Sauvons les collégiennes du Nigéria

Boko Haram est une sorte de secte néo-nazie nauséabonde et impitoyable envers les plus faibles.

Que le mouvement de sympathie se renforce. Ne laissons pas seuls les nigérians aux prises avec leur bête immonde.

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Leur crime : être filles et aller à l’école

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par un collectif de personnalités

Une partie des 200 lycéennes enlevées par Boko Haram, filmées par le groupe terroriste dans une vidéo transmise le 12 mai 2014. Une partie des 200 lycéennes enlevées par Boko Haram, filmées par le groupe terroriste dans une vidéo transmise le 12 mai 2014. | AFP/HO

La barbarie du mouvement criminel de Boko Haram au Nigeria est sans limite. En face, une impuissance meurtrie des nations civilisées. Le 14 avril dernier des hordes sauvages ont envahi un lycée de Chibok et ont capturé 276 filles âgées entre 12 et 17 ans. 53 parmi elles parviendront à s’échapper. Les autres sont violées, battues en attendant qu’elles soient vendues comme esclaves. Leur crime ? Etre filles et aller au lycée. Pour le champion toute catégorie de la régression et de la sauvagerie, ce sont là deux choses insupportables.

Cette horreur nous concerne tous. Quand la soif du mal s’accompagne d’ignorance et de haine, elle vise en premier les enfants, parce qu’ils ne peuvent pas se défendre, parce qu’aucun parent n’a imaginé qu’en envoyant ses filles au lycée, il les jetait dans les bras de l’ignominie et de la brutalité sanguinaire.


CRIER NE SUFFIT PAS

Nous sommes concernés parce que Boko Haram considère que « l’éducation occidentale est un péché » et que ces lycéennes, au lieu de se marier, sont en train d’être contaminées par cette offense à Dieu. Mais quel Dieu ?
Tout le monde a condamné cette prise d’otages et les tortures subies par ces jeunes filles.  »Rendez-nous nos filles » ! Des mots simples mais forts. Il fallait le brandir pour signifier une solidarité de par le monde. Mais face à la cruauté, à la sauvagerie la plus abjecte, les slogans paraissent bien faibles et sans efficacité.

Il fallait, il faudrait non seulement aider la police et l’armée du Nigeria à récupérer les filles, mais que des soldats de plusieurs pays au sein des Nations Unie interviennent pour assurer la sécurité des enfants fréquentant les écoles au Nigeria. Nous ne savons pas ce que les chefs d’Etats africains réunis par François Hollande à l’Elysée ont décidé de faire. Cette réunion date à présent d’un mois et aujourd’hui cela fait deux longs mois de calvaire pour les filles. Alors à quoi servent les Nations Unies, les Etats démocratiques, à quoi servent les découvertes scientifiques, les progrès technologiques, les moyens de communication les plus sophistiqués si rien ne peut être fait pour empêcher un salaud de disposer de 223 jeunes filles, de les violer, les martyriser, les brûler et les vendre comme du bétail qui ne sert plus ?

Crier, dénoncer, hurler, manifester sont des gestes que Boko Haram ne comprend pas, à la limite ça le fait rire, ça l’amuse de nous voir protester. Il sait qu’aucun Etat et probablement pas le Nigéria ne vont lui barrer la route. De toute façon, les filles forment un bouclier. Que faire en ce jour où nous pouvons aisément imaginer les souffrances que subissent ces filles ? Notre compassion n’est pas suffisante et leur besoin de consolation est incommensurable. Alors que fait M. Goodluck Jonathan, le président du Nigéria ? Sait-il (oui, il sait) que chaque heure qui passe c’est l’enfer qui grave son empreinte sur le corps des jeunes filles. L’enfer fait des trous dans la tête et massacre ces malheureuses. Même si elles arrivent à échapper à cet enfer, leur vie est déjà brisée, cambriolée, déchiquetée.

La lutte contre le terrorisme a lieu quotidiennement dans les aéroports, elle est souvent ridicule. Les tueurs d’enfants ne passent pas par là. Ils ont leur circuit, celui par où transite la drogue, celui qui permet la prise d’otages occidentaux échangés contre de confortables rançons. Oui, la démocratie est impuissante face à la mafia, au crime, à la barbarie.
Pourtant nous savons que dans leur sommeil agité, dans leurs rêves brûlés, dans leur espoir haletant, les 223 lycéennes regardent vers cet Occident, vers la liberté, vers les valeurs d’humanisme et de solidarité. Que pouvons nous faire ? Nous entendons leurs voix, nous imaginons leurs souffrances. Alors demandons à l’Europe, à l’Amérique, demandons au monde humilié par ces crimes de faire pression sur les responsables nigérians et aussi sur l’ONU qui, pour une fois, pourra prendre une initiative qui sorte de l’ordinaire et qu’elle fasse ce qu’il faut pour ramener ces filles dans leurs familles.

Abdou Diouf, ancien président du Sénégal et actuel Secrétaire général de la Francophonie ; Tahar Ben Jelloun, écrivain ;  Carla Bruni Sarkozy, musicienne ; Francoise Huguier, photographe ; Valérie Trierweiler, journaliste ; Erik Orsenna, écrivain ; Abderrahmane Sissako,cinéaste ;  Isabelle Adjani, comédienne ; Jonathan Littell, écrivain ;  Monica Bellucci, comédienne ; Denis Mukwege, gynécologue,

et

Laure Adler, auteur ; Adeline André, créatrice de mode ; Yamina Benguigui, réalisatrice ; Jane Birkin, artiste ; Cathy Bernheim, écrivain ; Anne Berou, réalisatrice ; Laurent Binet, écrivain ; Jacques Borgetto, photographe ; Rachida Brakni, comédienne ; Valéria Bruni Tedeschi, réalisatrice ; Souleymane Cissé, cinéaste ; Julien Falsimagne, photographe;  Michèle Fitoussi, journaliste ; David Foenkinos, écrivain; Isabel Gentil, sociologue ; Dicko Harandane, photographe ; Thomas Johnson, réalisateur ; Liliane Kandel, sociologue ; Georges Kiejman, avocat ; Arnaud Le Barz, photographe ; Robert Littell, écrivain ; Saïda Jawad, comédienne ; Marie Malissen, styliste ; Camille Malissen, photographe ; Malka Marcovitch, historienne ; Françoise Nyssen, entrepreneur ; Marc Melki, photographe ; Maya Nahum, auteur ; Henri Pénal-Ruiz, philosophe ; Eric Reinhardt, écrivain ; Mahamat Saleh Haroun, cinéaste ; Sophie Seydoux, entrepreneur ; Fabienne Servan Schreiber, productrice; Abnousse Shalmani, écrivain ; Sajede Sharifi, photographe ; Karine Sylla, comédienne ; Agnès Soral, comédienne ; Maurice Trang-Tong Tinchant, producteur ; Karine Tuil, écrivain ; Mélita Toscan Du Plantier, productrice ; Régis Wargnier, cinéaste ; Elsa Zylberstein, comédienne.
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Dans l’intimité des lycéennes enlevées

M le magazine du Monde | • Mis à jour le | Par Annick Cojean

QUI ÉTAIENT-ELLES, LES ÉCOLIÈRES KIDNAPPÉES le 14 avril par la secte islamiste Boko Haram, dans un village perdu, accablé par la chaleur et la pauvreté, du nord du Nigeria ? A quoi ressemblaient-elles ? Quels pouvaient être leurs rêves ? De quoi était faite leur vie ?

En couvrant pour différents journaux les manifestations de soutien organisées à Abuja, la capitale du pays, la photographe américaine Glenna Gordon, 33 ans, a développé une obsession : raconter les jeunes filles. Sortir de l’abstraction. Faire en sorte de dépasser la froideur d’un chiffre – « plus de 200 » – pour y mettre de la chair, des regards, du courage, des rires aussi. Peut-être.

La barbarie des terroristes revendiquant l’enlèvement et menaçant de vendre les filles et de les marier de force avait choqué le monde entier. Journaux et télés étaient demandeurs d’images. « Mais comment photographier une histoire dont il manque le personnage principal ? » L’énigme la perturbait.

COLLECTER LES OBJETS POUR INCARNER LES ÉCOLIÈRES

Alors, pour incarner les écolières, elle a songé à collecter les objets de leur vie. Et elle a dressé des listes : chaussures, robes, boucles d’oreilles, rouges à lèvres, cahiers, miroir de poche… Les photographier donnerait corps à leur existence individuelle, et en ferait des filles, sœurs, cousines, amies, pourvues d’un nom, d’une personnalité, d’espoirs. Il fallait donc rencontrer les familles, expliquer le projet, gagner leur confiance. Et partir à Chibok, le village du crime.

« J’ai tout mis en œuvre pour y aller, raconte la photographe. Cela me semblait vital malgré d’énormes complications. Mais il y avait des barrages militaires sur la route. Puis des rumeurs ont annoncé de nouveaux raids de Boko Haram. Je persistais. Il me fallait aller sur place. Et puis voilà qu’un courriel m’a appris la mort de la photographe Camille Lepage en République centrafricaine. Et cela m’a glacée. » Un choc terrible. Les deux jeunes femmes avaient pris un café ensemble à New York quelques semaines plus tôt. « Camille m’avait interrogée sur le Nigeria et je l’avais pressée de questions sur la RCA. Elle était passionnée, comme moi. Tellement sincère. Plus jeune que moi, mais capable de prendre beaucoup plus de risques. » L’assassinat de la Française sonna comme un avertissement. Glenna Gordon renonça à se rendre à Chibok. Mais pas à son idée. Il fallait donc que ce soit les objets qui viennent à elle.Yana Pogu, Rhoda Peters et ses boucles d'oreilles dorées, Comfort Bullus et son cahier , Dourcas Yakubu, la blouse d'écolière de Fatima Tabji.

A Abuja, dans les différentes manifestations de soutien aux jeunes filles et de colère contre un gouvernement incapable d’agir, elle avait sympathisé avec des familles originaires de Chibok. Anonnant quelques mots de la langue haoussa, captés au cours d’un long travail sur les mariages dans le nord du Nigeria, elle apprit même quelques mots du dialecte local afin de saluer longuement ses interlocuteurs, comme le veut la coutume. Elle leur présenta un petit album photo montrant ce qu’elle faisait, et prouvant qu’elle n’était pas de passage, qu’elle aimait l’Afrique, que la vie quotidienne des Nigérians lui importait.

C’est ainsi, peu à peu, qu’elle est entrée en contact avec les familles des écolières de Chibok, construisant un petit réseau capable de lui parler des jeunes filles par téléphone et de lui fournir quelques objets leur appartenant. Les paquets sont arrivés en taxi-brousse puis en bus. Et Glenna, empruntant un studio photo, a shooté ces biens à la fois si dérisoires et si précieux. Vite. Très vite. Car elle avait promis de les rendre aussitôt.

Un pasteur de Chibok, dont les deux filles avaient été enlevées, est venu lui-même, en taxi, puis en avion, lui apporter quelques objets. Même processus à Maiduguri, la capitale de cet Etat du nord nigérian si aride, où la photographe s’organisa pour récolter d’autres choses. Et c’est ainsi que des jeunes filles de Chibok sont peu à peu sorties de l’anonymat et de l’abstraction d’un chiffre.

« LA TÉLÉCOMMANDE DE [S]A VIE »

Rhoda Peters, qui portait des boucles d’oreilles dorées, aimait se rendre à l’église. Enfant de fonctionnaire, elle raffolait de riz et de haricots. C’était le genre de fille, raconte Glenna, « à écrire un petit mot de remerciement aux membres de sa famille qui lui offraient un cahier ». Monica Enoch, 18 ans, dont on découvre les tongues ornées de petites boules, est fille de pasteur et aimait chanter au temple. Elle a été capturée en même temps que Saratu Emmanuel, que son père avait recueillie après l’assassinat de ses parents par Boko Haram dans un village voisin.

Hauwa Mutah, dont la robe rose indique la coquetterie, voulait être biochimiste. Sixième d’une famille de neuf enfants, elle occupait le lit inférieur du dortoir de l’école et travaillait avec plaisir l’anglais et la géographie. Elizabeth Joseph aimait jouer à cache-cache et lisait la Bible à la lanterne. C’est la quatrième d’une famille de neuf enfants et elle était fière que son père la dépose à l’école à moto. Dourcas Yakubu, 16 ans, était un peu timide et gardait précieusement dans un petit carnet les lettres d’amour échangées avec un adolescent de Chibok. Dans l’une d’elles, il la décrit comme « la télécommande de [s]a vie ».

La photographe n’est pas totalement persuadée que les familles ont bien compris sa démarche. Mais, ce dont elle est sûre, c’est que les parents étaient contents qu’on parle de leurs filles, qu’on considère leur kidnapping comme ce qu’il est vraiment : une tragédie qui, quelle qu’en soit l’issue, aura détruit leur vie.

Contents aussi que les médias se fassent le relais de leur colère contre un gouvernement corrompu, incapable, indifférent à leur malheur et particulièrement lâche. « Par deux fois, le président Good luck Jonathan a annulé sa visite aux familles de Chibok, raconte Glenna Gordon. Il n’a rien à faire du sort de nos enfants, me disaient les parents. Il préfère faire la fête et boire du champagne, dépenser les ressources du pays alors que les soldats de notre armée, non payés depuis des mois, n’ont même pas de balles dans leurs fusils ! »

Les conséquences de l’enlèvement sont dévastatrices pour l’avenir du pays. De nombreuses écoles de filles ont fermé. Les parents ont peur, les enfants sont traumatisés, les enseignants menacés. Depuis 2009, nombre d’entre eux ont été assassinés dans leur classe, devant leurs élèves. 171 cas ont été recensés par le syndicat des enseignants du Nigeria, tandis que des écoles ont été brûlées, laissant des dizaines de milliers d’enfants non scolarisés, proies idéales pour tous les extrémismes.

Les petites de Chibok avaient parfois de grands rêves. Elles avaient aussi du courage. Des menaces pesaient sur leur école. L’armée, incapable, avait même été prévenue de l’attaque. Mais elles voulaient passer leurs examens…

Annick Cojean
Journaliste au Monde

 

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