Dans sa contribution au colloque international des 10, 11 et 12 décembre 2012 et intitulé La dette et la distance – De quelques élèves et lecteurs juifs de Heidegger Annabel Herzog écrit que la critique de Heidegger par Hannah Arendt « est différente de sa condamnation d’Eichmann. Heidegger n’a pas anéanti le jugement – et avec le jugement la pluralité humaine et par conséquent, l’humanité (ce pourquoi, dit Arendt, Eichmann est coupable de crime contre l’humanité). Heidegger a anéanti en lui-même la possibilité de la politique et donc celle d’une résistance à la domination. Ce point est fondamental. La critique d’Arendt de la philosophie heideggérienne n’est pas une critique de sa participation à la domination mais une critique de sa non-résistance à la domination. Cette non-résistance de la pensée pure fermée sur elle-même est interprétée de manière presque tautologique comme refus de la volonté, soit refus de l’origine de la liberté responsable. Et donc toute l’œuvre d’Arendt est à comprendre comme réponse à ce refus ». (Page 126, Editions de l’Eclat 2014).
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Il faudra un jour faire le catalogue raisonné des « mythes Heidegger ». H. Arendt nous a aura livré quelques-uns parmi les plus étonnants. On sait qu’elle ne tenait pas en haute estime ces « philosophes » rendus incapables, en vertu de leur posture, de rendre compte du politique comme manifestation centrale de la vie pratique des sociétés et, à ce titre, expression dynamique et vivante de la pluralité constitutive de ces sociétés. Tout à la pensée, mais prétendant penser la politique, la vie politique concrète des sociétés leur échappe.
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Si donc Heidegger est un « grand philosophe » c’est aussi au sens où il appartient à cette tradition d’un rapport faussement clarifiant à la politique. Mais si cela le conduisait à répéter le geste de Platon à l’égard du tyran de Syracuse en l’espèce d’un ralliement à Hitler et à son parti ce sera toutefois moins « positivement », en espérant par exemple que Hitler soutiendrait son programme universitaire, que « négativement » en faisant preuve d’absence de résistance à la domination totalitaire.
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Sur ce point H. Arendt met en cause la conception heideggérienne de la pensée. Le philosophe est tendu vers une conception trop pure mais aussi trop close d’une « pensée pour la pensée ».
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Or rien n’est plus politiquement trompeur que cette supposée pensée hors de la politique et en son essence antipolitique (plutôt même qu’apolitique).
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Il y a un nazisme heideggérien « indigène ». Peut-être est-ce par ailleurs quelque chose comme une « politique de la destruction de la politique ». Mais elle existe comme politique et est scellée à même l’expression de la pensée.
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Si dans Qu’appelle-t-on penser ? Heidegger dit que « ce qui donne le plus à penser est que nous ne pensons pas encore » il veut dire une chose absolument terrifiante mais, hélas, emblématique du nazisme heideggérien « indigène » : si nous avions su ce que c’est que penser jamais le procès de Nuremberg ce serait tenu et jamais un Göring n’aurait été poussé au suicide ou un Streicher accroché par le cou à une corde.
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Heidegger est le penseur, comme penseur du III° Reich, d’un néo-esclavagisme raciste, antisémite et exterminateur. Heidegger s’est construit comme le maître à penser d’un tel imaginaire, d’une telle fantasmatique.
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Il est en somme la « constitution » d’un peuple-maître aux prises avec la modernité technique et démocratique en ce qu’elle s’oppose par principe au principe d’une telle domination de race.
Pour Heidegger penser suppose l’abandon de cette rationalité, de la raison même, et l’ordonnancement du logos, lequel n’a alors plus rien à voir avec la « ratio », à la « vérité de l’être ». Mais, précisément, cette « vérité de l’être » est celle de la hiérarchie des peuples et de la criminalité mondiale des juifs. Bref si nous ne savons pas encore ce qu’est penser c’est précisément parce que nous n’avons pas encore admis que certains meurtres de masse n’ont de criminalité qu’apparente.
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Penser, pour Heidegger, c’est penser au-delà de l’interdit de meurtre. En ce sens Auschwitz est un des chefs d’œuvre de et pour cette pensée. Nous saurions ce qu’est penser en le pensant comme tel.
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Qu’appelle-t-on penser ? de Heidegger, est un manifeste raciste et discrètement néo-nazi publié aux Presses Universitaires de France.
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Nous en reparlerons.