Comment un être transcendant réputé d’une puissance infinie et éternelle pourrait-il se sentir offensé par l’irréductible « petitesse » même des plus terribles blasphèmes ? Ne faut-il pas être peu sûr de ce à quoi on croit pour en arriver jusqu’à tuer et même supplicier les auteurs de blasphèmes ?
En réalité ceux qui, au nom de Dieu, se donnent pour mission de juger et de condamner les blasphémateurs tiennent surtout à protéger leur propre pouvoir. Ils subordonnent l’interprétation du rapport à Dieu à leur manière avec laquelle, tels des parasites, ils incorporent dans leur être quelque parcelle de la puissance divine. Leur propre rapport à Dieu n’est qu’une construction pour légitimer le droit qu’ils se donnent d’exercer une domination.
Le délit de blasphème serait donc le pire des blasphèmes pour ces deux raisons : les juges s’accaparent indument une partie de la puissance divine – qu’ils caricaturent nécessairement de par le caractère fini aussi bien de leur volonté que de leurs objectifs ; ils déconsidèrent gravement cette même puissance divine en supposant qu’elle puisse être atteinte par les blasphèmes. En réalité ils singent cette puissance, ils la caricaturent pour se livrer supposément à bon droit à des actes de la plus terrible domination.