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René Misslin nous transmet ce texte de Jorge Semprun à propos de Heidegger.
Bonsoir,
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J’ai trouvé un texte lumineux de Jorge Semprun (Conférence Marc Bloch n° XII, 1990)(htt://cmb.ehess.fr.document 38.html):
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« Dès qu’il est question de Heidegger, en France du moins, et particulièrement dans une enceinte universitaire, resurgit le débat sur son appartenance au nazisme. Faux débat, presque indécent d’ailleurs, au vu de la documentation existante. Oui, Martin Heidegger a ouvertement soutenu le nazisme : jamais il n’est revenu de façon crédible sur les raisons de ce soutien. Jamais il ne l’a mis en doute, en cause ni en question, lui qui aura tenté de faire du questionnement le fondement même de toute activité proprement philosophique.
Oui, il existe un lien théorique, une raison non pas de conjoncture historique, mais déterminante sur le plan de l’ouverture métaphysique aux problèmes de l’être, entre la pensée de Martin Heidegger et le nazisme.
Le plus scandaleux, donc, n’est pas que Heidegger ait appartenu au parti nazi. Le plus scandaleux est qu’une pensée originale et profonde, dont l’influence d’une manière ou d’une autre s’est étendue au monde entier, ait pu considérer le nazisme comme un contre-mouvement spirituel historiquement capable de s’opposer au déclin présumé d’une société mercantile et massifiée.
Il faut, en somme, affronter et assumer le scandale dans sa radicalité : ce n’est pas parce qu’il est l’un des plus considérables philosophes de ce siècle qu’il faut occulter, nier ou minimiser l’appartenance de Heidegger au nazisme. Ce n’est pas parce qu’il fut nazi qu’on peut refuser de questionner jusqu’au bout le fond et la raison de son questionnement. »
Cela fait du bien de lire des gens, comme Jorge, qui ont l’intelligence claire et le coeur droit.
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R. Misslin
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Commentaires :
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« Ce n’est pas parce qu’il fut nazi qu’on peut refuser de questionner jusqu’au bout le fond et la raison de son questionnement »
Je suis on ne peut plus d’accord avec cette affirmation!
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Un texte lumineux, certes, lorsqu’on est a priori sur la même longueur d’onde.
Le problème est de concilier ce bref texte, si lumineux soit-il, avec des passages de « Geschichte des Seyns » (1939-1940) comme ceux-ci (je traduis):« La subjectivité humaine caractérise l’époque moderne en tant que telle, parce que celle-ci se détermine à partir de l’achèvement de la métaphysique; mais cette achèvement consiste dans l’arrivée au pouvoir de la puissance en tant que machination.
Les conséquences essentielles de la subjectivité sont le nationalisme et le socialisme des peuples.
Qui sont l’un et l’autre des revendications de pouvoir faites au nom même du pouvoir.
Les conséquences de cette histoire de la subjectivité sont une lutte illimitée pour s’assurer le pouvoir et donc les guerres sans frontières qu’entraîne la puissance n’ayant qu’elle-même pour but. Ces guerres sont métaphysiquement très différentes de tout ce qui a pu avoir lieu jusqu’ici. »« Le danger n’est pas le bolchevisme, le danger, c’est nous-mêmes, au sens où nous avons porté son essence métaphysique à l’extrême (sans le comprendre comme tel), et où nous avons ruiné la Russie et l’Allemagne. »
On pourra me répondre qu’il s’agissait de carnets secrets, qui n’ont, c’est un fait, pas été publiés en 1940…
Je préfère quant à moi en conclure:
Le plus scandaleux est qu’un penseur original et profond, dont l’influence d’une manière ou d’une autre a été déformée dans le monde entier, ait pu, après avoir considéré par manque de connaissances politiques le nazisme comme un contre-mouvement spirituel historiquement capable de s’opposer au déclin présumé d’une société mercantile et massifiée, puis avoir fourni à la lumière des événements des années 30 une critique radicale de ce même mouvement politique arrivé au pouvoir, voir sa pensée à ce point occultée après-guerre par l’obstination de occidentaux à ne pas penser à fond les catastrophes du XXe siècle et permettre ainsi celles du XXIe.
Très cordialement,
A.G. -
Bonjour Monsieur,
J’accepte tout à fait que vous puissiez avoir le sentiment que je ne suis d’accord qu’avec les gens qui me semblent être en accord avec moi. Cette espèce de circularité intersubjective constitue une des sources majeures de la nature comique de notre être! Rions donc d’abord de nous, car c’est plus prudent. Et j’accepte votre invitation implicite à rire en premier de moi et de mon « idiotie » dans le sens grec du mot (voir les analyses « lumineuses » (sic) de C. Rosset).
Je retiens une phrase de Heidegger que vous citez: « Les conséquences essentielles de la subjectivité sont le nationalisme et le socialisme des peuples. » Qu’un élève de Husserl puisse écrire cela, en accusant la subjectivité humaine en somme d’être ce qu’elle est, cela m’effare. Je vais vous poser une question très simple, vous qui affirmez trouver dans l’oeuvre de Heidegger une pensée capable de nous aider à mieux vivre: Heidegger ne cesse de prétendre que lui sait mieux que quiconque poser les vraies questions. Très bien. Mais où sont les réponses politiques, sociales et économiques à ces profondes questions? Les avez-vous trouvées dans son oeuvre. Car questionner est bien, mais donner des solutions pratiques est mieux.
Cordialement
R. Misslin
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« Ce n’est pas parce qu’il fut nazi qu’on peut refuser de questionner jusqu’au bout le fond et la raison de son questionnement »
Je suis on ne peut plus d’accord avec cette affirmation!
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Un texte lumineux, certes, lorsqu’on est a priori sur la même longueur d’onde.
Le problème est de concilier ce bref texte, si lumineux soit-il, avec des passages de « Geschichte des Seyns » (1939-1940) comme ceux-ci (je traduis):
« La subjectivité humaine caractérise l’époque moderne en tant que telle, parce que celle-ci se détermine à partir de l’achèvement de la métaphysique; mais cette achèvement consiste dans l’arrivée au pouvoir de la puissance en tant que machination.
Les conséquences essentielles de la subjectivité sont le nationalisme et le socialisme des peuples.
Qui sont l’un et l’autre des revendications de pouvoir faites au nom même du pouvoir.
Les conséquences de cette histoire de la subjectivité sont une lutte illimitée pour s’assurer le pouvoir et donc les guerres sans frontières qu’entraîne la puissance n’ayant qu’elle-même pour but. Ces guerres sont métaphysiquement très différentes de tout ce qui a pu avoir lieu jusqu’ici. »
« Le danger n’est pas le bolchevisme, le danger, c’est nous-mêmes, au sens où nous avons porté son essence métaphysique à l’extrême (sans le comprendre comme tel), et où nous avons ruiné la Russie et l’Allemagne. »
On pourra me répondre qu’il s’agissait de carnets secrets, qui n’ont, c’est un fait, pas été publiés en 1940…
Je préfère quant à moi en conclure:
Le plus scandaleux est qu’un penseur original et profond, dont l’influence d’une manière ou d’une autre a été déformée dans le monde entier, ait pu, après avoir considéré par manque de connaissances politiques le nazisme comme un contre-mouvement spirituel historiquement capable de s’opposer au déclin présumé d’une société mercantile et massifiée, puis avoir fourni à la lumière des événements des années 30 une critique radicale de ce même mouvement politique arrivé au pouvoir, voir sa pensée à ce point occultée après-guerre par l’obstination de occidentaux à ne pas penser à fond les catastrophes du XXe siècle et permettre ainsi celles du XXIe.
Très cordialement,
A.G.
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Bonjour Monsieur,
J’accepte tout à fait que vous puissiez avoir le sentiment que je ne suis d’accord qu’avec les gens qui me semblent être en accord avec moi. Cette espèce de circularité intersubjective constitue une des sources majeures de la nature comique de notre être! Rions donc d’abord de nous, car c’est plus prudent. Et j’accepte votre invitation implicite à rire en premier de moi et de mon « idiotie » dans le sens grec du mot (voir les analyses « lumineuses » (sic) de C. Rosset).
Je retiens une phrase de Heidegger que vous citez: « Les conséquences essentielles de la subjectivité sont le nationalisme et le socialisme des peuples. » Qu’un élève de Husserl puisse écrire cela, en accusant la subjectivité humaine en somme d’être ce qu’elle est, cela m’effare. Je vais vous poser une question très simple, vous qui affirmez trouver dans l’oeuvre de Heidegger une pensée capable de nous aider à mieux vivre: Heidegger ne cesse de prétendre que lui sait mieux que quiconque poser les vraies questions. Très bien. Mais où sont les réponses politiques, sociales et économiques à ces profondes questions? Les avez-vous trouvées dans son oeuvre. Car questionner est bien, mais donner des solutions pratiques est mieux.
Cordialement
R. Misslin
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Co-signe complètement. S.D.
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Cher monsieur Gambler,
pourriez-vous m’indiquer la pagination des passages de « Geschichte des Seins » que vous traduisez ainsi ?
Yvon Er.
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Sur le texte de Semprun, j’ai bien des objections sur « l’originalité » et la « profondeur », mais passons.
Ce que J. Semprun manque à mon avis, c’est que la réception de la philosophie heideggérienne se dégrade politiquement et humainement à mesure que l’oeuvre complète est publiée. Cela ne dit-il pas quelque chose sur la nature profonde de l’oeuvre en question ?
Yvon Er.
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