-la. Et Heidegger nourri des lectures de Hegel et de la Naissance de la Tragédie de Nietzsche se prenait déjà pour le « libérateur de la Germanie » avide de « trancher ». Il menait son action en compagnie de Max Scheler. En 1928, à la mort de Max Scheler, il se retrouva tout seul pour diriger. Le « surplomb de valeur absolue » des membres du « cercle » devait maintenant mener l’entreprise tout seul. Semblable à Lacenaire, avec son bras droit, il arriva à ses fins. Le cours sur l’essence de la vérité en 1931-32, le montre amplement. Encore faut-il savoir le lire. C’est-à-dire, voir comment Heidegger a formé progressivement ses disciples actifs. Il dit clairement que ce n’étaient pas les « gardiens » , c’est-à-dire les philosophes qui devaient « devenir chancelier », mais quelqu’un d’autre. A cette date-la, aucun doute n’est permis sur la guidance d’Hitler par Heidegger. Les propos de 1933 et de 1937 le confirmeront. Et puis d’ailleurs tout ce qu’il dit le confirme. Si les Français ne voient pas clair c’est que leur éducation positiviste passée leur a mis un bandeau sur les yeux. L’enseignement de l’histoire du III° Reich a été en France une catastrophe. Je ne crois pas que ce soit par hasard.
    Michel Bel 12.07.2007

    ________________________

    Cher Michel Bel,

    Ce sont surtout certaines formulations qui nous séparent et non l’appréciation générale que nous portons, vous et moi, et horrifiés, sur la signification nazie de toute l’oeuvre de Heidegger.

    Je ne sais pas s’il fut « un dirigeant suprême de l’expansion territoriale et de l’extermination ». Je récuserais quant à moi le terme de « dirigeant suprême ». Il y avait trop de gens, à l’époque, qui étaient « nazifiés à coeur » pour avoir besoin d’un Heidegger en dirigeant suprême.

    Heidegger est nazi et c’est un suiveur zélé, à mon avis, plutôt qu’un dirigeant. Je me l’imagine comme un Homère pervers qui chante, loue et magnifie la geste des nazis extermination comprise. C’est le Wagner de la philosophie allemande et dont le choeur héroïque est formé par la SS.

    Cela dit je considère Introduction à la métaphysique comme un appel « ontologique » à l’extermination. Mais cet appel vise l’élite culturelle allemande et n’est très probablement pas une véritable décision d’appareil. Laquelle, préparation heideggérienne aidant, interviendra – il est vrai « officiellement » – à Wannsee au début des années 1940.

    Il est incroyable que, jusqu’ici, on ait accepté de feindre une lecture « naïve » de Heidegger. Tous ses textes tournent autour de l’idée d’une sorte d’assomption de l’ être-race.

    Et il est incroyable qu’on n’ait pas compris, ou feint de ne pas comprendre qu’il ne cesse, y compris dans ses textes d’après 1945, de célébrer la mémoire des héros de l’ être-race, des héros de la différence ontologique hitlérienne : la SS.

    Skildy

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  3. Oui,
    pourquoi l’aveuglement effarant des intellectuels à grosses têtes? Mystère ? Non, simplement pathologie mentale, immaturité affective et narcissisme massif et paranoïa chez des gens nantis, hélas, d’un « bon cerveau fonctionnel » mais pas intelligent…
    Voilà la tragédie de notre espèce: associer un système neurologique impeccable à une pathologie affective massive.
    Personne ne veut entendre parler de ce problème là non plus, puisque personne n’est vraiment sûr qu’il ne soit pas concerné à mort par ce problème et comme on ne peut compter que sur 20% de gens bien foutus….!On « évite » soigneusement cette question angoissante.
    Qui tente un instant d’essayer d’expliquer que des « grands cerveaux » par dizaines de milliers aient conçu et soutenu des régimes staliniens ou nazis dans leur entreprise d’évincement des cerveaux bien faits? Par bonheur, ils ont pu, au moins pour certains, fuir en GB ou aux USA pour abattre la Bête?
    Par bonheur, la Bombe A fuit juive et non aryenne, et les antibiotiques (péni, strepto) aussi. Ils ne parvinrent en Allemagne qu’en 1947…
    La génétique de Lyssenko a mis la Russie 5O ans en retard…etc…

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  4. A propos du débat sur LCP: la pusillanimité des journalistes et leurs dépendnace carriériste les font se cacher derrière la « politesse » et la « courtoisie » sic…(Mon oeil!)
    Ainsi de Mr Elkabach, aussi.
    Pas de droit de poursuite comme aux USA, ici, en France « policée » …
    Tiens!… policé? Voilà un bien bel adjectif qui fait davantage référence à la Police et la Peur qu’à la conscience vraiment tranquille du « bien élevé »…

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