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Jamais, peut-être, un titre n’aura à ce point contribué à enfouir le sens d’un film. Je veux parler de M le Maudit, de Fritz Lang. Le spectateur est préparé, par le titre, à se concentrer sur le sérial killer – Hans Beckert tue des petites filles avec un couteau – et à ne lire la lettre M que comme un signe qui accuse le monstre. Rappelons que, désespérée par l’impuissance de la police à débusquer le tueur, police qui, en la harcélant pour faire patienter le public, perturbe la bonne marche de ses affaires, la pègre décide de mener elle-même l’enquête et de liquider le tueur.
Grâce à ses réseaux d’informateurs elle parvient à localiser M et à le capturer. Pour ce faire un indicateur, après avoir écrit M sur sa propre paume, imprime la lettre sur le pardessus de Hans Beckert.
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Après vérification le titre original allemand est simplement : M.
Or M, dans le film, peut vouloir dire évidemment Mörder (meurtrier) mais aussi Mutter (mère), Materie (matière) mais sans doute plus sûrement Mal qui signifie marque, trace. M le… marqué!
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C’est ici qu’il ne faut pas se tromper. Qu’il faille tout faire pour empêcher M de faire de nouvelles victimes s’impose. Mais les justifications que fournit le chef de la pègre, Schränker, affirmant au cours d’une parodie de procés que M tuant de manière compulsive son extermination s’impose, donne à la lettre M sa véritable signification, non pas Mörder (meurtrier ou maudit de manière plus métaphorique) mais Mal, la marque. M est un marqué. M est donc mal dit : M est en réalité marqué… M est le marqué!
Deux ans avant la prise de pouvoir par Hitler en Allemagne Lang nous désigne la véritable monstruosité, le véritable crime : le partage de la société entre des non-marqués et des marqués en tant qu’exterminables.
C’est là où réside l’extraordinaire du film. En 1931 Fritz Lang nous livre comme une archéologie-fiction du nazisme, de tous les nazismes.
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C’est une des images les plus célèbres de l’histoire du cinéma. Mais elle est rarement comprise. Le spectateur enregistre, non sans satisfaction, que l’assassin d’enfants qu’est Hans Beckert constate qu’il a été repéré et qu’il est désormais en passe d’être capturé.
Mais l’image montre une catastrophe sans doute bien plus terrible que la monstruosité même de M le maudit. Désormais des êtres humains sont marqués. Schränker, le chef de la pègre, expliquera que l’assassin doit être exterminé. La traque de l’assassin d’enfant fait la soudure entre la vision criminelle de la pègre et l’opinion publique. Désormais la route est libre pour la généralisation du marquage et le crime de masse d’état.
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