Duplicité hitlérienne et duplicité heideggérienne – Hitler ou le « pari heideggerien » – Critique de la préface de François Fédier aux « Ecrits politiques » de Heidegger

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Dans sa préface aux Ecrits politiques de Heidegger François Fédier écrit : « … Aux yeux de Heidegger la menace pesant sur l’Université ne venait pas de l’arrivée au pouvoir de Hitler ». (P 74). La thèse de la préface est en effet que Heidegger aurait été abusé par Hitler. « … Hitler, dit Fédier, pendant ces premiers mois de pouvoir – il faut le répéter, car c’est la vérité -, déploie une démagogie stupéfiante : il parle comme un homme d’Etat, demandant au peuple allemand de tout faire pour retrouver son rang ». Ce « tout faire » excluait semblait-il la guerre et, comme une dimension de celle-ci, la violence meurtrière à l’encontre des juifs, des « sous-hommes » en général. Heidegger a cru en Hitler en tant qu’homme de paix et homme d’Etat responsable et respectueux du droit. Il aurait été ainsi durement trompé.
Cette figure du « grand philosophe » naïf et aussi dupé que bon nombre d’observateurs de l’époque – certains se firent complice de leur propre duperie et du double jeu d’Hitler – ne tient pas. Fédier dit quelque part que Heidegger n’a pas lu Mein Kampf (d’Hitler). C’est apparemment vraisemblable tant il est facile de croire en l’incompatibilité absolue entre un Heidegger et un Hitler. Heidegger a cependant reconnu, dans une lettre à Bauer que, avant même Etre et temps, il avait appris a gardé le « silence dans la pensée ». Entendons bien ce que cela signifie : c’est une sorte de guerre du silence, une guerre faite aux juifs et cela, dans les années 20, dans un contexte marqué par l’influence de la social-démocratie. Etre et temps fut pris dans cette guerre et au sein d’une université qui, en 1927, comportait de nombreuses figures intellectuelles juives. Husserl, converti au protestantisme, était une de ces figures. (Pour les nazis les plus radicaux les pires juifs étaient précisément les assimilés et les convertis).

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Heidegger a très certainement lu Mein Kampf ou, pour le moins, des passages significatifs comme celui consacré à la description du complot juif contre l’Allemagne. Car pourquoi « garder le silence dans la pensée » si ce n’est pas pour y être hitlérien ? Je soutiens ainsi, contre Fédier, que Heidegger n’a pas été dupé par Hitler mais que, au contraire, c’est à son exemple qu’il a appris comment exercer lui-même une sorte de magister de la duplicité. Hitler « homme d’état » pacifique est à Hitler nazi ce que le « philosophe » Heidegger est à Heidegger nazi.

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En ce sens Heidegger a fait partie des « veilleurs » qui se sont préoccupés de la réalisation du « programme » de Mein Kampf.

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Fédier, dans la préface citée, donne son explication de l’erreur de Heidegger : « Le dernier élément, où peut se mesurer pourquoi et comment Heidegger méjuge la situation, c’est l’appréciation qu’il porte alors sur Hitler. On ne peut pas concevoir erreur plus complète. Elle se résume en une formule : avoir donné trop d’importance au langage que tenait le chancelier ». Cette déclaration exprime parfaitement le principe qui guide la manipulation pro-heideggerienne de toute une réception : on ne parle que de langage, jamais de double-langage. Ainsi Heidegger n’a pu être que trompé par Hitler. Il n’a pas pu, comme lui, être un champion, quand la situation le réclamait, de la duplicité. Quand Heidegger a déclaré malicieusement, en 1945, qu’il avait fait à sa manière de la « résistance spirituelle » tous les heideggérolâtres ont répété : Heidegger a fait de la résistance spirituelle. Cela étant ils n’ont pas vu, pas voulu voir ou même dissimulé le fait que Heidegger a toujours fait de la résistance « spirituelle » en tant que nazi radical et cela soit contre les nazis trop tièdes et de circonstance, soit, précisément à partir de 1945, contre l’occupant « libéralo-boléchivico-juif ».

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La duplicité heideggérienne ne s’est peut-être ainsi jamais mieux déployée que quand Heidegger a déclaré qu’il avait fait de la « résistance spirituelle ».

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Hitler a été le « pari » de Martin Heidegger. Il a adopté très tôt les « idées » aussi bien de Mein Kampf que des Protocoles des sages de Sion.

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Les  premières pages de Mein Kampf comprennent ainsi deux indications qui, à elles seules, disent à l’avance ce que fut le IIIe Reich : l’Anschluss, la guerre impérialiste, le génocide.

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Page 17 : « L’Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemand et ceci, non pas en vertu de quelconques raisons économiques. (…) Le même sang appartient à un même empire. Le peuple allemand n’aura aucun droit à une activité politique coloniale tant qu’il n’aura pu réunir ses propres fils en un même Etat. Lorsque le territoire du Reich contiendra tous les Allemands, s’il s’avère inapte à les nourrir, de la nécessité de ce peuple naîtra son droit moral d’acquérir des terres étrangères. La charrue fera alors place à l’épée, et les larmes de la guerre prépareront les moissons du monde futur. »

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Page 72, en soulignant : « En me défendant contre le Juif, je combats pour défendre l’œuvre du Seigneur ». (Notons la tonalité « résistantialiste » du propos : Hitler se défend contre le Juif !) – (Ces 2 citations sont extraites de la réédition des Nouvelles Editions Latines. Sorlot, maurassien anti-hitlérien, avait fait une première édition française. Son intention avait été de braver l’interdit de publication en France de Mein Kampf par Hitler lui-même ! Il s’agissait d’alerter les Français des véritables intentions d’Hitler : la guerre… la France étant au reste particulièrement visée !)

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Je résume : loin d’avoir été trompé par Hitler Heidegger s’est fait le relais, dans le contexte universitaire, de sa duplicité tactique. Tout en se donnant pour mission, ayant fait le « pari hitlérien », de veiller à ce que le projet annoncé par Mein Kampf dès 1924 ne soit jamais noyé dans les sables.

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Fédier affirme, on l’a vu, que ce n’est pas Hitler que redoutait Heidegger pour l’université. Cette absence de crainte n’était absolument pas due au fait que Heidegger était berné par Hitler. Au contraire il avait absolument confiance en Hitler pour opérer un salutaire « désenjuivement ». C’est aussi cela la duplicité heideggérienne : une love story avec Hannah Arendt d’un côté, le soutien sans faille à l’antisémitisme hitlérien de l’autre. C’est pourquoi, au reste, Heidegger n’a pas changé de vie et a choisi la bonne façade avec Elfried, hitlérienne militante, femme trompée mille fois – y compris avec une femme juive – mais glorieuse et efficace gardienne du foyer aryen !

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Fédier donne par ailleurs au lecteur de sa préface une petite leçon de traduction. A propos du titre du Discours de rectorat (1933) : Die Selbstbehauptung der deutschen Universität, il se plaint qu’on ait pris l’habitude de traduire ainsi : L’auto-affirmation de l’Université allemande. Or, dit Fédier, Selbstbehauptung « est exactement le contraire de l’affirmation de soi ; c’est se maintenir soi-même alors qu’on est menacé dans son être ». Il ne s’agissait donc pas de s’affirmer mais de « tout faire pour rester soi-même ». On a noté, là aussi, la tonalité « résistantialiste ». Exactement comme Hitler disait qu’il se défendait contre le Juif !

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Si Heidegger ne craignait pas, comme recteur d’université, Hitler c’est essentiellement parce qu’il comptait bien sur le radicalisme antisémite de ce dernier pour rendre l’université « allemande » à elle-même. Comme il s’agissait, au-delà de l’université, de rendre l’Allemagne à elle-même en la protégeant, par une « résistance spirituelle » (mais aussi policière et répressive), contre le complot juif destiné à la soumettre.
Ici une pertinente remarque de traduction dissimule une grossière erreur d’interprétation. Mais on ne peut pas être le traducteur adoubé par le clan Heidegger sans perdre sa liberté de jugement critique.

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Duplicité hitlérienne ; duplicité heideggérienne ; duplicité académique.

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