Lady Chatterley, film de Pascale Ferran. Dernier ou premier couple?

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J’aime le dernier film de Pascale Ferran. Après une absence d’une dizaine d’années elle nous propose une oeuvre très méditée, très écrite et pleine de grâce. Même les plans les plus charnels sont empreints de poésie, et d’une poésie jamais mièvre. Les fleurs sont ce qu’elles sont : des sexes magnifiques. C’est dire aussi que les sexes sont des fleurs. N’est-ce pas de « bourgeon » que Lady Chatterley qualifie la verge de son amant au repos?

Dans le plan suivant nous voyons Lady Chatterley et son amant danser nus sous la pluie de l’été anglais. C’est elle qui, émerveillée par la pluie illuminée par le soleil, s’est déshabillée et s’est mise à danser.

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Pascale Ferran a une approche  « ciné-pensante » du phénomène de l’amour. C’est une expérience décisive qui nous éveille à notre humanité et au monde de la vie. Si elle s’est instruite auprès des oeuvres de D. H. Lawrence le film a son originalité. Il est une manière d’incarnation méditative du roman.

Elle, Lady Chatterley, est l’épouse d’un châtelain baron des mines : Clifford Chatterley. Paralysé des jambes et rendu impuissant à la suite d’une blessure de la Grande Guerre – qu’il ne remet pas en question – il s’efforce de tenir son rang avec superbe et brio. Mais il a quelque chose de ridicule et de monstrueux. Pascale Ferran a su cependant très subtilement nous amener à avoir pitié de l’homme non à cause de son infirmité, mais bien parce qu’on devine la blessure existentielle  sous la superbe et le verbe ultra conservateur. Car, au fond, le corps brisé de Clifford est le produit de la violence de sa classe. Ce qu’il entrevoit sourdement là où sommeille encore un peu d’humanité.

Donc Lady Chatterley n’a pour mari qu’une sorte d’ombre qui « se la joue » pathétiquement. Elle est au bord du gouffre, à deux doigts de rater complétement sa vie. Mais c’est cette vie qui sera la plus forte. Elle se défend de sa mort annoncée en tombant amoureuse du garde de chasse de la propriété. Celui-ci est un « homme des bois ».

Pascale Ferran est ici parfaitement complice du coup de génie de D. H. Lawrence. Car le personnage de l’amant n’est pas seulement un sexe, ce qu’il doit être. C’est aussi une existence marginale, en souffrance, et que l’amour de Lady Chatterley va littéralement ramener à la vie.

La critique de Lawrence est sans concession. La civilisation est une barbarie déguisée qui détruit l’humanité. Les châtelains sont des infirmes monstrueux et impuissants. Les paysans sont transformés en mineurs de fond faméliques et malades. Les femmes n’ont d’autre horizon que celui de la maternité et du ménage.

Le personnage de l’amant est un « dernier homme », une sorte de « dernier des mohicans ». Il a le sens de la beauté des choses, de la tendresse, de la douceur. S’il  a quelque chose de terrestre, de chthonien, de « gras » c’est surtout un poète. Aussi est-il rejeté et n’a d’autre solution que d’idéaliser et de rechercher la solitude. Aussi bien la quête de Lady Chatterley, qui a quelque chose de philosophique (de « platonicien »), va-t-elle réveiller en lui l’humanité qu’il était prêt à abandonner.

Le cinéma de Pascale Ferran demeure un cinéma du possible. Elle est parvenue, surtout dans la scène finale, à créer des « images-temps » à multiples directions.

C’est d’une fin possible de l’humanité dont il est question. 

Ou le couple est le « premier couple » d’un monde bourgeonnant. Ou il est le « dernier couple » d’un monde en voie d’étiolement. L’un ne va au reste pas sans l’autre.

C’est pourquoi la scène finale peut se lire de manière contradictoire. Sans donner de détails : ou l’on croit, avec les personnages, et parce que nous l’espérons, qu’ils parviendront à se retrouver malgré les obstacles; ou l’on interpréte leurs propres espoirs comme un adieu, le deuil tragique d’une vraie vie que la « mort existentielle » est en train de leur reprendre.

Magnifiquement coloré et poétique le film est sur le fond, par lucidité, très sombre. Il peut en ce sens faire penser à Tarkovski. Nous entrevoyons comme l’abîme sans fin d’une barbarie, d’une destruction de ce qu’il y a d’humain dans l’homme et qu’il peut seulement découvrir par l’amour sexué.

Les fleurs sont des sexes. Les sexes sont des fleurs. Comme dans une tapisserie du Moyen-Age au temps de l’érotisme paradisiaque.

Lucide, amer, mais enchanté. Enchanté comme peut l’être, comme doit l’être le phénomène humain.

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