Edgar Morin, Heidegger, l’origine

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A plusieurs reprises, dans des articles écrits de 2003 à 2005 et regroupés sous le titre Vers l’abîme, Edgar Morin cite Heidegger : « Notre origine n’est pas derrière nous, elle est devant nous ».

Heidegger, cela donne du poids, surtout quand la formule est paradoxale!

Mais voilà « notre origine » ne désigne absolument pas chez Heidegger « l’homme » ou « l’humanité » mais ce que les nazis ont appelé pour leur compte les « aryens » et qu’Heidegger, pour des impératifs de diplomatie philosophique, nommait aussi Dasein, « notre être-Là spirituel » dit-il dans l’ Introduction à la métaphysique (1935).

Quand à la question de l’origine, si elle est dite « devant nous », c’est pour justifier de la possibilité pour le Volk (peuple), pour le Dasein, de répéter sa provenance en détruisant les Juifs d’Europe. Voilà ce que voulait dire Heidegger en écrivant « notre origine n’est pas derrière nous, elle est devant nous ». Auschwitz : l’origine! (1)

Edgar Morin a lu Heidegger « en philosophe » (selon Elisabeth de Fontenay). C’est tout à fait possible en l’état actuel des choses où le nazisme de Heidegger  a été strictement limité à quelques discours commis pendant un rectorat éphèmère.

En réalité le texte de Heidegger est totalement sous la dépendance d’une thèse selon laquelle dasein, être et historialité se nouent autour de la légitimité qu’aurait le Volk a commettre le génocide. Heidegger fut à l’avant-garde de l’hitlérisme le plus radical. 

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(1) Ce que je dis dans cette note peut paraître énorme. Mais Edgar Morin reproduit un contresens sur Heidegger qui est le résultat d’un « lecture philosophique » qui a décidé qu’il était possible de tenir à distance l’idéologie nazie de Heidegger. Or cela est impossible : « l’idéologique » est  étroitement intriqué dans « l’ontologique ».

Quitte à reproduire des textes déjà cités je mets ici en vis-à-vis deux extraits de Heidegger appartenant à la même période. Le premier est cité par E. Faye le deuxième est un extrait de l’ Introduction à la métaphysique (1935).

A —>

“L’ennemi est celui-là, est tout un chacun qui fait planer une menace essentielle contre l’existence du peuple et de ses membres. L’ennemi n’est pas nécessairement l’ennemi extérieur, et l’ennemi extérieur n’est pas nécessairement le plus dangereux. (…) L’ennemi peut s’être enté sur la racine la plus intérieure de l’existence d’un peuple, et s’opposer à l’essence propre de celui-ci, agir contre lui. D’autant plus acéré, et dur, et difficile est alors le combat, car seule une partie infime de celui-ci consiste en frappe réciproque; il est souvent bien plus difficile et laborieux de repérer l’ennemi en tant que tel, de le conduire à se démasquer, de ne pas se faire d’illusions sur son compte, de se tenir prêt à l’attaque, de cultiver et d’accroître la disponibilité constante et d’initier l’attaque depuis le long terme, avec pour but l’extermination totale.

(In Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, Emmanuel Faye, Albin Michel 2005, page 383).

B—>

« Demander : qu’en est-il de l’être ? – cela ne signifie rien de moins que re-quérir le commencement de notre être-Là spirituel en tant que proventuel, pour le transformer en un autre commencement. Quelque chose de tel est possible. Cela constitue même la forme d’histoire qui donne la mesure, parce que c’est quelque chose qui se rattache à l’événement fondamental. Pour qu’un commencement se répète, il ne s’agit pas de se reporter en arrière jusqu’à lui comme à quelque chose de passé, qui maintenant soit connu et qu’il n’y ait qu’à imiter, mais il faut que le commencement  soit recommencé plus originairement, et cela avec tout ce qu’un véritable commencement comporte de déconcertant, d’obscur et de mal assuré. S’il y a une chose que la répétition telle que nous l’entendons, la re-quête, n’est pas, c’est bien la continuation améliorée de l’usuel avec les moyens usuels ».

(Introduction à la métaphysique, PUF 1958, page 47).

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1 commentaire

  1. Cher Skildy,
    Edgar Morin n’a jamais lu Heidegger en continu. Il n’a fait qu’en prélever des extraits ici ou là et à partir de ces prélèvements il se permet de porter un jugement d’ensemble sur son oeuvre. Ce qui est un scandale. Son attitude est l’exemple-type et déplorable de ce qu’ont fait tous les intellectuels français à quelques exceptions près. II fait l’aveu de cette méthode déplorable dans son dernier livre intitulé « Mon chemin ». Il écrit:  » Sans être un lecteur systématique de Heidegger, je suis toujours tombé sur des textes que je considère comme d’éveil’ (p.99). Et bien qu’il ne connaisse pas Heidegger il se permet de porter un jugement catégorique totalement erroné en disant: « Il est de ceux qui répugnaient alors à l’antisémitisme des hitlériens, mais le considéraient comme un trait secondaire »(p.100). A partir de quels textes peut-il se permettre de dire ça? A partir de rien. Il a dit, donc c’est vrai. C’est cette « intelligentsia de l’à peu près » qui ne cesse de faire des ravages en France deptuis 1945. Car l’attitude d’Edgar Morin ne date pas d’aujourd’hui. Il est un de ceux qui en 1945 a orienté la lecture et l’interprétation de Heidegger vers la dérive révisionniste que nous connaissons aujourd’hui. J’en veux pour preuve ses réponses aux questions de Dominique Janicaud parues sept ans plus tôt. Depuis 1945 Edgar Morin est incapable de voir que « cette philosophie de l’autenticité – ce sont ses propres paraoles – porte en elle la justification du nazisme » « Dans le fond, dit-il, je ne le pense pas ». Un tel aveuglement et une telle inconscience sont à mettre au palmarès de Bouvard et Pécuchet. Comme les autres intellectuels de son entourage , Morin ne sait pas lire le discours allusif du mage de la Forêt noire. Il a été formé à l’école de la lecture immanente qui ne sait pas voir une cataracte quand elle regarde une goutte d’eau qui en émane. Puisque l’eau est bonne pourquoi produirait-elle une cataracte? Ainsi en va -t-il d’Edgar Morin. En revanche ce qu’il nous apprend sur Jean Beaufret dans ses entretiens aux sombres heures de l’occupation vaut son pesant d’or. On se demande toujous comment ce dernier a obtenu sa médaille de la résistance.

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