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Une des raisons fondamentales pour lesquelles il est indispensable de continuer à rechercher ce qu’il en est au juste du nazisme de Heidegger tient au fait même que sa reconnaissance académique, à laquelle fait écho un groupe au reste hétérogène de thuriféraires, induit une représentation a priori innocente du texte heideggérien. On ne peut, par définition, donner à étudier à des lycéens des textes d’un « penseur nazi ». La conséquence est donc bien que, a priori, Heidegger n’est pas un « penseur nazi ».
La situation est proprement scandaleuse. Les lecteurs, lycéens, étudiants, enseignants ou simples « amateurs » sont pris pour des « moins que rien » auxquels on peut vendre un équivalent contemporain paraît-il de la trempe d’un Platon ou d’un Hegel alors même que la question de sa responsabilité intellectuelle et morale dans la justification du nazisme comme régime raciste d’extermination, et donc comme représentant une menace pour l’humanité, demeure ouverte et cela depuis au moins les interrogations et les critiques déjà anciennes d’un Eric Weil ou d’un Günther Anders. Même un Marcel Conche s’est cru autorisé à construire un Heidegger en père Noël « résistant spirituel au nazisme »! Nous sommes dans l’indignité la plus totale et la plus choquante.
Explication d’image : tous ceux, qu’ils le fassent avec un talent de « poético-penseurs » ou non, nient le nazisme de Heidegger ressemblent à ceux qui ont sélectionné dés leur entrée dans les camps, et pour les envoyer dans la chambre à gaz, les porteurs de lunettes.
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Ainsi, au lieu de prendre la question au sérieux, tout un groupe d’intellectuels, supposés d’authentiques philosophes, font preuve d’une légéreté et d’une irresponsabilité invraisemblables en réduisant le problème à la dimension d’un fourvoiement passager sans incidence sur la signification du « penser-agir » du texte heideggérien.
Le minimum de prudence et de solidarité autant pour les victimes historiques du nazisme que pour les futures victimes de ses résurgences et métastases possibles voudrait qu’on ne plaçât au coeur du patrimoine spirituel de l’humanité que des pages qu’on pourrait déconnectées d’un dispositif général de légitimation et d’introduction d’un système reposant sur l’exercice d’un droit immonde d’extermination. Et cela exige que, sans retenue et avec la plus complète liberté dans l’art de questionner, d’interpréter, de problématiser on explore les plis les plus obscurs d’un texte dont la complexité, la densité mais aussi le caractére répétitif ne peut qu’éveiller l’esprit de vigilance et pourquoi pas celui de résistance.
A ma mesure, et à la suite de la parution de la thèse de « l’introduction du nazisme dans la philosophie » (E. Faye) j’ai entrepris de lire Heidegger en partant de l’hypothèse que, pour l’essentiel, la politique heideggérienne était bien celle d’une croyance sans faille dans les vertus du « droit d’extermination ».
J’ai découvert de véritables horreurs comme, par exemple, le fait que par « magnificence du simple » Heidegger, en dévoyant au sens fort du terme des poètes comme Hölderlin, fixait à la « poético-pensée » rien moins que la tâche publicitaire de magnification du simple fondamental de tout nazisme : l’assassinat de masse d’Etat.
J’ai découvert, en reprenant la lecture de La lettre sur l’humanisme, que le Heidegger d’après 1945 est tout sauf un repenti. Peut-être que sa « grosse bêtise », qu’il aurait reconnue, ne consiste que dans ces moments où il est apparu explicitement nazi. Car la « sagesse pratique » de Heidegger, qu’il a rapidement et brillamment acquise, s’exprime dans un art incomparable de cryptage et de dissimulation du nazisme.
Heidegger a fait de la philosophie la tanière où sommeille la bête immonde.
Heidegger, dans La lettre sur l’humanisme, célèbre en réalité l’oeuvre hitlérienne d’Auschwitz.
De ce fait j’ai fait l’expérience amère et consternante de textes récents destinés à dédouanner et à « adoucir » le texte heideggérien. Je ne parle pas tant du groupe des « Fédier », à vrai dire plutôt insignifiant, que d’auteurs comme Nancy ou comme Sloterdijk qui, du haut de leur prestige, et certainement pas par complaisance pour le nazisme, font l’injure aux lecteurs philosophes de considérer « l’affaire » autant comme répétitive que sans conséquence et vouée à l’inessentiel.
Ce qui est invraisemblable c’est le refus de procéder comme à un état des lieux approfondi. Et cela parfois au prétexte, inadmissible eu égard à la gravité et à la signification humaine des enjeux, qu’on risquerait de se livrer à des pratiques inquisitoriales ou à des procédures staliniennes.
Le nazisme de Heidegger est une vraie et grave question philosophique. Elle doit être explorée, comme l’a indiqué pour finir un Derrida, sans limite.
Alors, la vérité sur Heidegger?
C’est naturellement la « magnificence du simple ».
Le texte heideggérien, en risquant une métaphore, est semblable à un diamant noir qui contiendrait en son centre le svastika, ou croix gammée, en tant que symbole du droit d’extermination.
Tous les feux qui jaillissent de ce diamant, à la lumière changeante des lectures, n’ont pour but essentiel que de former des élites capables de « magnifier le simple » que représente le svastika.
Le svastika est à Heidegger ce que la croix du christianisme a été pour Kierkegaard.
Il est la clé symbolique du « dispositif Heidegger ».
La seule chose qu’on est en devoir de concéder est que si quelques feux produits par ce diamant méritent d’être transmis ce ne peut être qu’à la condition impérative d’une déconstruction anti-nazie résolue du diamant.
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Voilà un très beau texte dont je souhaite qu’il soit porté à la méditation des étudiants versés dans l’étude du nazisme et de la philosophie allemande. Ils pourraient ainsi passer de la visée de la métaphore à l’étude du diamant noir. Ils seraient notamment conduits à découvrir en guise de « feux » de diamant, les concepts fondamentaux de l’ontocratie heideggérienne tels que : le « genos », le « logos », le « feu », l’ « être-en-faute » et le « salut ».Il est grand temps que les universitaires se penchent sur ces concepts, ou pseudo concepts, pour en dégager la signification thanatogène « national-socialiste ».
Michel Bel
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