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Les éditions Cerf viennent de publier un dictionnaire Heidegger. Philippe Arjakovski, François Fédier et Hadrien France-Lanord en sont les directeurs.
Nous n’avons pas à être déçus. L’ouvrage est dans la grande tradition française de la réception transie de Heidegger.
Certains articles sont ahurissants d’une épaisse roublardise. Ils sont absolument indignes d’une publication destinée aux rayons philosophiques.
Ouvrons le dictionnaire par exemple à l’article Abraham a Santa Clara. Celui-ci naît en 1644 près de Messkirch, le bourg natal de Heidegger, et meurt à Vienne en 1709. Ce fut un prédicateur talentueux et un prosateur à la rhétorique puissante.
En 1910 c’est le jeune Heidegger qui fut chargé d’écrire et de prononcer un hommage au prêcheur à l’occasion de l’érection d’une statue commémorant sa destinée.
En 1964, près de 20 après la guerre, Heidegger prononce une allocution devant une assemblée d’anciens élèves de l’école de Messkirch. Il s’agit d’une courte monographie où il détaille la puissance de conviction du prédicateur. « C’est surtout, écrit François Vézin – l’auteur de l’article – à cette langue puissante, savoureuse, pleine d’invention, de relief et de virtuosité que va l’intérêt de Heidegger, qui ne cache pas sa sympathie pour un personnage de cette trempe ».
Or il s’avère que Victor Farias, l’auteur de Heidegger et le nazisme, borne sa démonstration historique – d’un engagement constant de Heidegger aux côtés des plus radicaux des hitlériens – par l’évocation de ces deux événements auxquels il accorde une portée symbolique majeure.
François Vézin soutient toutefois qu’il s’agit, de la part de Victor Varias, d’une imposture. « Histoire d’une imposture : les deux textes en question n’ont longtemps connu qu’une diffusion extrêmement limitée jusqu’au jour (1987) où le pamphlet de Victor Farias leur a brusquement apporté une douteuse célébrité. Le public français se les vit présenter comme des exemples « accablants » d’une littérature furieusement antisémite trahissant chez Heidegger un penchant invétéré pour le « nazisme ».
François Vézin poursuit : « Pris au dépourvu, le lecteur français a pu être abusé dans un premier temps : quel moyen avait-il de vérifier ce qu’on lui proclamait ? Mais en janvier 1990 la revue Recueil publiait dans son numéro 8 la traduction française des deux textes, mettant chacun en mesure de comparer la teneur de ceux-ci avec la présentation outrancièrement dénonciatrice qui en avait été faite. Un exemple, en somme, de ce que Rivarol a appelé un jour « tendre des pièges à l’innocence des provinces ».
François Vézin se moque du monde. C’est lui le tendeur de pièges pour provinciaux innocents. Car ce qu’il ne dit pas c’est qu’Abraham a Santa Clara – qui devint pasteur de la Cour de Justice de Vienne ! –est un « héros » de la théologie antisémite. « Grand amateur de pogroms », précise Roger Pol-Droit, Abraham a Santa Clara est par exemple l’auteur de cette déclaration « Hormis Satan, les hommes n’ont pas de plus grand ennemi que le juif […]. Pour leurs croyances, ils méritent non seulement la potence, mais aussi le bûcher. »
Heidegger a de la classe ! Il n’emprunte pas littéralement ce sillon verbal. Mais il commente, en 1910 : « La santé du peuple, dans son âme et dans son corps, voilà ce qu’a cherché ce prédicateur vraiment apostolique ».
François Vézin voudrait nous faire croire que ce qui est dit est uniquement contenu dans ce qu’on profère et non dans le jeu des allusions, des renvois, des références. La fameuse personnalité locale était connue et appréciée pour son « penchant invétéré » au pogrom.
Philosophe célébrissime, en mai 1964, Heidegger citera Abraham a Santa Clara : « Un chef militaire a frappé de plein fouet la tête des Turcs ; têtes et chevelures roulèrent comme des casseroles ». Mais ce sera pour dire que l’homme qui a écrit cela est un «maître pour notre vie et un maître pour notre langue ».
Le nazi Heidegger a très tôt compris qu’il y avait une place à prendre au sein de l’Université purement allemande. Et cette place serait d’autant plus rayonnante que celui qui l’occuperait ne se commettrait pas aux basses besognes mêmes quand elles sont verbales.
Dans le dispositif d’ensemble du nazisme il pouvait, il devait y avoir quelque grande pensée qui ferait comme la démonstration qu’il valait la peine qu’il y ait aussi des « basses besognes ». Le « génie Heidegger » est le pendant inversé du sous-homme ; le Grand Sublime qui justifie les camps.
On ne s’étonnera donc pas qu’on ne peut pas prendre Heidegger sur le fait comme on le ferait d’un incitateur de pogroms. Mais l’incitateur et le penseur sont à leur place dans le dispositif.
Heidegger a très tôt compris la nécessité de cette « réserve », de ce «retrait ». Et c’est pourquoi François Vézin peut espérer piéger quelques innocents provinciaux.
Remettons une fois de plus la « chose » sur ses pieds.
1 Il ne s’agit plus de se demander comment il se fait qu’un Heidegger pouvait être nazi. Il y a désormais suffisamment d’indices.
2 Il s’agit surtout de comprendre la manière dont Heidegger a été nazi ; la façon dont il a pris au sérieux le fait qu’il était lui-même comme une once de quintessence d’un peuple de poètes et de penseurs que l’hitlérisme avait libéré, sinon de l’américano-soviétisme, du moins d’un « enjuivement » de l’esprit.
3 Il me semble précisément que l’essentiel gravite autour de la question d’une civilisation qui serait « fondée » sur la négation de crimes de masses pourtant systématiquement perpétrés. (Il s’agit moins d’une négation factuelle que d’une négation « transcendantale » : tuer des sous-hommes n’est pas un crime !)
4 Les deux hommages à Abraham a Santa Clara sont alors hautement suggestifs. Avec le premier il y aurait eu un appel en apparence secret à un pogrom généralisé. Heidegger a toujours été redevable à Hitler d’avoir précisément donné un tour « scientifique » à la chose. Avec le second le nazi jamais repenti qu’est Heidegger se félicite par citation du fait que des têtes et des chevelures ont pu rouler comme des casseroles. Heidegger célèbre ainsi la grande victoire remportée à Auschwitz (sinon à Stalingrad, sinon en Normandie).
5 Il faut étudier comment Heidegger cultive un nazisme hautement sophistiqué et « retiré ».
6 On peut comprendre aujourd’hui pourquoi il a toujours eu des protecteurs haut placés dans la hiérarchie nazie. Ce fut par exemple un protégé d’Eugen Fischer, le grand spécialiste de l’hygiène raciale et un des inspirateurs de Mein Kampf.