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Pourquoi le nazisme? Pourquoi l’endoctrinement racial? Pourquoi l’extermination des juifs, des tziganes, des déviants et, pour plus tard, d’une partie des slaves?
Il me semble que, pour l’essentiel, et dans la mesure où le nazisme est contemporain de l’expérience démocratique moderne, le national-socialisme est un dispositif propre à massifier précisément la démocratie. Et cela dans le but de tuer dans l’oeuf les initiatives, les innovations politiques et sociales dont une véritable vie démocratique favorise l’expression. En un sens c’est une façon de mettre toute une société dans un camp. La personne « aryenne » qui glousse de plaisir en voyant un train de juifs se diriger vers un camp est elle-même dans un camp. La différence essentielle, outre naturellement qu’elle n’est pas destinée à l’extermination, seulement à l’instrumentalisation politique, par exemple fabriquer des armes pour le front de l’est, est qu’elle ne voit pas qu’elle est dans un camp, qu’elle ne se voit pas dans un camp.
Le ressort principal de cette massification est la polarisation vers des minorités – il est essentiel qu’elles soient sans défense – qu’on sacrifie sur l’autel d’une souveraineté « populaire » fantasmatique et flatteuse. Et là aussi il importe que les choses fonctionnent sur le mode du « secret de Polichinelle » (1). Cela donne plus de piquant et de mordant à la flatterie. L’extermination?… Chut…
En ce sens je pense que, structurellement, n’importe quelle minorité peut faire l’affaire. Il y a une case appelée : extermination. Il s’agit de savoir, en vue du processus de massification-flatterie-mobilisation, quel est le groupe, ou les groupes, susceptibles d’occuper cette case. Cependant certaines données ont comme surdéterminé le « choix » de l’antisémitisme. D’abord la tradition, celle de la judéophobie, puis celle plus récente de l’interprétation raciale, « socialement darwinienne », de cette judéophobie. Le groupe des victimes était ainsi pré-désigné. Mais il y a mieux qu’un simple « choix » de type « mécanique ».
Il s’avère que le judaïsme c’est aussi la loi mosaïque, la formulation du Tu ne tueras point.
Le peuple nazifié est ainsi d’autant plus à la fois flatté et mobilisé qu’on lui offre en quelque sorte la tête d’un groupe qui place au centre de ses valeurs l’interdit de tuer. C’est une manière de dire : la route est libre pour que toi, peuple-Volk, tu exerces librement, sans entrâve, pour ta liberté et tes conquêtes mondiales, le droit de vie et de mort sur ceux qui, en plus simplement d’exister et d’occuper de l’espace, menacent ton intégrité et ta supériorité raciale.
Mais le comble est atteint quand, en plus, le peuple de Moïse prétend être l’élu de Dieu. « Se faire » le peuple élu, voilà qui vous donne un sacré coup de vitamine! Le Volk ne devient-il pas ainsi, magiquement, le peuple sur-élu? Mon langage est cru. Mais il est bien en-dessous de la « machination » et de l’esprit de calcul des nazis.
Bien entendu c’est un peu rapide. Mais continuons le raisonnement. Imaginons que le groupe des victimes se soit trouvé en situation de se défendre avec acharnement et efficacité. Je crois intuitivement que cela aurait compromis la réussite du stratagème. Non pas tant à cause des risques que cela aurait fait courir aux bourreaux, mais parce que le massacre massif (et génocidaire) de gens placés en situation d’incapacité à lutter – peut-on lutter avec des enfants en bas âges? par exemple – vous oblige vous mêmes à faire jouer la gonflette du héros et du combattant. Les juifs vont à l’abattoir, les aryens au combat. C’est de l’aristocratie « populiste » efficace quoique coûteuse en vies humaines. Mais, en un sens, les aryens vont combattre aussi pour des illusions. Ils sont mobilisables. Ils deviennent ainsi, grâce aux gens sans défense qu’on a tué intentionnellement honteusement, des esclaves idéaux : volontaires, enragés, héroïques, massacreurs etc.
Je crois ainsi qu’on aurait tort de céder à la haine du « nazifié de base ».
Au savoir en « secret de Polichinelle » de milliers et de millions de gens qu’on extermine comme des rats correspond la fabrication d’armées entières d’ esclaves idéaux pleins de morve, de mépris, de cruauté, d’indifférence… Chaque juif éliminé comme un poux est comme remplacé par un « sur-homme » grotesque qui entre dans l’être humain et le transforme en esclave hautement performant.
Au fond le comble de l’antisémitisme est atteint, dans sa fonctionalité, au moment même où le juif s’évapore en fumée du crématoire. Car tout est fait pour qu’il soit ainsi la figure absolue de la honte.
L' »aryen » se doit alors, pour éviter d’être un tant soit peu comparé à cet objet de honte total, de montrer ses capacités à combattre. L’homme ordinaire, parce que dans ce cas aryanisé, est lui-même piégé par l’antisémitisme génocidaire.
Il est facile de comprendre pourquoi il ne voit pas le piège. Il ne voit pas le piège comme il ne voit pas , puisqu’il voit de loin les barbelés et le four crématoire, le camp dans lequel il est lui-même captif.
Il peut alors tuer et nettoyer des territoires entiers au lance-flammes. Il tue à l’intérieur d’un camp. Et son signe distinctif à lui s’appelle : SS.
Et le SS est précisément d’autant plus lui-même dans un camp que, selon la règle nazie, il lui faut le moins possible pénétrer dans les camps « littéraux » et désignés comme tels. Autrement dit le SS est lui-même le camp. Il est captif, enfermé refermé dans la construction de lui-même comme machine inhumaine. Par exemple il est absolument inconcevable qu’il puisse aimer une femme ou un homme juif. Le camp dont il est captif le lui interdit expressément.
Le résultat de son enfermement est la destruction de son humanité.
Mais il demeure si bien enfermé dans son propre camp que, chaque fois qu’il progresse dans l’espace, chaque fois il le transforme en camp. Machinalement. Comme l’arraignée tisse sa toile.
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Remarque
Bien entendu, dans ce contexte « juif », pas plus qu' »aryen », ne veut absolument rien dire.
Le couple juif-aryen est l’élément d’un dispositif de pouvoir. La seule définition qu’on peut leur donner est celle qui correspond à la réalité que construit le dispositif.
Ainsi le « juif » est celui qu’on extermine tandis que l' »aryen » est celui qui extermine. C’est tout… Certains traits ne venant en quelque sorte que rentabiliser la massification-destruction de la société démocratique induite par l’extermination.
Le fonctionnement de ce dispositif a pour résultat de créer une société de camp, une société entièrement captive du principe concentrationnaire. Comme je l’ai dit, mais de manière symbolique, à chaque « juif » tué comme un poux correspond une machine SS de mort. Laquelle vit dans l’illusion totale de son héroïsme, de sa supériorité et de sa vocation de combattant.
En termes heideggériens les premiers ne peuvent même pas mourir. Ils sont d’une certaine manière « toujours-déjà-morts ». Ils constituent une matière première pour fabriquer des cadavres.
Les seconds sont, au contraire « pour-la-mort ». Ils sont pleinement « humains », étant capables de vraie mort.
Bien entendu je pense qu’ils sont bernés. Ils sont d’autant plus bernés qu’on leur offre en sacrifice le « juif ». Reconnaissons qu’il n’est peut-être pas évident, dans ces conditions, de résister à la tentation de l’illusion…
Il y a donc eu Auschwitz et des millions de « juifs » morts. Mais aussi des millions de morts « aryens » y compris des SS.
Le théorème du nazisme serait symboliquement le suivant :
Un « juif » mort équivaut à la transformation d’un homme ordinaire en « aryen » (en aryen de choc), c’est-à-dire en esclave-machine à tuer.
Dans ce contexte, « juif » et « aryen » sont des imaginaires fonctionnels. Ils n’existent que corrélativement.
Heidegger, qui a contribué à faire la philosophie de la chose, est mort âgé, peut-être même dans son propre lit, adulé comme un grand philosophe. (Ce en quoi de toutes façons on a tort : Heidegger haïssait les « philosophes ». C’est un des synonymes – à équivalence seulement partielle – de « juif ». Il aura vécu dans l’illusion d’être le SS en « chef spirituel », il est vrai payé grassement par une reconnaissance internationale.)
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Ajout d’Octobre 2007
A quelques formulations près je conserve le mouvement général de l’analyse. L’antisémitisme et le passage à l’acte génocidaire ont pour utilité de capturer et de corrompre ceux qui en sont les complices et s’en réjouissent. Un vrai nazi de tête peut s’en moquer. L’essentiel c’est que le Volk y croit et s’abîme dans le crime de masse. Les petits bourreaux de la base sont détruits dans leur humanité et leur citoyenneté.
Mais cette rationalité rend encore plus horrible le crime. Les victimes ont alors un nom : les Juifs. Les coupables aussi sauf que, parmi les plus responsables, beaucoup ont réussi à fuir, protégés par des réseaux complaisants et intéressés par les éventuels services de ces professionnels de la destruction de l’humain.
(1) Secret de Polichinelle :
Un secret de Polichinelle est un secret que tous et toutes connaissent, mais qui n’est pas d’une connaissance partagée. Il s’en distingue par le fait que les détenteurs du « secret » ne manifestent pas librement la connaissance qu’ils ont (parce qu’ils croient qu’il vaut mieux, pour eux ou pour d’autres, ne parler qu’avec des gens de confiance ou même complètement se taire), et par conséquent qu’ils ignorent le niveau de connaissance des autres. On est alors dans la situation où « les apparences sont sauves », « personne n’a perdu la face ».
Le secret ne porte donc pas sur l’information primaire, mais sur le degré d’information qu’on manifeste et qu’on suppose aux autres.
(Source wikipédia)
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EXCELLENT article…Les 10 millions d’Allemands de races mêlées « victimes » d’eux-mêmes(?) et en tout cas du nazisme, furent le prix à payer pour qu’ils deviennent aryens…
Le scret de Polichinelle est aussi une formidable métaphore de ce Non-Savoir Volontaire qui affecta à la fois bourreaux et victimes. La folie ordinaire qui se situe aux Borders de la psychose touche un nombre immense d’individus quelle que soit leur « origine ». Martin Gray éploré d’impuissance à convaincre ce Kommando de Juifs de Tambow qui coupent des arbres sans surveillance et qui refusent de ne pas rentrer au Camp….! Que des transports en « wagons de passagers » arrivant de Grèce à Sobibor, ignorent leur destin, est compréhensible. Mais tous les autres…?
Oui, le vrai problème de l’antiséjudaïsme « passionnel » est cette hostilité constante (avant le christianisme déjà) des peuples païens psychotiques contre la Loi du Père, inventée par ce peuple eodipien: les Hébreux…
Cette idéologie en filigrane, païenne/psychotique-perverse, qui a pourri le christianisme lui-même, est cette « Idolâtrie » que combattaient les Prophètes hébreux. Etre un « peuple oedipien » dans une Espèce humaine dominée par 80% de structures mentales psychotiques/perverses et Border Line est une bénédiction proprement Incroyable; une véritable Election, si l’on Croit à uune Providence. C’est pourquoi le Narcissisme païen insupporte ABSOLUMENT son infériorité mentale, et s’en venge sans scrupules. De Fichte à Heidegger, les « philosophes » sic ne se sont pas privés d’utiliser leur Intelligence Fonctionnelle pour tenter désespérément de tirer à eux la couverture de l’élection en Contestant celle-ci même. La théorie de la Substitution anime le Vrai =(sic) Israël (eglise catholique) contre le peuple Des-élu….
Une critique radicale sur ce plan de la psyché prévaut en gravité sur pratiquement toutes les autres théories (sociologiques, économiques, politiques). Comment comprendre autrement la cohabitation invraisemblable de l’intelligence avec la folie de l’intelligence?
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