Belvaux, Le Havre et Perret : la fable du témoin

 

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Dans 38 témoins Lucas Belvaux n’évite pas certaines lourdeurs. C’est un peu comme si le film présentait obligatoirement des sous-titres explicatifs dont on pourrait en fait se passer. Cela dit son propos était peut-être plus difficile à tenir qu’il n’y paraît.

 

De quoi s’agit-il? L’excellent Yvan Attal incarne un pilote de bateaux porteurs de contenairs. Ils font parfois 300 mètres de longs et il faut les manoeuvrer avec doigté pour les amener jusqu’aux quais de déchargement. Cela se passe au Havre.

Or ce pilote expert est submergé par la honte : il n’a pas averti la police ni fait un geste pour secourir une jeune femme qui, dans sa rue, hurlait sous les coups de couteau d’un assassin.

Non seulement il lui est apparu plus facile de piloter des monstres que de conduire moralement sa vie mais encore qu’il prenait plus soin des marchandises convoyées par contenairs que du sort d’une jeune femme tombée dans les griffes d’un prédateur. Lequel prédateur, par ailleurs, peut lui-même avoir subi la désocialisation inhérente aux conditions de travail en vigueur dans une certaine marine marchande. Bref notre pilote découvre qu’il s’est comporté comme un maillon d’une chaîne de désastres humains.

Une journaliste, choquée et intriguée, tente de comprendre comment il se fait que 38 témoins aient déclaré n’avoir rien entendu d’une série de 2 hurlements atroces.

 

La photo de la photo ci-dessus pose bien le problème : Auguste Perret, l’architecte de la reconstruction du Havre croyait, contre le dogme corbuséen de la fenêtre horizontale, en la vertu humaine de la fenêtre verticale.

Or les 38 témoins du film ont tous fermé mentalement ces fenêtres. Ils les ont bouchées.

Une rue, des fenêtres, un meurtre sauvage : 38 abandons.

Disons un mot précisément de l’architecte Auguste Perret. Ni son talent ni son importance dans l’histoire de l’architecture ne sont ici en cause. Mais Perret fut pétainiste. Une encyclopédie précise : « Sous l’occupation, il conserve la première place parmi les architectes modernes : il sera élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1943 et présidera l’Ordre des architectes ». Une plaque parisienne à sa mémoire vante le fait qu’il sut conférer « au béton de ciment armé la noblesse des matériaux antiques ». Je doute pour ma part que, à ce propos, il s’agisse d’un événement architectural majeur.

Mais, surtout, et alors que le spectateur prend acte que le pilote ne peut que témoigner de sa faille et de sa honte, on ne peut s’empêcher de constater qu’aucune présentation officielle du parcours de Perret ne mentionne quelque regret que ce soit de sa part quant à l’approbation d’une politique qui organisa des rafles de juifs.

Pour ma part les fenêtres de Perret du film de Belvaux sont lourdes et fermées de ce silence.

Si un amateur de blog connaît un mot de Perret sur son « pilotage » qu’il démente ici même ce que je prétends être une horreur et que le fait divers filmique rappelle subrepticement à la mémoire.

 

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