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Si la situation n’était pas aussi tragique pour la pensée nous pourrions trouver franchement drôles les réactions de Hadrien France-Lanord et de Gérard Guest à la lecture des fragments antisémites de Heidegger, extraits des Cahiers noirs – journal secret qui couvre les décennies des années 30 aux années 70 – et récemment portés à la connaissance du public par Peter Trawny, directeur du centre Heidegger de Wuppertal.
Gérard Guest prétend, contre Peter Trawny lui-même, que la pensée de Heidegger est sur le fond indemne de l’antisémitisme qui « affleure » dans ces fragments.
J’ai la prétention, au contraire, d’avoir compris combien Heidegger avait donné de l’importance, dans toute son œuvre, à ce qu’il appelle lui-même « l’enjuivement ».
On félicite parfois Heidegger d’avoir moqué, critiqué et rejeté quant au fond l’antisémitisme biologico-racial des nazis. Mais, précisément, la forme heideggérienne de l’antisémitisme est peut-être, surtout si on imagine le philosophe « régnant » dans un état où existent des camps de concentrations et des centres d’exterminations, plus criminel, si c’est possible, que l’antisémitisme « bio ». Car le délit « d’enjuivement » est un délit de l’esprit et non de la race au sens biologique du terme. Selon Heidegger, qui n’a jamais à ce que je sache protesté, même rétrospectivement, contre la législation antisémite du IIIème Reich, est « juif » celui qui calcule, qui occulte la question de l’être, qui se tient dans le rapport à l’étant, qui cultive la puissance technique… On imagine ce qu’auraient pu endurer les « enjuivés » dans un état où Heidegger aurait été à la tête de la Gestapo, de cette Gestapo qu’il salue au passage au début de Introduction à la métaphysique (1935).
Je voudrais ici dire combien me semblent illusoires deux des perspectives proposées par Gérard Guest dans son séminaire consacré précisément aux indignes fragments des Cahiers noirs.
1°) Ebranlé à juste titre par la publication de Trawny Gérad Guest déclare ainsi :
« …C’est le déni de l’humanité de l’autre homme. Voilà en quoi la moindre trace de préjugés antisémites, chez qui que ce soit, est accablante, insupportable. A fortiori chez un très grand penseur qui a porté par ailleurs au plus haut, dans ses œuvres de pensée, la dignité de l’être humain ; l’exigence de ce que c’est qu’être humain ».
N’accablons pas trop, tout de même, les gens qui sont exposés à des préjugés dont ils ne sont pas les auteurs. Aidons-les à en prendre conscience et à les dépasser.
Mais, surtout, il aurait fallu, pour que Heidegger ait porté haut « la dignité de l’être humain », qu’il prît résolument position en faveur d’un universalisme et des droits de l’homme. Or c’est tout le contraire, précisément, que Heidegger a fait et cela même bien avant Etre et temps. Heidegger universaliste ! En voilà une sottise. Je ne vois pas comment, même s’il faut problématiser l’universalisme, il serait possible, d’un côté, de porter haut la dignité de l’être humain et, de l’autre côté, de détruire le projet universaliste au nom d’un combat contre la métaphysique.
(Pour cette raison je tiens la Lettre sur l’humanisme pour un manifeste discret en faveur des condamnés du procès de Nüremberg. La charge finale contre la « philosophie », accusée d’être « métaphysique », est précisément une charge contre « l’enjuivement » et une sanctification des «bergers de l’être » que sont Göring et ses camarades.)
« Le Dasein est l’étant qui en son être se rapporte ententivement à cet être », dit Heidegger dans Etre et temps. On n’a pas assez interrogé ce que pouvait signifier « ententivement ». Précisément un des fragments « noirs » des Cahiers noirs déclare les « juifs » privés de monde et incapables d’une véritable entente de l’être !
Entendons-nous : par « juifs » il faut comprendre les « juifs-juifs » et les « enjuivés » !
Et oui c’est cela Heidegger !
Dans le calamiteux cours post-rectoral (1934) La logique comme question en quête de la pleine essence du langage voici comment Heidegger parle de la liberté (en tant que corrélative du « souci ») :
« Le lien pleinement ouvert qui engage dans l’incontournable est : liberté. Le souci est en tant que tel souci de la liberté de l’être-soi historial. La liberté n’est pas d’être affranchi de tout lien dans ses faits et gestes, mais consiste en ce que se fasse jour l’incontournabilité de l’être, elle consiste à assumer la charge de l’être historial dans la volonté s’efforçant au savoir, à refondre l’incontournabilité de l’être pour lui donner la marque de la souveraineté que rend possible un ordre véritable inscrit dans un peuple ».
On osera encore prétendre que la démission du rectorat fut aussi une rémission de l’hitlérisme de Heidegger !
Toute la fantasmatique völkisch est ici à l’œuvre et dans une perspective parfaitement hitlérienne. Et elle ne tient, tellement elle est absurde, que pour autant que l’être est en opposition au « nihil » corrélatif de « l’enjuivement ».
A la même époque Heidegger, très « historialement », réclamait la mise en œuvre de « l’extermination totale » de l’ennemi intérieur.
2°) Défendant contre « vents et marées » Heidegger Gérard Guest ne réclame tout d’abord que l’instance heideggérienne elle-même pour juger les « affleurements » antisémites des Cahiers noirs :
« L’un des enjeux profond, à long terme, de la présente situation, sera et est d’ores et déjà de savoir ce qu’il faudra à l’avenir de ferveur à la pensée, afin que les textes et le travail de l’œuvre d’un penseur ne se réduise pas à un pur et simple objet d’étude et de recherche, éventuellement universitaire, réputé aussi intéressant qu’un autre – quelque puisse avoir été la teneur et la tenue – ainsi même que l’attitude eu égard aux pesanteurs de sa propre finitude d’une part mais aussi, d’autre part, aux exigences, les plus hautes de sa propre pensée. Et je ne veux pas d’autre instance compétente, pour le moment, à juger de la gravité de ces choix, que la pensée elle-même de Heidegger ».
L’objectif est selon moi parfaitement illusoire. Il faudrait pour cela que la conception heideggerienne de la « dignité humaine » relève d’une manière ou d’une autre d’un universalisme. Cela est totalement étranger à Heidegger.
Le bon Dasein a des culottes de cuir, et des culottes encore mieux ajustées que celles que les grecs sont supposés avoir porté jusqu’à la venue de Socrate.
Ce que G. Guest entend de manière critique par « pesanteurs de la finitude » relève en réalité de « l’incontournabilité de l’être » selon Heidegger.
Voici, pour finir, la dernière phrase du paragraphe dont a été extraite la citation plus haute :
Le souci de la liberté de l’être historial est en soi ce qui autorise que règne pleinement la puissance de l’Etat en tant qu’il est la configuration d’essence d’une mission historiale.
Heidegger, La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, Gallimard 2008, page 194.
On a sans doute deviné de quelle mission historiale il s’agissait.
Et dire qu’on estime encore que la démission du rectorat signifiait la rémission de l’hitlérisme de Heidegger !
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