Ivan Segré, H. France-Lanord et Heidegger

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Dans son livre au titre heideggérien Qu’appelle-t-on penser Auschwitz? Ivan Segré oppose Hadrien France-Lanord à Philippe Lacoue-Labarthe. Acharné, nous verrons ailleurs comment, à prendre qui plus est E. Faye en défaut il fait preuve de beaucoup d’indulgence à l’égard d’Hadrien France-Lanord. Et de citer de celui-ci le passage suivant : « Parmi ces textes, il y a des cours où Heidegger, dès 1934, attaque publiquement de front la conception du monde nazie, et des conférences d’après-guerre, où il parle en toutes lettres des centaines de milliers de personnes qui ont été privées de leur propre mort en étant liquidées en masse dans les camps d’extermination. Ces personnes, précise Heidegger, ne sont pas mortes au sens humain du terme, mais ont été réduites à une espèce de stock dans le cadre d’un processus industriel de fabrication de cadavres.

Celan n’aurait pas été insensible à la lecture de ces pages qu’en un sens il aura toute sa vie attendues savoir savoir qu’elles existaient. »

La citation est extraite d’un livre où H. France-Lanord médite, en faveur de Heidegger, sur la non-réponse, source d’effroi, que le poète Paul Celan aurait « reçue » de la part de Heidegger, et au cours d’un entretien, à propos du nazisme et des camps.

Notons que si l’analyse de H. France-Lanord est juste Heidegger aurait pu faire un geste en direction de ces pages que le poète aurait eu semble-t-il tort de méconnaître.

Il y a surtout comme une invraisemblable naïveté chez HFL. Comment peut-on imaginer un seul instant qu’Heidegger ait pu être en mesure d’attaquer « publiquement de front la conception du monde nazie » en 1934, un an après l’arrivée d’Hitler au pouvoir? C’est une possibilité abracadabrantesque.

La seule manière de comprendre la possibilité de déclarations supposées critiques d’Heidegger est de penser qu’elles expriment en réalité une radicalité national-socialiste.

En 1935, dans le cours intitulé Introduction à la métaphysique, on trouve effectivement une déclaration visant la philosophie national-socialiste : « En 1928, écrit Heidegger, il a paru une bibliothèque générale du concept de valeur, première partie. On y cite 661 publications sur le concept de valeur. Il est probable qu’on a maintenant atteint le millier. Voilà ce qu’on nomme philosophie. Et en particulier, ce qui est mis sur le marché aujourd’hui comme philosophie du national-socialisme (.!.) fait sa pêche en eau trouble dans ces « valeurs » et ces « totalités ».

Soit, publiquement et donc devant un parterre où ne pouvaient pas ne pas se trouver quelques oreilles nazies affûtées, Heidegger s’en prend à la « philosophie du national-socialisme ».

J’ai cependant temporairement escamoté une partie du texte, celle qui correspond aux parenthèses : (.!.).  Cela s’impose donc d’en prendre (à nouveau) connaissance : « et qui n’a rien à voir avec la vérité interne et la grandeur de ce mouvement (c’est-à-dire avec la rencontre, la correspondance, entre la technique déterminée planétairement et l’homme moderne) ».

Il se dit deux choses terrifiantes dans ce passage :

1° Moi, Heidegger, avec mon nom et ma stature, je critique la « philosophie du national-socialiste » parce que c’est moi qui incarne l’ Idée nazie! « Je suis la vérité interne et la grandeur » du mouvement!

Heidegger déclare en quelque sorte : « le nazisme, c’est moi! »

2° L’évocation de la question de la technique traduit en réalité qu’Heidegger, qui incarne alors la pointe la plus acérée du nazisme, connaît, approuve, appuie le projet d’extermination des « ennemis intérieurs ». « L’homme moderne » est l’homme du troisième Reich et la « correspondance » avec la « technique déterminée planétairement » est le concept, et comme en réponse à Oswald Spengler, d’une extermination créatrice de l’espace vital nécessaire au peuple historial.

Cela dit HFL aurait pu relever, pour s’en inquiéter, qu’Heidegger ne parle que « des centaines de milliers de personnes qui ont été privées de leur propre mort ».

Pour éviter le malaise, et alors qu’il cite la date de 1934, il situe vaguement les conférences en question – dites de Brême – « après-guerrre ». Le texte des conférences date en réalité de 1949 et le grand philosophe avait alors toutes les informations nécessaires pour savoir qu’en réalité c’est en termes de millions de personnes qu’il faut estimer le nombre des victimes de l’extermination.

Heidegger s’est constitué comme le penseur qui incarnait le nazisme dans sa pureté et sa radicalité extrême.

Il dit en 1935 que les philosophes du national-socialisme qui pataugent dans l’eau trouble de la philosophie des valeurs n’ont rien compris.

Comment, en effet, intégrer dans une expression spéculative du nazisme – et c’est à mes yeux ce qu’est l’heideggérisme – le concept d’extermination si l’on pêche des « valeurs » et des « totalités »? Imaginons une présentation du projet d’Auschwitz en termes de « valeurs »…

(Je soutiens en ce sens que l’ Introduction à la métaphysique est précisément une introduction à la biopolitique exterminatrice d’état).

Ivan Segré reconnaît au reste l’insuffisance de HFL : « Reste que la lecture de France-Lanord, aussi instruite, élégante soit-elle, est une position très précisément révisionniste au regard de ce que Lacoue-Labarthe a écrit et pensé sur la question, au regard de sa marque dans la philosophie contemporaine de langue française. »

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