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Il y a un usage du verbe entendre, devenu aujourd’hui métaphorique, en vertu duquel il signifie qu’on n’a pas seulement perçu le son d’un mot mais aussi, de manière plus « cognitive », compris le sens qu’il a dans le contexte du discours où il apparaît. A l’écoute sensitive s’adjoint ainsi l’entente de l’entendement.
Mais qu’est-ce que nous nommons « contexte du discours » dés lors que, et c’est ce qui nous retient ici, il s’agit d’entendre Heidegger?
L’hypothèse serait tout d’abord qu’au « contexte du discours » – du discours heideggerien – appartiennent certaines modalités de compréhension en tant qu’elles dépendent d’un climat, d’un Zeitgeist (ou « esprit du temps »), d’éléments idéologiques, des clichés, des représentations, des attentes et des angoisses spécifiques.
Autrement dit on se demande comment était entendu Heidegger soit en tant que professeur et conférencier, soit en tant qu’écrivain et auteur par cette partie du public qui était ou nazie ou proche du nazisme ou sensible à la rhétorique hitlérienne.
Il y a un plan du discours heideggerien qui tient au plus au point compte de cette réception. Dans une lettre à Bauch de 1939 Heidegger dit bien qu’il s’adresse à un « vrai public », public constitué selon moi par les « entendants » les plus résolus à s’impliquer dans la révolution national-socialiste.
Heidegger en séducteur des « âmes aryennes », âmes d’assassins.
Cela implique, mais c’est méthodologiquement délicat, qu’il faudrait pouvoir ENTENDRE Heidegger avec les oreilles d’un public nazi et hitlérien. La « question de l’être » – die Seinsfrage – sur laquelle s’ouvre Etre et temps n’aurait ainsi rien d’une pure question d’ontologie en un sens universel. Le mot même d’être devait probablement être entendu comme renvoyant à tout un réseau : race, race supérieure, aryanité, identité allemande, souveraineté purement allemande, inquiétude existentielle notamment face à la « menace juive » (Heidegger tenait en haute estime Les protocoles des sages de Sion).
Une recherche serait ainsi à faire qui analyserait les échos enregistrés et accessibles du discours heideggerien : articles de presse, travaux d’étudiants, lettres etc.
Ainsi nous devrions accepter l’hypothèse que même un livre comme Etre et temps a pu être entendu, avec l’accord tacite de Heidegger, sur fond d’une adhésion à l’hitlérisme.
Nous aurions à faire ainsi, en l’espèce d’un ensemble de sous-entendus, à une sorte de « nuage sémantique nazi » lequel, comme le nuage radioactif de Tchernobyl, n’aurait pas passé la frontière de la traduction de l’allemand heideggerien en français. Pour le bonheur de certains heideggeriens (dont des philo-nazis, dont des négationnistes, dont des dupés); pour le malheur de la vérité.
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