Heidegger antisémite – Le naufrage de François Fédier continue

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On pourrait se demander à qui s’adresse au juste François Fédier lorsqu’il s’exprime sur Heidegger. Au cours du colloque RDJ Heidegger et les « juifs » il a en effet fait cette déclaration : « Même si ces propos étaient incontestablement antisémites (je me propos de montrer par la présente communication qu’il n’en est rien) comment n’étant pas publiés pourraient-ils conduire à quoique ce soit et particulièrement à des diffamations. Une diffamation, que je sache, implique nécessairement la publicité. Si je me garde de rendre public tout le mal que je pense à part moi, d’un individu quelconque, il est tout simplement impossible qu’on puisse m’accuser de le diffamer. Y aurait-il même chez moi quelque intention mauvaise. Du moment que cette intention n’est pas publiquement manifestée il n’y a pas tout simplement matière à incrimination. Mais passons. Accordons le bénéfice du doute : Peter Trawny n’a pas volontairement fondé son argumentation sur un sophisme. »

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Il s’agissait, on l’a compris, de critiquer l’étude de Peter Trawny Heidegger et l’antisémitisme. Pour François Fédier toutes les déclarations d’apparence antisémite des Cahiers noirs ne peuvent être, puisque non destinées à la publicité, incriminées. Elles ne constituent ni des diffamations ni des menaces. Peter Trawny aurait commis un pitoyable sophisme. Il faut croire que François Fédier n’était pas si sûr de lui puisqu’aussi bien il s’est proposé de démontrer que ces déclarations ne sont même pas intrinsèquement antisémites.

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François Fédier ne se moque-t-il pas cependant de l’intelligence du lecteur ou de l’auditeur ? « Rien n’en a filtré, dit-il à propos de ces déclarations, pendant près de 80 ans ». Mais par quel tour de magie une publicité tardive de déclarations antisémites leur ôte ce qui pourrait les incriminer ?

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Voici, selon moi, comment François Fédier croit défendre Heidegger. Dans un premier temps il le différencie d’un antisémite « véritable », c’est-à-dire d’un antisémite pratiquant la publicité de ses opinions. Songeons par exemple à Julius Streicher, (lui aussi adepte de la « moustache qui tue »). Editeur antisémite acharné il fut condamné à mort à Nuremberg.

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A l’évidence Heidegger n’était pas un Julius Streicher. Mais pour que, 80 ans après leur rédaction, les déclarations antisémites de Heidegger deviennent « innocentes » il faut que le personnage Heidegger ait une qualité spéciale. Au reste François Fédier nous a habitués depuis longtemps à une attitude visant à sacraliser Heidegger. La Pensée par là ; la Pensée par ici. Et un si grand et sublime penseur ne peut pas être tel un Julius Streicher.

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Mais François Fédier a lui-même construit l’argument qui se retourne. Dès lors que des déclarations antisémites d’inspiration nazie et hitlérienne, après avoir été mises au frigo – le temps que l’effroi se dissipe – sont publiées dans le contexte d’une œuvre qui serait supposément le fait d’un grand philosophe elles acquièrent une forme de légitimation qui, pour l’avenir, en font des pièces redoutables. Même dans des régions où l’antisémitisme de rue est prospère le relai qu’offre Heidegger à l’université et en direction des intellectuels est décisif. C’est l’antisémitisme chic, ontologique, et qui n’a même pas besoin quant à lui de la haine pour justifier des politiques administratives. (Il importe ici d’ajouter que, dans certains contextes, l’antisémitisme heideggérien peut être traduit dans des termes différents. Le « juif », par exemple, peut devenir « tutsie »).

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Ma conclusion est donc que François Fédier n’est pas parvenu, bien au contraire, à blanchir Heidegger. Publiées 80 après leur rédaction, et sans que leur auteur n’ait consacré une part substantielle de son œuvre à les dénoncer, ces déclarations sont d’autant plus redoutables, et malgré leur faible nombre, qu’elles sont le fait d’un auteur qui bénéfice, à tort ou à raison, du label de grand philosophe du XXe siècle.

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Pour cette raison François Fédier a cru devoir et pouvoir démontrer que les déclarations en question n’étaient pas intrinsèquement antisémites. Nous examinerons plus tard ce qui constitue à nos yeux des leurres insoutenables. Avec François Fédier philosopher c’est manipuler. Normal puisque « la raison est l’ennemie la plus acharnée de la pensée ». (Heidegger).

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Sans doute dérobées à Charlie Chaplin à des fins de populisme les « moustaches à la Hitler » appartiennent également à l’histoire de l’institution philosophique européenne.

Les voici à l’oeuvre chez Julius Streicher :

Julius StreicherLes voici à l’oeuvre chez Heidegger, auteur dont l’aura philosophique aura permis, avec le temps, une forme de légitimation de l’antisémitisme que la brutalité et la vulgarité d’un Streicher et consort avaient sur le moment compromis.

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Que de nombreux lecteurs de Heidegger sachent faire la différence entre le penseur et le nazi ne fait pas que Heidegger ne soit pas mis à contribution ici et là pour légitimer le pire.

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